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23 août 2008 6 23 /08 /août /2008 10:43

Les journaux télévisés du soir vont reprendre leur rythme de croisière en faveur du modelage d'une opinion dominante. Ils apportent aux Françaises et aux Français peu curieux plus de 80 % de leur « information » et décident donc, selon leur choix, des orientations de la majorité d'entre eux. Il se trouve qu'en 1983 (oui je sais, c'est une autre époque), j'ai effectué un stage de journalisme au sein de la rédaction sportive de ce qui s'appelait alors Antenne 2. J'ai donc eu le privilège, en doublon avec Roger Zabel, de participer aux conférences de rédaction déterminant la hiérarchisation du JT que présentait alors... PPDA ! Ah ! si l'on pouvait un jour filmer, en caméra cachée, un tel moment de vérité et ensuite la diffuser sur les antennes, à un moment de grande écoute, sous la forme d'un documentaire, bien des gens prendraient enfin conscience de la réalité des choix faits par quelques responsables de l'ombre.
 Impossible de rester insensible à cet équilibre instable qui est installé entre éthique et nécessité d'audience, entre peur des représailles et volonté de fouiller les sujets, entre reportages et prêts à diffuser... Chaque matin, le combat a lieu entre différents « courants » qui traversent forcément les équipes. Quand on a été spectateur de ces temps forts, on n'a plus envie de croire dans un système ayant de moins en moins d'indépendance.
Pourtant, à partir de lundi soir, le paysage audiovisuel va changer puisque les profits de TF1 sont en berne. Le CAC 40 se moque bien du contenu informatif des 20 heures. Il surveille l'audimat, qui déteint sur les tarifs des écrans de publicité précédant et succédant à une séquence aussi importante que celle du Jité. Poivre d'Arvor a donc été prié d'intellectualiser ailleurs, alors qu'il se croyait intouchable ! Alors qu'il avait établi, avec la venue de Nicolas Sarkozy sur son plateau, le 29 novembre 2007, un record absolu d'audience, avec 12 072 000 téléspectateurs. Ce jour-là, il a cependant signé son arrêt de mort, en persiflant sur l'arrivée sur la scène internationale du meilleur ami de son patron. Il s'est cru intouchable, alors que si la gauche n'avait jamais pu faire quelque chose contre lui, il a suffi d'un vœu élyséen pour qu'il dégage le décor. Ses remplaçants estivaux ont même démontré qu'il n'était plus indispensable sur le créneau de l'information-sensation pouvant captiver un auditoire passionné, comme ces dernières semaines, par un crime horrible, et par quelques « pipoleries » diverses.
Premier constat des audiences estivales : plus que jamais, le JT de TF1 est le pilier principal de la première chaîne de France. De tous les programmes diffusés par la Une, non seulement il demeure le plus regardé, mais il creuse l'écart. Prenons par exemple, la journée du 15 août : TF1 fait un "petit" 25,8 % de part d'audience en moyenne. Le JT de 20 heures culmine, ce soir-là, à 38,7 %. Soit treize points au-dessus de la moyenne. Ceci est tout à fait propre à TF1. Sur France 2, ce phénomène n'existe pas. En part d'audience, le JT de la Deux - qui oscille entre 20 et 22 % de part d'audience - est largement devancé, en temps ordinaire, par Télé Matin de William Leymergie ou, en ce moment, par les JO de Pékin, diffusés l'après-midi, environ 27 %. La France geint de temps en temps sur les tromperies de l'information, mais continue massivement à les faire vivre.
SEULEMENT UN MARCHE
L'expression Part de marché (PDM) et l'expression part d'audience( PDA) sont synonymes, ce qui dénote une vision très mercantile de ce système médiatique : un téléspectateur passif, présent devant son écran, suffit au bonheur des patrons d'une chaîne. Il s'agit de la part que représente le volume d'écoute d'un média (chaîne de télé, station de radio...) dans le volume d'écoute global. La part de marché d'une émission se calculera en faisant le rapport suivant : nombre moyen de spectateurs devant le programme divisé par le nombre moyen de spectateurs devant le média pendant le même moment.
Ce calcul est valable aussi bien pour une émission de télé-réalité que pour... un journal d'informations, et la tendance est inéluctable de voir le fonctionnement de l'un rejoindre le fonctionnement de l'autre, puisque l'objectif est le même. Et c'est là que se situe le problème : l'information est devenu un spectacle, et elle est régie par exactement les mêmes principes. Plus aucun reportage télévisé qui ne découle d'un choix rédactionnel préalable, avec éventuellement mise en scène, répétitions, décor et même un bis si le sujet est bon. Il faut réaliser des parts de marché, et donc en donner pour leur bonne volonté à celles et ceux qui regardent.
L'actualité a, par exemple, tourné durant des semaines au vaudeville avec portes dorées qui claquent, mari trompé, nouvelle épouse et dépenses inconsidérées. Ce fut un échec. Qu'à cela ne tienne, on passe à la tragédie, avec la responsabilité qui pèse sur les frêles épaules d'un Cid Campeador obligé de se battre contre les envahisseurs maures. On peut aussi faire dans la comédie avec, côté jardin, les anciens ennemis intimes de hier qui se rabibochent sur le dos de ceux qui font passer leurs idées avant tout le reste. Et on pourrait décliner en permanence, sur cette base, les dix ou onze sujets quotidiens d'un 20 heures. En plus, il faut une vedette en tête d'affiche. On ne vend pas une bonne pièce de théâtre quotidienne sans un grand nom, correspondant à la mode du moment et nanti d'une notoriété préalable.
LA VEDETTE ARRIVE
Lundi soir, l'Olympia du Jité de TF1 va changer de vedette. Le pari est osé. Laurence Ferrari, dont l'arrivée est déjà ultra-médiatisée à la présentation du journal de TF1, a expliqué à l'AFP qu'elle ne voulait pas   «révolutionner » mais faire des « changements progressifs » dans ce JT, qu'elle dit aborder « concentrée », et en toute humilité. La journaliste de 42 ans, fille de l'ancien député-maire UDF d'Aix les Bains, Gratien Ferrari, elle est passée par le Figaro Magazine, et les annexes d'Europe n°1. Elle oscille en permanence entre le rôle d'animatrice et celui de présentatrice, puisque, pour ma part, je ne considèrerai jamais que celui qui apparaît à 20 heures dans une étrange lucarne effectue un travail profond de journaliste. C'est un peu comme ces grands chefs de cuisine qui se contentent de soigner la présentation d'un plat préparé par des dizaines de marmitons spécialisés. C'est l'ambiguïté de ce métier de journaliste, puisque à l'écrit la signature responsabilise celui qui délivre une information, alors qu'au 20 heures l'assembleur n'apparaît jamais comme susceptible d'être mis en cause pour les contenus qu'il met en valeur. Récemment, on a constaté que les pires erreurs peuvent être avalées par un auditoire captivé par le spectacle. Ainsi un soir , en toute fin du journal de 20 h, l'envoyée spéciale de TF1 dans la Drôme, département où se déroulaient les recherches pour retrouver le garçonnet disparu, avait indiqué que Louis avait été retrouvé, mort. « Je viens d'apprendre de façon officieuse mais malheureusement sans doute certaine, que le petit Louis vient d'être retrouvé, et il semble qu'il ne soit plus en vie », avait annoncé l'envoyée spéciale. Quelques minutes plus tard, la chaîne avait diffusé un déroulant lors de l'émission "Koh-Lanta" pour rectifier son erreur et annoncer que l'enfant avait été retrouvé vivant. Rappelons que fin avril, Europe 1 avait annoncé, là aussi de manière erronée, la mort de l'animateur Pascal Sevran, qui était alors très malade. Pascal Sevran est décédé début mai. Le président de la station, Jean-Pierre Elkabbach, avait été remplacé à son poste quelques semaines plus tard, mais Europe 1 avait indiqué qu'il n'y avait pas de lien entre ces deux événements. A TF1, le rédacteur en chef... était occupé à visionner un reportage et donc il n'est surtout pas coupable, d'autant que l'audimat ce soir là avait été extrêmement satisfaisant. Que dire sur cette passivité citoyenne ?
DES PRINCIPES SIMILAIRES
En fait, la présentation de l'actualité moderne emprunte simplement les principes de la tragédie classique. L'unité de temps : la durée de l'histoire ne doit pas dépasser 24 heures. L'idéal est que la durée de l'histoire coïncide avec la durée du spectacle (demi-heure environ), mais comme c'est rarement réalisable, on admettait qu'elle s'étende sur une journée. Au-delà, le décalage était trop grand et devenait préjudiciable à la vraisemblance.
L'unité de lieu : le lieu devait être un lieu unique durant toute la pièce (pas de changements de lieu, donc pas de changements de décors). Les auteurs tragiques situent donc leur histoire dans un lieu qui peut être traversé par n'importe qui (le Roi mais aussi les valets, les confidents...) : il s'agit souvent de manière générale, du palais ou de l'antichambre. L'unité d'action : elle n'est pas synonyme d'action simple, mais implique que tous les fils de l'intrigue soient fortement tissés, et que toute action (ou parole) d'un personnage ait une conséquence sur les autres. C'est donc un principe de cohérence : rien n'est gratuit, rien n'est superflu : tout est calculé ! Le journal télévisé prétend aussi remplir une fonction morale, conforme ainsi au principe d'Aristote appelé la catharsis. En montrant les conséquences ultimes et catastrophiques des passions, le jité purge l'âme du spectateur de ces mêmes passions et l'incite à ne pas imiter les héros tragiques. Le théâtre rendrait ainsi les hommes meilleurs... comme on l'a constaté avec le drame intervenu en Afghanistan où, véritablement, on a atteint les sommets de la ressemblance entre la tragédie et le journal télévisé. Quel flot de principes moraux ! mais que les faits ont été véritablement occultés ! Ainsi va la vie médiatique, et lundi, Laurence Ferrari prend place sur le devant de la scène. Le monde en sera meilleur.
Mais je déblogue...

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commentaires

V
J'ai moi aussi eu l'occasion de travailler dans les années 92 à la télévision publique qui s'appelait encore FR3. J'étais en remplacement au point d'enregistrement de la chaîne. Le point d'enregistrement, c'est un endroit où l'on enregistre (comme son nom l'indique) les images internationales envoyées toutes les trois heures par deux agences (Reuters et EVN) à toutes les télévisions du monde. Et celles-ci s'en servent pour leur reportage au JT du soir. C'est pour cela que l'on voit toujours les mêmes images sur toutes les chaines.Ce qui m'a marqué, c'est la manière dont les journalistes venaient me voir pour me demander ce que l'on avait reçu, si il y avait des images fortes sur le Rwanda par exemple... J'ai pu ainsi voir de près comment se construisait un JT et je crois bien que cela m' a dégouté pour longtemps des journaux télévisés...
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D
Il faut reconnaitre que les nouvelles lues chaque jour sur le blog de Jean Marie nous informent avec détails , preuves et crédibilité avec les mots "nouvelles , brêves , remarques sur la cupidité démesurée , l'ambition de nouveaux pouvoirs ,erreurs renouvelées sans aucune gêne regardant même les citoyens au fond des yeux >>> c'est mon devoir de décider pour vous ,je suis le Président de la Répubique ..Votre chef à tous , vous devez obéir ......>>Les informations deviennent des bandes répétitives.... la préparation culinaire qui passe à l'écran est juste bonne pour les assidus du micro onde """ la médiocrité est devenue la principale richesse de la télévision toutes chaînes confondues.Comment ne pas souhaiter , espérer un changement dans cette direction aussi !!! ..
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A
Il devient de plus en plus impossible de regarder les infos à la télé, tellement tout est médiocre... Alors, que ce soit Laurence Ferrari ou PPDA qui nous abreuve, sur TF1, de platitudes convenues et téléguidées, cela ne changera pas grand chose... Comme ce n'est guère mieux sur les chaines nationales, nous ne sommes pas prèts d'être objectivement informés, et comme trop rares sont les auditeurs qui exercent leur sens critique, ils font avaler n'importe quoi... Heureusement, il y a ton blog, Jean Marie, et quelques autres, qui attirent notre attention, et nous aident à y voir plus clair...
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J
Du danger de se trouver en première ligne et en bas de l'échelleAux dernières nouvelles, le rédacteur non coupable et "vital "pour la chaîne est blanchi, par contre il serait question de licencier l'envoyée spéciale- lampiste...
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