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28 décembre 2008 7 28 /12 /décembre /2008 07:17


Si l'on demandait parfois aux citoyens leur perception des mots, on aurait probablement quelques surprises. En effet, il faut bien reconnaître que l'évolution sociale pousse à des perceptions différentes. Prenons par exemple le mot « valeur », qui symbolise à lui seul la mutation des esprits. Entre la signification de ce mot au siècle des Lumières et celle que l'on peut lui donner en parlant de profit, il y a un écart impossible à estomper. D'ailleurs, il est assez symptomatique de constater que le Larousse en dix volumes commence par expliquer que la " valeur" c'est ce que « vaut une chose selon l'estimation que l'on peut en faire ; prix ». Il illustre évidemment cette définition par « valeur marchande », « échantillon sans valeur » ; « la valeur d'une œuvre »... C'est celle qui prend donc le pas sur tout le reste, qui n'arrive que beaucoup plus loin, en terme de « hiérarchie des valeurs » et même parfois de « valeur suprême ». On passe alors de la notion sonnante et trébuchante à celle beaucoup plus floue et délicate de l'échelle morale.
La République repose sur des valeurs qui ne pas nécessairement  celles de la Bourse. Mais encore faut-il que les citoyennes et les citoyens se les approprient. Pas facile, dans une période où les abstractions ne sont plus de mise. L'éducation ne repose plus sur la transmission de valeurs, mais de plus en plus sur celle du savoir pur et simple, réputé quantifiable (tests de niveau sans aucune... valeur), car plus en rapport avec les ratios dont notre monde se gave. Comment apprécier la « valeur » des fondements de la République quand on ne les met plus que rarement en pratique ? Comment porter haut la valeur de la « liberté, de l'égalité et de la fraternité » quand on oppose à ce triptyque « rentabilité, efficacité et médiocrité » ? Comment faire admettre que le monde peut revenir à des « valeurs » fondamentales, quand la majorité de ses habitants manquent de tout ? Un récent sondage participe de cette inquiétude.
La devise de la République française « s'applique-t-elle bien à la société française aujourd'hui ? » La proportion de Français répondant affirmativement à cette question est en repli, selon un sondage CSA publié hier dans La Croix. Ils sont en effet seulement 45% à estimer que c'est le cas concernant la fraternité, contre 52% en 2004.
Six sur dix (60%) pensent que la liberté s'applique bien à la société actuelle, contre 68% en 2004 et... 75% en 2003, selon des précédents sondages sur le même thème. Et pour ce qui est de l'égalité, ils sont 32% à estimer qu'elle fait toujours honneur à la devise française, contre 40% il y a quatre ans. Ces tristes réalités devraient servir de référence à celles et ceux qui agissent dans la vie publique, car il s'agit d'une perception dramatique des vertus du système républicain. Mais bien évidemment, ça ne vaut absolument rien à coté des autres événements en provenance du Brésil ou d'ailleurs.
Les associations (39%) et l'école (36%) sont les deux institutions les plus aptes à « encourager la fraternité », selon les personnes interrogées, auxquelles étaient proposée une liste d' organismes au sein de laquelle elles pouvaient choisir un ou plusieurs organismes. Enfin, près des deux tiers des sondés (64%) se déclarent « prêts à donner de l'argent à une ou des associations d'aide aux plus démunis », 62% à s'engager dans une telle association, et 52% « à donner plus souvent à des personnes mendiant dans la rue ». Peu à peu la fraternité redevient « charité » au sens religieux de ce comportement social. C'est normal, car la valeur de l'argent, du geste financier, de l'aide matérielle, a supplanté celle de la solidarité morale, réputée sans grande efficacité. Se pencher sur la liberté et l'égalité devient en effet beaucoup plus compliqué pour un citoyen.

QUELLE LIBERTE ?
On ne trouve donc absolument rien dans ce sondage pour compenser une perte inconsciente de « liberté » qui ne mérite pas encore d'être encouragée, puisque bien des gens la confondent, sous l'influence du politique, avec « libéralisme ». Il ne serait pas inutile d'effectuer un zoom sur les résultats angoissants de cette confusion ayant conduit le monde à la ruine et à l'aliénation de fait de millions d'humains. En tolérant chaque jour davantage, en France, des accrocs au contenu concret des mots, nous finissons par les perdre au quotidien. Or, depuis plusieurs mois, elle se délite, sans provoquer des mouvements de foules décidées à prendre à nouveau une « Bastille ». La présomption d'innocence est par exemple bafouée de manière quotidienne, sans éveiller des consciences égoïstes, car personne n'en fait réellement une question sociale fondamentale jusqu'au moment où il est concerné !
La presse, qui a été si prompte à s'étrangler d'indignation quand un journaliste fut placé en garde à vue et fouillé à corps, ne réagit pas avec la même vigueur lorsque Julien Coupat, si l'on en croit les déclarations de son père, est déshabillé à quatre reprises en quelques heures, avant sa comparution pour sa demande de mise en liberté, pour le briser et l'humilier. Elle continue aussi à divulguer des noms dans « l'affaire » Julien Dray, sans trop se soucier si les faits sont avérés. On a oublié, comme le rappelle opportunément André Vallini, les ravages d'Outreau... dont nos valeurs républicaines ne sont pas sorties grandies. Loin s'en faut !
« La décision de maintenir Julien Coupat en détention est difficile à comprendre », a en effet estimé le secrétaire national du PS chargé de la Justice, qui présida la commission d'enquête sur l'affaire d'Outreau. Il a ajouté qu'il « existe en effet des possibilités de contrôle judiciaire très strict allant jusqu'à l'assignation à résidence, de même qu'il y a des possibilités d'empêcher toute concertation entre les protagonistes présumés et qu'il n'est pas difficile de s'assurer des garanties de représentation d'une personne mise en examen ». Se référant à ce qui fut un fiasco judiciaire, il juge que « les leçons d'Outreau semblent décidément ne pas avoir été retenues par la justice française"  et notamment, la détention comme méthode d'exception. « Le principe de notre procédure pénale qui veut que la liberté soit la règle et la détention l'exception est violé chaque jour, et la présomption d'innocence est trop souvent bafouée dans notre pays », explique le député de l'Isère. Il relativise ainsi la valeur de la liberté, dans une démocratie dans laquelle la séparation du pouvoir judiciaire et du pouvoir politique est de plus en plus à géométrie variable. S'il on s'attarde en effet sur un « événement » judiciaire ou deux, il en existe beaucoup plus sur lesquels l'actualité glisse comme autant de gouttes d'eau sur les plumes d'un canard.

QUELLE EGALITE ?
Quant à la valeur « égalité », elle en prend un coup mortel avec chaque jour l'évaluation du nombre de sans logis, sans travail, sans moyens matériels de vie décente. Qu'il n'y ait plus que 32 % des Françaises et des Français qui pensent qu'elle demeure un principe républicain n'a rien d'étonnant ! Selon une enquête de l'Insee, la France métropolitaine comptait, en 2006, près de 7,9 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté (880 euros par mois). Elles représentaient, en 2006, 13,2 % de la population. Cette étude révèle, par ailleurs, que la moitié des habitants de métropole ont un niveau de vie annuel inférieur à 17 600 euros..., ce qui ne doit pas favoriser la perception d'une société respectant la valeur « égalité ».
Le nombre des bénéficiaires du bouclier fiscal en 2007, s'élève à 15.066 personnes, qui représentent moins de 0,04% des contribuables français. L'Etat leur a remboursé plus de 246 millions d'euros. Les 10% de Français les plus aisés, en termes de revenus, bénéficient de 83% des remboursements liés au bouclier fiscal. La restitution moyenne a été de 231 900 euros. Les restitutions offertes aux 671 ménages disposant d'un patrimoine supérieur à 15,5 millions d'euros, représentent 155,6 millions d'euros, soit 66% du coût total du bouclier en 2007. Pour  2.242 Français qui disposent de revenus fiscaux supérieurs à 41.982 euros (...), le montant total des restitutions accordées a atteint  près de 190 millions d'euros. 27 contribuables dont le patrimoine  est évalué à plus de 15,53 millions d'euros déclarent un revenu fiscal de référence inférieur à 12.964 euros annuel, treize d'entre eux déclarent même moin,s de 3.753 euros annuels, soit moins qu'un RMI. Ces constats officiels, indiscutés et indiscutables, ne peuvent , sur la base de la « valeur » quantifiable, qu'engendrer une déception forte de la part des citoyens contribuables. Ils ne croient plus du tout à « l'égalité » garantie par les los républicaines.
Que ce soit en matière d'accession au logement, à l'éducation, à la santé, on ne plus la garantir et dans quelques mois, après le passage de la crise, on tombera certainement sous les 30 %, avec moins d'un Français sur trois qui en reconnaîtra la survivance. Pour avoir oublié la référence fondamentale à des valeurs morales, philosophiques, politiques, la société passe par pertes et profits des siècles de luttes idéologiques claires ! Ce sont des combats quotidiens qu'il faut mener désormais  pour persuader l'opinion dominante que les véritables valeurs sont celles qui justifient une action, et pas obligatoirement les effets matériels de cette action. Or liberté, égalité, fraternité s'enfoncent lentement dans les sables mouvants de notre indifférence.
Mais je déblogue...

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commentaires

S
Oh non vous ne débloguez pas; ces chiffres me donnent envie de vomir!"La raison du plus fort est toujours la meilleure" semble être la nouvelle devise de l'Etat français...Nadine 
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M
C'est exactement ça!!!comme il est plus facile (encore faut-il le faire...) de donner à des associations ou à des personnes mendiant dans la rue que de se remettre en question et de refuser le système...on semble emporté par un tourbillon...meilleurs voeux à tous!!!
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