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4 janvier 2007 4 04 /01 /janvier /2007 11:29
Quand une mode s’empare des médias, il est inutile de vouloir parler d’autre chose. La poudre aux yeux anesthésie tous les regards et tourne toutes les têtes. Actuellement il faut, pour être branché, s’intéresser aux SDF des grandes villes, car leur détresse, particulièrement visible depuis qu’ont fleuri les tentes de la honte, fait tache dans la période des sports d’hiver triomphants. On va bientôt en arriver à considérer que la résolution du problème de l’hébergement de ces personnes règlera l’ensemble des problèmes hexagonaux liés à l’exclusion. Un peu comme si cette dernière ne se situait que sous les ponts de Paris et dans le statut redoutable de dormeurs déshérités des rues. En fait, nous fabriquons des exclusions en permanence, et la machine continue à tourner à plein régime dans tous les villages français… loin de la capitale !
Le problème vient du fait que toutes les formes de « mise en marge sociale » ne sont pas télégéniques. Elles n’ont pas ce caractère concret du « droit opposable aux logement » qui fait fureur depuis trois semaines. Il faut bien convenir que le cumul de plusieurs facettes de la non intégration sociale n’arrange pas nécessairement le volet actuellement sous les feux de l’actualité. Pourtant, parfois, les racines s’avèrent aussi profondes que discrètes, mais nul ne veut véritablement les voir, car elles sont extrêmement délicates à éradiquer. L’exclusion à ceci de comparable au chiendent, c'est que si l’on n’arrache pas les parties souterraines, elle revient sans cesse à la surface pour envahir les parterres tranquilles des certitudes.
C’est ainsi qu’il faudrait examiner les difficultés liées au lieu de vie, à la santé et à la culture avant de parler des aspects matériels. Elles existent, en effet, la plupart du temps, dans la croissance de l’exclusion personnelle ou collective, mais elles ne sont traitées qu’a posteriori. Dès qu’une stabilisation est amorcée, il faut absolument chercher à améliorer ses bases pour éviter le pire; mais, comme elles ne sont pas palpables et rentables, on préfère les reléguer à des jours supposés meilleurs. Il est vrai que, par les temps qui courent, les médias valorisent les réalisations concrètes visibles, même éphémères, plutôt que les actions informelles, psychologiques, profondes. Cette tendance est surtout perceptible hors des grandes agglomérations où, justement, rien n’est proposé, mais où tout est à créer. Il ne s’agit pas, en milieu rural, de profiter de structures existantes car elles n’existent pas… suivant la commune de domicile, ce qui provoque la pire des exclusions : celle de l’isolement physique, sanitaire et moral.

                        L’ISOLEMENT UN FACTEUR REDOUTABLE D’EXCLUSION
 En effet, contrairement à ce que colporte l’opinion dominante, l’exclusion est infiniment plus insupportable à la campagne que dans une banlieue, aussi difficile soit-elle. En effet, les services de proximité existent dans tous les quartiers dits sensibles, alors que parfois, en Créonnais, ils se situent à quelques dizaines de kilomètres. Tous nos efforts depuis 6 ans, au niveau de l’intercommunalité, auront consisté à installer, dans un même lieu, le maximum de permanences accessibles aux gens traversant des difficultés provisoires ou durables. L’isolement constitue l’un des facteurs les plus redoutables, car il favorise le repli sur soi et donc l’aggravation de la situation personnelle. Comment peut-on socialiser à nouveau quelqu’un qui se trouve loin des lieux de vie collective, des espaces professionnels pour son accueil, des personnes ressources potentielles ? Impossible de

lui proposer sur place des outils ou des ouvertures sur le monde professionnel, indispensables pour entrer ou revenir dans la vie active : la distance se révèle un handicap.
Actuellement, en milieu rural, l’exclusion passe par un nouveau phénomène qui frappe surtout les jeunes : la non possession du permis de conduire. Autrefois, beaucoup d’entre eux, qui n’avaient pas les moyens de financer ce viatique vers la mobilité, l’obtenaient durant leur service militaire ou national. Désormais, un permis pour véhicules légers et encore plus celui pour le transport en commun ou les poids lourds nécessite un investissement qu’aucun effet d’annonce n’a réussi à diminuer. Faute de permis, le travail est impossible sur des territoires très peu desservis par les transports en commun, ou quand ils le sont, c’est essentiellement pour les déplacements scolaires. Ce constat s’aggrave surtout pour les jeunes filles, qui recherchent des heures de travail cumulées de services aux personnes âgées, ou pour les garçons ne pouvant entrer dans le monde de l’entreprise que par l’intérim ou les travaux saisonniers. Ensuite, il leur faut avoir les fonds pour acquérir un véhicule en état de marche… C’est une nouvelle galère qui débute. On est cloué dans son village, à attendre, par la force des choses, l’emploi qui ne viendra jamais. Inutile de compter sur Internet, car les « fameuses zones blanches » ne touchent point les agglomérations, mais les communes situées trop loin des centraux téléphoniques. Et, plus on développe la « toile », et plus ceux pour qui elle est inaccessible se trouvent marginalisés. Une commune sans école, ayant une mairie ouverte deux fois par semaine, sans aucun service privé ou public, fabrique tôt ou tard une exclusion toujours lourde à vaincre mais peu intéressante médiatiquement. Il n’y aura pas de tentes sur les pelouses des espaces publics !

                                      LA SITUATION HORS DES VILLES CENTRES
 Il faut aussi ajouter un nouvel élément qui intervient dans la descente aux enfers : la santé. Là encore, les penseurs ou les techniciens ne mesurent pas réellement la situation hors des villes centres. Trouver un médecin constitue le premier obstacle, avant que n’intervienne le second, consistant à savoir comment on va le payer. D’abord parce que les toubibs ont comme consigne de se déplacer le moins possible pour restreindre les frais pour Dame sécurité sociale, et donc il faut avoir un moyen de se rendre à la consultation (voir ci-dessus) et, si l’on est à la CMU, il faut éviter de tomber sur l’un de ceux qui s’arrangent pour ne pas vous recevoir. Ensuite, il est indispensable d' avoir de quoi avancer les frais qui ne vous seront plus remboursés en accéléré puisque la Caisse Primaire d’Assurances Maladie a décidé de supprimer ses permanences décentralisées. Et il faut bien avouer que, si vous relevez du régime agricole (MSA), vous rencontrerez encore plus de problèmes (éloignement, structures d’accueil, moyens financiers) pour tout ce qui est suivi social, services à la personne, remboursements… Là où, pour une urgence, il suffit, en agglomération, d’appeler SOS Médecins, en Créonnais il n’y a plus, dans certaines communes, de service de garde médicale du lundi au vendredi après 22 heures ou du samedi midi au lundi 8 heures, susceptible de se déplacer. La fameuse médecine de ville s’étend, et renforce ce sentiment d’abandon qui frappe les gens fragiles socialement et physiquement. Il faudra, tôt ou tard, mettre à plat le réseau médical et les obligations qui lui incombent, car une flagrante inégalité est en train de se creuser dans l’accès aux soins. Ce n’est pas l’incitation à l’automédication qui va arranger les choses, comme ne l’a pas amélioré le recours au 15 pour le « tri » des urgences dans des secteurs où les réponses sont déjà longues en raison des distances. L’exclusion n’est pas toujours le fruit du destin. Elle prospère sur l’isolement matériel.

            ESTOMPER L’ECART CULTUREL QUI SE CREUSE
Comment ne pas également aborder le volet culturel, sans affirmer qu’il prend une importance considérable dans la marginalisation sociale ? Si l’on peut considèrer, en étant optimiste, que le système éducatif apporte à chacun le même savoir, il ne parviendra plus, désormais, à estomper l’écart culturel dont on sait qu’il finit par faire la différence. Une bonne part de l’intégration sociale passe par le viatique de l’adaptation, favorisée par des acquis extrascolaires. L’école n’apporte plus tout pour réussir socialement, car elle n’a plus le temps, et surtout parce qu’elle n’arrive plus à lutter contre des influences qui lui échappent, dont celle de l’audiovisuel sous toutes ses formes.
Dans les secteurs ruraux, les seules références qui existent, quand la famille a effectué ou subi l’isolement, sont celles que porte la télévision. On parle du Cid ou de Victor Hugo à des ados qui ne sont jamais entrés dans un théâtre, qui n’ont jamais vu un spectacle vivant, qui n’ont pas d’autres références que la Star Ac’ ou la Ferme des célébrités, qui n’approchent pas un livre hors de l’école. Nul ne songerait à leur en faire le reproche, dans la mesure où on ne leur propose souvent rien d’autre.
Il y a une certaine fatalité contre la culture, considérée comme une sorte de luxe inutile, dans une société où le résultat des entretiens d’embauche reposera ensuite sur la différence entre des gens supposés posséder les mêmes savoirs techniques. Il arrive qu’à un niveau de compétence élevé, on ne se décide sur une embauche qu’après un examen minutieux du niveau culturel et de la nature des passions des candidats. Cette réalité est palpable quotidiennement. Un abîme se creuse entre les villes et les campagnes dans les propositions, même si elles ne sont pas suffisantes en milieu urbain pour régler l’absence de culture.
Je reçois très souvent des gens réputés « instruits » qui viennent me demander de leur rédiger un courrier ou de leur écrire… une lettre de motivation, pour tenter de décrocher un job. Ils ne savent plus communiquer, s’adapter à un contexte, une situation, tellement ils ont perdu (ou jamais acquis) la capacité de convaincre, donnée par une culture large. Echanger par la musique, la peinture, le théâtre, le sport, le partage d’un film, d’un spectacle, constitue la meilleure préparation à la vie sociale. Encore faut-il que les opportunités existent et que vous puissiez en profiter.
La lutte contre l’exclusion passe par de multiples filières.
Un gars sur un trottoir, une personne au RMI, un jeune en déshérence, ne sont que les « résultantes » d’un parcours beaucoup plus complexe que ne le voudraient les tenants de l’opinion dominante simpliste. Et croire qu’ils sont les seuls responsables de la situation dans laquelle ils se trouvent, c’est tout bonnement se bander les yeux pour ne pas voir la triste réalité. Et ce n’est pas en leur fournissant simplement des tentes pour abriter leurs corps que l’on résoudra les vrais problèmes !
Mais je déblogue
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commentaires

P
L'isolement en en effet le problème. J'ai été étonnée d'entendre sur une radio le cas cité d'un SDF "plusieurs fois grand-père"... Il avait donc une famille !
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J
MErci pour ce commentaire qui synthétise ce que je pense!
E
Et oui, comme d'habitude, une excellente analyse de la situation...
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E
Très bon article !
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