LA MEILLEURE ARME POLITIQUE
LE DOPAGE RENTABLE
La tragi-comédie est un genre tombé en désuétude. Le mondial est en train de le remettre au goût du jour, avec certaines adaptations. Elle se joue toujours en trois actes, séparés (et c'est la nouveauté) de quelques jours dans le temps. Elle a changé de style, mais se déroule encore devant des foules passionnées qui vivent chaque réplique comme un moment "gaspillé", car elles n'attendent systématiquement que celles qui tuent, qui font mouche, qui mettent à mal l'adversaire! il faut du drame pour que vivent les certitudes! Le respect pour les acteurs n'en constitue pas pourtant la plus forte des valeurs. Comme à la plus belle période des farouches rivalités entre les classiques et les romantiques, chaque camp peut conspuer les personnages antipathiques du camp adverse, ou même ceux qu'il est censé supporter. Des bordées d'insultes ou de sifflets descendent donc très souvent du "paradis".
Chaque "match" constitue alors une oeuvre complexe, dont le scénario a la particularité de s'écrire au fil des minutes. Impossible d'en connaître l'issue, même si les données essentielles en sont parfaitement analysées. Il faut bien reconnaître que ce type de représentation connaît un succès planétaire, et que les enceintes qui les accueillent ne sonnent jamais creux. On vient y vivre des émotions par procuration. Chaque camp a encore et toujours ses héros salvateurs et ses traîtres, capables sur une seule faute de bouleverser le dénouement initialement espéré. Les Horaces et les Curiaces s'affrontent avec des schémas tactiques secrets, plus ou moins compliqués. En une fraction de seconde, le combat change d'âme, plongeant les peuples dans l'exaltation ou la détresse profonde. La tragi-comédie du Mondial a ainsi frappé hier soir!
UN COMBAT REPUTE INCERTAIN
Hier soir, la France alignait donc autour de son roi prestigieux, des chevaliers de la balle ronde en quête d'un Graal qui les fuit depuis huit terribles années. Zinédine le ténébreux, vénérable " Arthur " de légende à la voix lasse, conduisait ses troupes en un combat réputé incertain. Toutes les réunions autour d'un " enchanteur ", Raymond ayant soit-disant la science des astres mais pas celle des potions magiques, n'avaient pas rassuré la famille. Il se comportait comme ces alchimistes énigmatiques, se réfugiant derrière le secret pour éviter de justifier leurs échecs. On doutait donc fort de l'issue de la campagne d'une " armée " dont la motivation n'était guère évidente. "Etre ou ne pas être...de la seconde phase". Telle était la question. On n'a pas eu la réponse !
Elle préoccupait un royaume " pourri ", dans lequel l'espoir manque autant que l'enthousiasme. Prêt à mettre à bas ou à vouer aux gémonies ces géants aux pieds agiles, les adeptes les plus adorateurs avaient consulté les pythies du petit écran durant toute la semaine. On n'accordait plus, dans les chaumières de France, qu' une confiance de moins en moins aveugle aux idoles. A elles de redonner son âme aux temples fréquentés par ces fidèles, sous peine de perdre totalement leur crédibilité. La période des hérétiques pouvait conduire à brûler ceux que l'on avait adulés, et à un schisme dont le pays ne se remettrait pas. L'unité d'action, de temps, et de lieu, étant respectée dans la cité de Beethoven, on pouvait dérouler le processus traditionnel, celui de la chandelle. Un début rassurant, et peu à peu une flamme qui s'éteit pour être soufflée par le premier coup de vent !
La scène 1 de l'acte 2 (le premier n'avait guère convaincu !) ne donna lieu qu'à un bref moment d'euphorie. Il naquit d'un duel victorieux entre " Don Henry " parti seul au port se débarrasser d'un gardien un peu trop gênant. Ce coup d'éclat donna l'espoir d'une issue rapide, tant la domination paraissait acquise. Le Roi Zidane ne savait pas où donner du dribble, donnant le tournis à des lutins rouges surtout préoccupés de parer au plus pressé. Le chevalier Vieira se faisait un point d'honneur à mettre la légion en bon ordre. Le cavalier Malouda conduisait des chevauchées endiablées dans la défense adverse. Les tours de défense tenaient aisément, face aux maigres offensives d'adversaires, incapables de monter le moindre complot offensif. Chaque action des Princes de 98 mettait au supplice : " Dame Corée " prête à perdre le Nord dans une tourmente permanente. De tragédie, il ne paraissait pas y en avoir au programme. Elle ne résidait en définitive que dans la capacité potentielle du camp des Bleus à tuer le suspens. On attendit pourtant en vain cette réplique " mortelle ", susceptible de faire entrer son auteur dans la légende.
LE COMBAT CHANGEA D'AME
" Sous moi donc cette troupe s'avance,
Et porte sur le front une mâle assurance... "
Ce constat initial rassurant fut vite perdu sous la pression des événements des scène suivantes. Lentement mais sûrement, le combat changea d'âme. Les occasions succédaient aux occasions mais rien ne semblait pourtant susceptible de dénouer le drame. Le chevalier Vieira faillit ajouter l'avantage décisif que tout le monde attendait, mais un félon en jaune le priva de cette satisfaction. Chaque entrée, chaque sortie dénotaient pourtant un bouleversement total de la donne initiale. Le temps prenait une importance capitale. Les acteurs bafouillaient leur texte et perdaient le fil de l'action. Ils donnaient déjà des signes de lassitude. Aucune accélération des actions, aucun soubresaut dans une trame convenue et passive. On tira le rideau sur de sombres présages.
Ils se confirmèrent immédiatement lors du retour sur la scène verte, car on retrouva les vieux démons, ceux qui transforment les espoirs en craintes. La tragédie prit forme. Incapables de maîtriser les foucades de Dame Corée, les fringants destriers blancs se révélèrent des chevaux de trait, lourds et essoufflés. Ils ne dominaient plus la situation, ils la subissaient. Plus aucune agilité, plus aucune arabesque, plus aucune inspiration : on attendait le coup de poignard fatal, celui qui transformerait l'amour pour les Bleus en dépit. Le chevalier Vieira perdit de sa superbe. Le voltigeur Malouda piétinait. Zinédine justifiait sa préretraite, se comportant comme un seigneur déchu, râlant nerveusement contre des manants se permettant de lui voler des ballons décisifs. L'intrigue échappait totalement à ceux qui devaient la construire.
DES LENDEMAINS QUI CHANTERAIENT
Des jambes lourdes, un moral dans les chaussettes, une crise de confiance générale : le contexte changea, le combat prit une allure prévisible. Il finit par se traduire de la manière le plus terrible. Un Pyrrhus coréen passant par là, plongeant un pays dans la stupeur. Ce coup de patte " assassin " mit à bas une bonne part de cette foi que l'on avait dans des lendemains qui chanteraient. Le temps devint alors le principal ennemi d'une troupe déboussolée. Il fila sur un sentiment profond d'insatisfaction et de grande frustration. Tous les critiques trouveront des bribes de satisfaction, des zestes d'excuses, et se rassureront avec des calculs d'apothicaires. Me vinrent alors en mémoire ces vers :
" Ô rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie !
N'ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?
Et ne suis-je blanchi dans les travaux guerriers
Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers ? "
Vendredi soir, le troisième acte constituera probablement la fin d'une génération et d'une époque. Il serait véritablement extraordinaire qu'il en soit autrement, quelle que soit la fin de ce qui ressemble bel et bien à une " tragédie " cornélienne. Les idoles vont quitter le temple par la petite porte. Elles n'auront que le sort que mérite leur volonté d'avoir laissé les marchands entrer dans leur temple !
Mais je déblogue...