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7 novembre 2005 1 07 /11 /novembre /2005 00:00

Le score enfle sur les écrans de télé. Chaque jour, le nombre de véhicules brûlés dans la nuit s’affiche sur le petit écran comme un record à battre. Les objectifs du lendemain sont affichés pour les banlieues : dépasser ce total et incendier un équipement public encore plus significatif qu’une école maternelle, un garage, un parking ou un collège… L’appel à projet de la " Star Ac’ " des émeutiers débutants ne se cache pas. L’imagination et le talent en la matière sont plus productifs, en terme de notoriété, que celle que vous apporterait une note convenable à une dissertation, un devoir d’histoire, ou un CAP.

La télé-réalité a besoin d’audacieux, de téméraires, d’artistes du cocktail Molotov, ou de lanceurs de pierres habiles. Elle affiche d’ailleurs, pour les séduire, d’alléchantes récompenses : célébrité assurée, avec un passage furtif, ou plus long, à la télé ; honorabilité renforcée par une réception officielle, toutes affaires cessantes, par le Premier Ministre ; mise en valeur garantie du rôle de la religion dans le processus social… Cette foutue télé, qui ignore les véritables réalités toute l’année pour vendre du rêve, qui méprise le travail pour offrir les revenus d’une année de boulot acharné au moindre maillon fort, susceptible de trouver la couleur du cheval blanc d’Henri IV, qui valorise toujours les mêmes, comme s’il n’y avait aucun salut en dehors du vedettariat, a une lourde responsabilité dans le comportement social actuel. Il est bien tard pour s’offusquer de cette situation, tant elle perdure avec la bénédiction générale. Comment en effet, se montrer critique, lorsque l’on a besoin, pour réussir sa carrière, de passages répétés sur le petit écran, et notamment dans ce que l’on appelle les " journaux télévisés " ? Comment dénoncer des manipulations dont vous pouvez être, un soir ou l’autre, le bénéficiaire ? Comment vous en prendre à des méthodes journalistiques qui vous permettent, avec votre fameux " service de com. " toutes les manipulations ? Comment dénigrer des programmes qui satisfont pleinement une large part de votre électorat ? Comment juguler cette course à la présence télévisée à tout prix, dont le " Roquet de Neuilly " s’est fait le champion, et que "Crin Blanc" reprend aussitôt à son compte ? Alors, mieux vaut faire l’ignorant, et expédier vos communiqués de presse avec l’espoir qu’une caméra bienfaisante se déplacera ensuite pour relayer vos positions. Et éviter des mises en cause douloureuses.

On ne peut pourtant que se poser des questions fondamentales sur ces événements exceptionnellement graves pour les fondements de la République. Le premier tourne autour du rôle de l’Etat. Pour ceux qui connaissent les arcanes du pouvoir, il est impensable que les services du Ministère de l’Intérieur (et notamment les fameux Renseignements généraux), si habiles à surveiller les syndicalistes, les élus, les contestataires de tous poils, n’aient eu aucune connaissance réelle du " milieu " des cités… Ils ne savaient rien. Ils ne prévoyaient rien. Ils affichaient une distance avec ces événements, qu’ils n’ont jamais eue en d’autres circonstances, avec par exemple des grèves ou des démarches sociales beaucoup moins dangereuses.

Les provocations incessantes de leur patron a mis en évidence la faiblesse de leur rôle. Accaparés par la recherche de renseignements sur le milieu islamique intégriste, réputé, à juste titre, dangereux, ils ont totalement oublié que la révolte pouvait naître d’une exaspération sociale forte, décuplée par le sentiment d’être méprisé. Immédiatement, la République laïque a abdiqué devant… la religion. Elle a baissé pavillon devant les responsables du culte musulman, appelés en renfort pour diffuser des valeurs qu’elle n’est plus capable de faire entendre. Cette capitulation est masquée, mais elle aura des conséquences fortes, car elle met en évidence que le pouvoir politique n’a plus aucune audience, plus aucune écoute et même plus aucune force. L’imam ou le " grand frère " ont plus d’influence que le Maire ou le CRS. Premier Ministre, Ministre de l’intérieur, Préfets…ont appelé à la rescousse les porteurs de principes moraux qu’eux-mêmes ne parviennent plus à faire entendre dans des territoires où ils ont battu en retraite, et qu’il est impossible de réinvestir en quelques jours. Et ce pari de se tourner vers d’autres médiateurs sociaux que ceux de l’Etat républicain n’est pas du tout gagné, car il repose sur le seul espoir que la " jacquerie " serait menée majoritairement par des musulmans sensibles aux injonctions religieuses. Ce qui est loin d’être la réalité, car les nettoyés potentiels au Karcher ou les catalogués dans la " racaille ", n’appartiennent pas tous à cette " catégorie ".

Pour avoir toléré durant des années l’installation d’une économie parallèle, au prétexte qu’elle permettait dans le fond à des familles de survivre, la puissance publique a totalement perverti le système social. Quand un gamin ramène 150 € par semaine pour faire le guet au coin d’une rue, il ne songe pas à son orientation scolaire, car elle sera forcément moins rémunératrice et plus exigeante en temps de travail.

Quand les incertitudes pèsent sur le repas, sur l’électricité, sur le loyer, sur les transports, sur la santé, on n’est pas très regardant sur l’origine des revenus, et si le gamin traîne une partie de la nuit dans la ville ou dans les rues, on a tendance à fermer les yeux, pour ne les ouvrir que sur un match de millionnaires du foot, sur les millionnaires du show-biz, sur les millionnaires des jeux télévisés, ou sur les millionnaires du loto. Les millions sont partout, sauf dans les foyers qui en rêvent… Alors, quand les miettes sont au pied des immeubles, il est fort tentant de les ramasser.

La matraque ou la grenade lacrymogène n’ont jamais été des outils de médiation sociale. Ils sont, en revanche, ceux de la défaite, et ce n’est pas en promettant des millions d’€ qu’il n’a pas, des fonctionnaires supplémentaires qu’il n’aura pas, des subventions qu’il ne peut déjà pas donner, des emplois qu’il a supprimés, que Crin Blanc réduira la fracture sociale devenue, depuis quelques années, un véritable canyon malgré les millions qui y ont coulé. Et comme le politique ne génère plus d’espoir, les banlieues s’en remettront à d’autres !

Le feu se calmera, mais les braises de la révolte seront toujours sous la cendre sociale, jusqu’à ce que Sarkozy ou Le Pen viennent à nouveau souffler dessus… quelques jours avant les élections présidentielles ! Ce sera tout bénéfice!

Mais je déblogue…

* lire dans L’AUTRE QUOTIDIEN les articles publiés sur ce sujet avant que ne débutent les événements actuels : " Le serment du jeu de paume " du 29 septembre ; " Vous avez dit Karcher ? " le 2 novembre…

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commentaires

V
"Il est bien tard pour s’offusquer de cette situation tant elle perdure avec la bénédiction générale."<br /> <br /> ... et en deça de cette bénédiction, une incroyable préméditation, au-delà de cette bénédiction, une certaine célébrité, comme vous l'indiquez un peu plus haut dans votre ode à la "capitulation en rase campagne". Que le jeu de "maux" est pertinent.<br /> Cependant, je ne suis pas convaincue que leur but soit d'obtenir cette célébrité. celle-ci s'ouvre à leur insu et peut-être incite-t-elle d'autres à entrer dans le bal. Mais le point originel n'est pas là.<br /> <br /> Je voudrai apporter un peu de perspective positive dans ces journées grisailles où les banlieues et coeurs de ville s'auto-encouragent à poursuivre ... poursuivre quoi, exactement ? (je vais y revenir)<br /> <br /> Pour la perspective, très bientôt noêl et son avalanche de dépenses incroyables vont arriver, publicités et promotions vont reprendre le dessus et leur espace fétiche (télé, médias) va devoir leur être rendu. Donc, misons qu'au-delà du 20 novembre, et ce, quelque soit la teneur des événements, on passera moins de temps à comptabiliser voitures incendiées et pierres envoyées pour en laisser bien davantage à la comtesse dubarry et le monde magique de barbie.<br /> <br /> Mais je reviens vers ce but poursuivi que je ne trouve pas. Ce qui ne veut pas dire que les raisons demeurent inaccessibles. C'est terrible de poursuivre un objectif indéfinissable. Les moyens pour y parvenir sont alors tous accessibles, voire même éloignés des moyens véritables. Car au fond, en observant cette entité qui s'enflamme, constituée entre autres de jeunes tellement jeunes, reposons-nous la vraie question : que veulent-ils ? ils ne réclament pas d'espoir, ils savent le trouver dans bons nombres de discours qu'ils soient associatifs, politiques, sociaux ou publicitaires. Ils ne demandent pas véritablement de l'argent direct, ils savent qu'ils peuvent en avoir en franchissant quelques interdits que le système conforte même si justice brandit ses sanctions et police ses représailles. Ils ne réclament pas encore de travail, conscients que l'heure de la vie active n'est pas au rendez-vous. <br /> <br /> Que cherchent-ils ? <br /> Ils le savent à peine. Ils le pressentent inconsciemment. Ils le devinent dans leur faible intérieur, au fond d'eux mêmes et ce vide est tellement immense qu'ils ne veulent surtout pas s'y arrêter. Il y a un immense canyon entre leur état enfant et leur état adulte. Une jeunesse adolescente qui se construit toute seule. Pas de repères structurants, pas de modèles, pas d'autorité référentielle, pas d'interdit constructif, pas de reconnaissance si ce n'est celle obtenue par l'acte répréhensible le plus percutant.<br /> <br /> Ce constat ne sert à rien. Le moment est désormais devant eux, devant nous. Les voilà bientôt adultes, sans être passés par la case éducation. Je ne suis pas en train de dire que leurs parents ne les ont pas éduqués. Je suis en train de dire qu'on a réinventé la jeunesse économique. Qu'en supprimant le droit à l'insouciance, le rêve inaccessible, l'inconscience élémentaire, on a oté les ingrédients primaires pour tout adulte potentiel.<br /> <br /> Comme les téléphones portables, ils sont une sorte de 3° génération avec laquelle il va falloir que la société compose. Parce que cette génération est la société de demain. Ces jeunes sont en train de scier la branche sur laquelle ils ne sont même pas assis. Sur laquelle aucune place pour chacun d'entre eux n'apparait, si ce n'est quelques fils-à-papa (au sens non péjoratif) qui reprendront le flambeau de l'entreprise familiale ou la flamme médiatique ou politique. Tout n'est pas gagné ou acquis pour ces fils (et filles) là mais il faut reconnaître que la tâche leur est facilitée.<br /> <br /> Ce sont les non-fils-à-papa qui occupent et préoccupent. La société a largement "déconné", et ce depuis très longtemps. Le mot "société" a le dos large. Du moins, je me l'accorde de lui faire porter le chapeau alors, qu'en définitif, certains sont seulement responsables. Politiciens en soif de pouvoir suprême et de culture de l'image personnelle, capitalistes en soif de pouvoir financier et de culture de perles d'or, hommes médiatisés corrompus à merci, ILS sont responsables totalement et conscients. Et nombreux sont ceux qui ont reçu de nouvelles chances de réapparaître flambants neufs dans leur cercle politique, économique ou médiatiques ?<br /> <br /> Ces jeunes qui mobilisent actuellement presse et gouvernement sont responsables partiellement et inconscients. A eux, va-t-on leur donner une chance ?<br /> <br /> Le chantier est tellement vaste et sinistré. Par quel bout de ficelle commencer ???
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E
Encore une excellente analyse !<br /> Mais ce qui me désole le plus dans tout ça c'est lorsque ces "pseudos révoltés" touchent à une école !<br /> L'école est le "temple" de la laïcité !<br /> Toucher à une école peut déclencher une guerre au même titre que lorsqu'on touche à une église ou à tout autre temple !<br /> Ne touchez pas à mon école ou je "détruirais" vos mosquées, églises, etc.<br /> J'attends qu'un responsable intellectuel ou politique le dise haut et fort !
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