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5 octobre 2007 5 05 /10 /octobre /2007 07:57
J’en garde un souvenir très précis. Ce Bip-Bip surnaturel venu du poste de radio baroque acquis par mes parents avait quelque chose de surnaturel. Un bruit à peine audible, dans un " crachoullis " d’un autre monde, mais qui prenait des allures révolutionnaires. Prétendre que j’ai mesuré, à dix ans, l’importance réelle de cette sonorité surprenante, relèverait du mensonge pur et simple. Mais j’en conserve la tonalité extrêmement précise, car il fit entrer, dans mon univers très restreint du village de Sadirac, ces rêves portés par le fameux " de la terre à la lune " de Jules Vernes ou " on a marché sur la lune " de Hergé. Ce Bip-Bip avait une valeur qu’aucun autre n’aura eu dans l’histoire. C’est le plus célèbre du 20ème siècle. Ce 4 octobre 1957, il crachote sur des millions de postes de radio, émis par le premier satellite artificiel de la Terre, Spoutnik-1, "compagnon de route" en russe. La boule250px-Sputnik-asm.jpg de métal hérissée d’antennes fait la Une des quotidiens et suscite l’incrédulité chez de braves gens, incapables de comprendre son origine. 
Le mot même de satellite est étranger au vocabulaire des habitants d’une commune peu au fait des percées technologiques spatiales. Il suscita des discours enflammés. Souleva l’enthousiasme des partisans des "lendemains qui chantent" et une mention spéciale de notre instituteur en début de la journée scolaire . Les scientifiques et ingénieurs les plus éclairés perçurent la vaste étendue d’explorations et d’applications technologiques ainsi ouverte. Spoutnik entrait dans l’Histoire de l’humanité, et provoqua, après un moment de sidération des gouvernements occidentaux, un formidable sursaut des Etats-Unis, qui les conduira au premier pas d’un homme sur la Lune, celui de Neil Armstrong, le 20 juillet 1969. Bien des gens ne le croiront pas et douteront de la véracité de ces promenades dans l’espace. Je suis certain que le Bi-Bip parut, lui aussi, d’une exceptionnelle banalité pour certains.
Aux Etats-Unis et en Europe, militaires, gouvernements et quelques scientifiques s’y attendaient, car on se trouvait encore dans la droite ligne des événements issus de la guerre mondiale. Les militaires, tout d’abord, tant le lancement de satellites provient directement d’une technologie pour laquelle ils se mobilisaient depuis 1945. Dans l’Allemagne dévastée, les services secrets russes et américains s’étaient livrés à une course poursuite aussi violente que discrète : objectif les V2, des fusées porteuses de bombes qui s’abattaient sur l’Angleterre, et les ingénieurs allemands qui les construisaient.

LA CHASSE AUX TECHNICIENS
Les Russes eurent l’avantage de la géographie, puisque les engins de mort partaient de Peenemünde, sur la côte Baltique. Les Américains eurent celui du peu de goût de l’ingénieur en chef, Wernher Von Braun, pour la Russie soviétique. Les premiers récupérèrent l’essentiel du matériel et quelques ingénieurs. Von Braun très anti-soviétique négociera avec les USA et aura son heure de gloire Outre Atlantique. Ce que l’on ne sait pas toujours, c’est que les Français ne furent pas absents de l’histoire, puisque des ingénieurs allemands apportèrent une contribution précieuse autant que discrète à l’aérospatial tricolore, l’époque des Véroniques et Diamants, lancés depuis le Sahara, puis de Kourou en Guyane.
De 1945 à 1957, Russes et Américains développèrent des missiles intercontinentaux, chargés de menacer l’adversaire de leur ogives nucléaires pour donner un sens à la guerre froide. Pourtant, à la suite des rêves caressés dès les années 1930 par quelques visionnaires Russes, Américains et Français, la volonté de sortir du berceau gravitationnel terrestre est déjà présente. Dès 1946, aux Etats-Unis, on souligne l’avantage psychologique qu’emportera le premier pays à lancer un satellite, ainsi que l’intérêt opérationnel pour l’espionnage militaire. L’idée que l’espace autour de la planète peut devenir un théâtre d’opérations militaires ,et un moyen de contrôle suprême, se répand dans les états-majors, qui y voient un avantage stratégique fort. En 1951, l’équipe de Serguei Korolev, l’ingénieur en chef côté russe, calcula les performances nécessaires à ajouter au missile pour le transformer en lanceur de satellites. La conquête de l’espace était partie, mais peu de monde ne croit alors véritablement que le projet puisse un jour prendre forme.
Le défi consiste à augmenter sa puissance et la durée de fonctionnement de ses moteurs de manière à accélérer une charge jusqu’aux environ de 30.000 km par heure, afin de la satelliser. Seul le succès sera retenu avec, le octobre 1957, une sphère d’aluminium de 83 kg pour un demi-mètre de diamètre, garnie d’azote, d’un émetteur radio et de quatre antennes, qui filera émettre son fameux bip-bip durant… 22 jours, et se consumera ensuite, le l4 janvier 1958. Puis Spoutnik-2 fut lancé, avec à bord de cet engin de plusieurs centaines de kilos, la chienne Laïka, le premier être vivant satellisé. Le défi entre les deux super puissances fut ensuite permanent, avec ses effets d’annonce plus extraordinaires les uns que les autres. On était loin de tout cela à Sadirac, en pleines vendanges, et au cœur de la saison des cèpes.

DES STATELITES PARTOUT
Le demi-siècle qui vient de s’écouler a vu les technologies spatiales se déployer à grande échelle. Depuis Spoutnik, près… de 6.000 satellites ont été lancés, dont mille entre 1996 et 2006, lors de 4.500 tirs de fusées. Hier apanage exclusif des deux superpuissances – et objet d’une féroce compétition d’image, de technologie et de puissance militaire – elles se répandent partout. L’Europe, le Japon, la Chine, l’Inde et Israël disposent de leurs pas de tir et de leurs fusées. Le Brésil, malgré ses déboires techniques, en est tout proche. La Corée du Sud s’y met aussi, achetant des technologies à la Russie. Le spatial reste affaire étatique : si les satellites de télécommunication sont assez rentables pour payer leur lancement, la plupart des satellites, civils et militaires, et leur lanceur, dépendent de financements publics.
En un demi-siècle d’astronautique, un millier de milliards d’€ aurait été investi pour explorer et exploiter ce nouveau monde. Surtout, l’usage des technologies spatiales s’est fait multiforme. Aucun champ des activités humaines n’y échappe : militaire, scientifique, économique, culturel… Peu d’endroits sur Terre qui ne soient accessibles à l’œil du satellite espion, à l’antenne de Satcom, à la surveillance du radar ou d’un capteur infrarouge. Les Bip-Bip n’existent plus et Spoutnik n’a plus rien à voir avec ces systèmes sophistiqués. Du fin fond du désert aux sommets des montagnes, en passant par la surface des océans, on n’existe que grâce à des liaisons ou des observations partant ou venant du pourtour de la terre.
Puissant outil de domination stratégique pour le Pentagone et la Maison Blanche. Enjeu géopolitique majeur, comme le montrent l’accès aux informations satellitaires ou les déboires du systèmes de navigation européen Galileo, concurrent du GPS américain. Mais les technologies spatiales sont aussi un banal moyen de travail pour le météorologiste, l’ingénieur des télécoms, le géographe ou l’agriculteur beauceron qui guide son tracteur au GPS, décide d’un dosage d’engrais à partir d’une image satellite, scrute le degré de sécheresse, s’enquiert des cours mondiaux du blé sur Internet. On ne peut plus réellement progresser sans le recours à ces engins volants identifiés, qui apportent des milliers d’informations instantanées sans lesquelles nous ne pourrions plus nous sentir libres ou en sécurité. Les satellites ont supplanté, dans le fond, les voyages habités dont on ne perçoit pas toujours l’utilité concrète pour le commun des mortels.

LES MILITAIRES REPRENNENT LA MAIN
Mais avec la fin de la guerre froide, " on a constaté que la balance penchait presque complètement du côté civil ", selon un conseiller scientifique de l'Agence spatiale italienne ASI, ancien astronaute. Ce pilote de chasse de formation, qui consacre 30% de son temps à l'Agence spatiale européenne et le restant à l'armée de l'air de son pays, prédit qu' "à l'avenir, la dimension militaire sera bien davantage le pendant de l'aspect civil qu'elle ne l'a été au cours des 20 dernières années ". Un retour au pas de tir initial !
Cosmo Sky Med, qui a pour maître d'œuvre la branche italienne du groupe franco-italien Thalès Alenia Space, est un ensemble de quatre satellites d'observation dont le premier a été lancé en 2005. Ce système sert à la fois à la lutte contre les calamités naturelles (incendies, séismes) et…à la surveillance militaire. Et c’est là que cet Italien tire le " bip-bip " d’alarme ! En Europe, " la dimension militaire des activités spatiales a été réorganisée autour de programmes spécifiques ", comme le système d'observation spatiale militaire français Helios, utilisé notamment pour le conflit afghan. Ses satellites permettent le ciblage, le guidage, la préparation de missions et la vérification des dommages de combat. On ne parle plus guère de météo et de surveillance des éventuels départs de feux.
Les militaires multiplient désormais les initiatives dans le domaine des technologies pouvant d’abord soutenir l’armée, puis le grand public. La principale référence en la matière est sans aucun doute le GPS développé par l'armée américaine, et qui est, à ce jour, le seul système de positionnement mondial en service, en attendant le déploiement du système européen Galileo qui patine pour des raisons budgétaires. L'utilisation de l'espace proche de la Terre à des fins militaires est une conséquence inévitable de la multiplication des technologies spatiales.
Les Chinois ont déjà montré qu'ils envisageaient un usage militaire de l'espace " lorsqu'ils ont fait un test antisatellite en janvier de cette année ", relève l'astronaute. Le 11 janvier dernier, l'armée chinoise a envoyé un missile balistique détruire l'un de ses vieux satellites météo, provoquant une mobilisation discrète du Pentagone contre une possible attaque de satellites américains. 
Un demi-siècle après le miracle de Spoutnik, le sens des réalités reprend le dessus, puisque désormais on ne va pas célébrer la réussite d’un lancement mais celui d’une destruction. Le virage semble inquiétant, et la poésie de ce bip-bip de mon enfance est bien loin. Là-haut, au royaume des rêves de sérénité et de paix !
Mais je déblogue…
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commentaires

E
Quel poète ce Youkaïdi ! ;-)
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Y
Bien sûr il y a une remilitarisation de l'espace en cours mais on peut considérer que, comme internet, ce qui était au départ uniquement militaire a quand même cédé le pas à de nombreuses applications civiles.Quand on y repense c'était quand même étrange cette course à l'espace, montrer sa force, la puissance de sa nation et de son idéologie à l'aune de sa capacité à aller dans l'espace et non pas le taux d'alphabétisation, d'étudiants, de lutte contre la misère etc ... Par contre l'attirance vers le cosmos, la poésie du noir céleste sont toujours là et chez de nombreuses personnes  ( "Foules sentimentales, avec soif d'idéal, attirées par les étoiles, les voiles ... " comme dirait Souchon ). Et un de mes rêves est que le voyage dans la proche banlieue terrestre devienne abordable avant que je meure pour pouvoir aller là haut, voir l'immensité étoilée et notre si jolie planète.
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