LES MEMOIRES FLANCHENT REGULIEREMENT

Il m’arrive souvent de répéter que le plus gros défaut des citoyennes et des citoyens c’est leur mémoire. Ils ne vivent que dans l’éphémère, persuadés que ce qu’ils ont connu ne se renouvellera pas, puisqu’il faut s’inscrire dans l’avenir. Le temps est à la réforme et au progrès sans tenter de respecter ce qui a pu se passer antérieurement. Dans le mouvement social actuel on voudrait opposer celles et ceux qui s’appuient sur le passé et les autres résolument tournés vers la modernité. 
Ce courant traverse aussi la vie politique depuis des mois car on a beaucoup entendu qu’il fallait expédier au cimetière les " éléphants " au prétexte qu’ils dirigent depuis trop longtemps la marche vers les " pâturages ". Plus de mémoire : il faut refonder ou réformer pour prendre la place ! C’est la loi naturelle conduisant à oublier tout ce qui peut, d’une manière ou d’une autre, refléter la durée. Elle n’est plus respectable. Place aux idées réputées nouvelles et aux gens patientant devant la porte pour les incarner ce qui permet aux pires réactionnaires d’occuper impunément, sur cette terre brûlée par l’ignorance, le créneau du souvenir.

Et pourtant l’Histoire démontre amplement qu’il faut sans cesse être sur ses gardes car le retour en arrière, par exploitation du manque de recul ne cesse de progresser. Les générations montantes de parviennent pas à distinguer le grain de l’ivraie. Il leur arrive même de se fourvoyer en oubliant que le modernisme n’autorise pas toutes les déchéances. Ce comportement touche toutes les sociétés.

Ainsi plusieurs centaines de sympathisants de l'extrême droite, surtout pas tous cacochymes, ont rendu hommage, hier, au général Franco, mort en 1975 et inhumé dans la vallée de los Caidos. C'est la dernière fois que les sympathisants étaient autorisés à se réunir dans la basilique où celui-ci repose. Adoptée par la majorité parlementaire socialiste, une loi récente sur la " mémoire historique ", qui condamne la dictature de Franco, va prochainement interdire tout rassemblement politique dans la vallée de los Caidos, immense monument que Franco avait fait construire au nord-ouest de Madrid à la mémoire de ses partisans tombés durant la guerre civile.

NES APRES LA MORT DE FRANCO

Des membres de la Phalange, pour bon nombre nés après la mort de Franco ce qui a tout lieu d’inquiéter, côtoyaient dans la basilique des familles de la haute société madrilène lors de la messe solennelle. A l'extérieur, des groupes avaient déployé des drapeaux frappés de l'Aigle de Saint Jean, qui a été retiré du drapeau espagnol rouge et or après l'adoption de la Constitution de 1978. Ils ont entonné l'hymne de la Phalange, "Cara al Sol" (Face au soleil), le bras tendu pour le salut fasciste. Tous les ans, les franquistes se réunissent à Los Caidos pendant le week-end le plus proche du 20 novembre, jour anniversaire de la mort du généralissime Franco et de celle du fondateur de la Phalange, José Antonio Primo de Rivera, exécuté par les républicains en 1936.
Samedi, alors que les partisans de l'ancien dictateur assistaient à une messe solennelle dans la basilique Santa Cruz de los Caidos, plusieurs centaines de militants d'extrême gauche se sont rassemblés à Madrid pour protester contre le meurtre d'un adolescent par un sympathisant fasciste le week-end précédent. A Barcelone, une marche du même type a dégénéré en violences. C’est l’illustration que l’on oublie de plus en plus vite et que les leçons données par les " anciens " sont très vite ensevelies. Les mêmes causes produisent inévitablement les mêmes effets.

Ces phénomènes récurrents dans les pays européens traduisent surtout une volonté manifeste de nier le passé et surtout de ne pas tenir compte de l’expérience portée par les acteurs de la vie publique. Ils sont relégués de plus en plus tôt dans les livres d’histoire alors que souvent ils ont servi de bouclier au déclin de leurs idées avec dévouement et pugnacité. Toute la campagne présidentielle a été consacrée à faire oublier le passé récent pour les candidats. Ils voulaient surtout que l’on n’évoque le moins possible leur parcours antérieur accréditant ainsi le concept du " nouveau né " pouvant sauver le monde. Qui se souvient par exemple du système policier de l’ex- République démocratique allemande et qui rappelle le rôle de la fameuse Stasi ?

CONTRAT REMPLI

Les anciens hauts agents de la police secrète de RDA, se sont pourtant présentés en " agents de la paix " ayant permis d'éviter une guerre, lors d'une conférence qui a lieu hier, et qui a été fustigée par l'organisme gérant les archives de la Stasi. Prévue à l'origine à Berlin, la conférence avait été annulée en raison de vives protestations et elle s’est tenue à Odense réunissant une soixantaine d'anciens hauts responsables de la police politique du régime communiste est-allemand qui ont justifié leur activité passée devant 250 participants, dont des chercheurs et d'anciens détenus de la RDA.

Les agents de ces services secrets auraient " rempli leur contrat ", à savoir " maintenir la paix " entre l'Est et l'Ouest pendant la Guerre froide, a estimé l'ancien numéro 2 de la Stasi, Werner Grossmann, dans une déclaration lue en son absence pour cause de maladie. " Contrairement à d'autres services secrets, nous n'avons pas fait de putsch, ni commis d'assassinats ou d'enlèvements ", a-t-il affirmé, en qualifiant " d'éclaireurs de la paix " les agents infiltrés en RFA. L'organisme allemand en charge les archives de la Stasi n'était pas présente à la réunion et en ouvertement critiqué la tenue.

La conférence était censée permettre une confrontation des points de vue entre experts et anciens de la Stasi, mais elle a viré à l'apologie de l'ex-police secrète, dans un forum où ses anciens membres étaient sur-représentés. " J'ai toujours été fier de mon travail ", a témoigné Ralf-Peter Devaux, un ancien haut responsable de la police secrète dont il a vanté les " excellents résultats ". Le transfert vers Moscou d'informations confidentielles de l'Otan a permis d'éviter une guerre, a affirmé Rainer Rupp qui était infiltré au QG à Bruxelles. Gabriele Gast, infiltrée au sein des services secrets de RFA, a déploré " la diffamation globale dont est victime la RDA ". Rappelons qu des milliers d'agents avaient été infiltrés en RFA et la chute du chancelier ouest-allemand Willy Brandt est due au plus célèbre agent de la Stasi, Günter Guillaume. Mais qui le sait et qui s’en souvient ?

L’HISTOIRE ET LA MEMOIRE

Notre société dénie de plus en plus toute valeur prospective au passé. Elle ne considère les faits et les individus qu’en temps " T " comme s’il n’y avait rien eu auparavant alors qu’ils ne sont tous que la résultante de circonstances qu’il est indispensable d’expliciter. Il faut déjà donc bien définir les mots car il sont souvent porteurs aux sens différents que les gens donnent aux mots. Il faut donc distinguer la production de connaissances sur le passé, la recherche, qui nécessite une méthode visant à expliquer, à faire comprendre car c’est l’histoire. La mémoire est plus dans l’ordre du jugement, de la volonté de sauver de l’oubli.

Ces deux rapports distincts au passé sont fondamentaux et il serait absurde de vouloir les hiérarchiser. Faire passer dans la mémoire collective des éléments qui viennent de la recherche est la seule légitimité des historiens au sein de l’espace public. Et pourtant les deux, mémoire et histoire, sont en passe de disparaître progressivement sous l’influence du culte du progrès comme si les bases de toute évolution ne reposait pas sur des fondations antérieures.

Je crois que ce que nous vivons actuellement avec l’affaiblissement du mouvement ouvrier et des luttes sociales donne le sentiment qu’il y a toute une série de mécontentements et de frustrations qui ne sont plus exprimés ni entendus. La nature ayant horreur du vide, d’autres courants de protestations, comme ceux de la mémoire, viennent occuper cet espace. Les groupes " d’entrepreneurs de mémoires " viennent revendiquer une souffrance qui est compréhensible, mais de plus en plus de personnes sont obligées de se référer à cette nouvelle règle du jeu. C’est extraordinairement malsain car l’absence de résultat ouvre la porte à tous les abus. Les extrêmes adore le vide des consciences car ils peuvent l’occuper avec du prêt à penser. Jean Marie Le Pen l’a d’ailleurs parfaitement compris hier en revenant à son discours bien rodé avec ses formules toutes prêtes inspirées par la négation de l’histoire.

Dans le conflit des cheminots on constate aussi que le gouvernement, bien aidé par les médias, surfe sur l’ignorance absolue de la majorité qui ne voit dans leur statut que celui de " privilégiés "…sans même savoir ce que ce qualificatif signifie car la Révolution de 1789 est bien loin !

Certains hommes politiques jouent le jeu du clientélisme pour récupérer des voix et profitent grandement de cette plaie béante dans la culture collective. L’oubli est en effet le plus terrible des fléaux. Ils le savent et l’entretiennent avec soin. Ce n’est pas pour rien que certains prônaient la disparition totale de mai 68. Sait-on jamais, il pourrait revenir à la surface.

Mais je déblogue…

Comments

[FRANCO Nanou]

Je me demanderai toujours comment les citoyens font pour être anesthésiés à ce point. Tout le monde oublie et oublie bien vite. Ils oublient que leur qualité de vie d'aujourd'hui ils la doivent à leurs aînés qui ont lutté pour qu'ils l'obtiennent. On oublie toute décence et ont négocie avec Khadafi alors que de nombreuses familles sont encore à pleurer les morts des attentats commandités par lui. Les espagnols oublient que ce fameux "valle de los caidos" est tâché du sang des prisonniers qui n'avaient de choix qu'entre le garot et monter sur des échafaudages de fortune pour construire ce monument. Monument béni par Jean XXIII. Que dire du nouveau pape qui veut canoniser les religieux morts pendant la guerre d'Espagne et qui ont été martyrisés au nom de "foi".Si l'on devait canoniser les morts pour la liberté et pour l'égalité je crois qu'il nous faudrait des années avec beaucoup plus de jours.Après tout peut être que l'amnésie est un virus qui se propage à la vitesse grand V.