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13 mars 2006 1 13 /03 /mars /2006 07:17

La solidarité que l'on doit aux autres n'est pas nécessairement admirable quand elle prend une forme médiatique. Il faut pourtant se rendre à l'évidence, cette pratique se généralise et change totalement le contexte dans lequel la société, en général, est conduite à soutenir celles et ceux qui traversent des difficultés économiques ou physiques. On vend du "A votre bon coeur m'sieurs dames !" comme un produit ordinaire. Et, il faut bien en convenir, toutes les organisations qui ne se conforment pas à cette "marchandisation" de la générosité sont condamnées, à plus ou moins long terme, à mettre la clé sous la porte.
Les Restos du Coeur, soutenus par le show-biz au nom de l'estime que le milieu a eu pour Coluche, sont ainsi largement plus connus que La Banque Alimentaire, pourtant porteuse d'un concept social beaucoup plus citoyen. La Croix Rouge fait davantage "recette" que le Secours Populaire Français pourtant très près du terrain. Dans le milieu scolaire, l'opération "Pièces jaunes" mobilise beaucoup plus que les Pupilles de l'Enseignement Public (1),  pourtant en prise directe avec la scolarisation des enfants malades.
A chaque fois, il y a derrière l'appel de fonds national la notion de vedettariat, dont on ignore souvent qu'il a un arrière goût financier. On oublie en effet de signaler que des participants à des galas, des plateaux télé, des déplacements, sollicitent des attestations leur permettant de défalquer de leurs revenus le montant des cachets qu'ils sont censés abandonner. Et ce après, bien évidemment, la prise en charge de leurs frais réels.
Les organisateurs quémandeurs font tout simplement un calcul de rentabilité : combien rapporte la venue de telle ou telle personne, et combien potentiellement coûte-t-elle? Si la différence est sensible, il ne faut pas hésiter ! Tant pis pour les autres associations de solidarité qui n'ont pas accès à Michel Drucker.

LA SIGNIFICATION D'UN ACTE GENEREUX

Ainsi cette année, pour les pièces jaunes de Bernadette Droopy Chirac, la brochette entourant David Douillet, avait été choisie par une boîte de com' : M-Pokora, Corneille, Marc Lavoine, Jenifer, Chimène Badi et quelques autres vedettes de la télé. La motivation des enfants collecteurs s'en trouve décuplée, mais pas forcément la signification de leur geste généreux. Le journal télévisé de TF1 accorde plusieurs minutes à cette action, ce qui rassure Papi et Mamie, et la récolte peut commencer !
Au total, sur le parcours du TGV spécial affrété gracieusement par le SNCF, des tonnes de pièces jaunes sont tombées cette année dans l'escarcelle. Je ne songe pas à remettre en cause l'utilisation de ce pactole destiné aux enfants hospitalisés, mais plutôt à savoir s'il n'est pas tout simplement préférable d'éviter les frais, et de les rétrocéder... directement aux organismes d'accompagnement concernés.

Un conseiller municipal de Carpentras, où s'est arrêté le TGV "Pièces jaunes" le 28 janvier dernier a, par exemple, publié ce jeudi 8 mars un texte dans lequel il résume la problématique de cette générosité médiatisée, effectuée chez lui en présence, excusez du peu, de Magalie (Star Academy 5), Mat Pokora, K-Maro, Gage, Assia, Sofia Essaïdi, Chris Stills... Marcel Magon l'élu, en question, ne part pas sans biscuit dans la critique : « Bernadette Chirac est venue à Montélimar pour récolter ses pièces jaunes. 200 kg de pièces ont été recueillies (correspondant à environ 10 000 Euros ). J'ai interrogé M. le Maire ( UMP ) de la ville pour savoir combien cette opération nous avait coûté. Sans compter le prix de l'affrètement du TGV spécial, du détournement de plusieurs trains sur l'Ardèche, le coût du personnel des services techniques et de la police municipale.., la ville a déboursé 80 000 Euros ( pris sur nos impôts locaux, bien sûr ). Mais, plus choquant encore, les chambres et repas, dans un des meilleurs hôtels restaurants de le région, pour « la première dame de France » et son aréopage de 130 personnes, ont été réglés avec un chèque de l'association « Opération Pièces Jaunes ».... Quand on pense à tous les petits enfants qui ont cassé leur tirelire pour faire de la publicité à Mme Chirac, au Maire de Montélimar, et payer ces agapes ! ». Avouez qu'il y a quelque chose de triste (au minimum) au royaume de la solidarité!

VERS LES PERSONNES EN DIFFICULTE

Il est cependant extrêmement difficile de ne pas se sentir coupable face à ces appels multiples à l'entraide. Ainsi en France, les statistiques les plus récentes que j'ai pu collecter font apparaître 46% de donateurs réguliers, quelle que soit la forme du don, soit près de 21 millions de personnes, âgées de 15 ans et plus. Le montant total des dons approchait les 1,9 milliards d'euros il y a maintenant trois ans.
Depuis, il est en baisse, si l'on excepte l'année du tsunami qui aura engendré des gestes exceptionnels. Le contexte économique ne constitue pas la seule explication à cette démobilisation "financière". Elle prend racine dans la nature même des préoccupations des gens. La précarité galopante ne favorise guère la prise en compte des avatars de la vie rencontrés par les autres. On a assez de mal à se sortir d'une sensation forte d'insécurité sociale, pour tendre la main afin de sauver celui qui s'y trouve.

C'est l'aide aux personnes en difficulté et les services sociaux qui attiraient en 2002 le plus de dons : 49% des personnes qui avaient fait un don s'étaient orientées vers cette cause. 29 % d'entre elles avaient donné pour la santé et 24 % pour la recherche et la recherche médicale. L'aide au Tiers-monde était en légère progression à 18%. L'environnement restait faible à 5%.

CAPTATION MEDIATIQUE DE LA GENEROSITE

Le problème c'est de se poser la question de savoir où finit le rôle de l'Etat sur des causes d'envergure nationale, et où commence celui des associations caritatives. Est-ce aux particuliers de financer, par une défiscalisation, la recherche médicale ? Est-ce aux gens modestes, et notamment les retraités, de contribuer par leurs dons au droit à la santé dû à tout citoyen français? Est-ce à des enfants de collecter des fonds pour que leur copain et leur copine puissent bénéficier d'un peu plus de confort à l'hôpital ?
Le paradoxe réside dans le fait que ces sommes, déductibles des impôts (jusqu?à 60% pour ceux qui en payent) constituent d'une manière indirecte une forme d'auto-imposition destinée à contribuer à des actions relevant de la puissance publique.
Cette tendance de captation médiatique nationale de la générosité, a des conséquences sur le quotidien, puisque la proximité de l'entraide disparaît progressivement. Lentement mais sûrement le geste simple, facile, direct consistant à soutenir un voisin, un ami, un parent et encore plus un "étranger" sur un trottoir ou dans un hall s'estompe. On s'en remet à des organisations réputées efficaces ou rigoureuses (voir plus haut) et on passe à coté, la conscience tranquille. Pas moi.
Je demeure, par exemple, persuadé que les difficultés de la sécurité sociale, dans le pays fondateur de la Mutualité? sont partiellement imputables à la disparition progressive du concept de solidarité au plus près des réalités. A partir du moment où, même dans les villages, on n' échange plus, on essaie par tous les moyens de ne pas voir, d'ignorer tout de l'autre, ou on n'agit plus en faveur de l'autre, il ne faut pas s'étonner qu'à l'échelle de la France, l'égoïsme soit la valeur la plus partagée.
On devient consommateur de solidarité, et surtout pas acteur, sauf dans les moments d'émotion collective portés par la télé. Il suffirait pourtant de bien examiner ce qui s'est passé l'an dernier en Louisiane pour aisément prédire ce qui nous attend.

Mais je déblogue?
(1) voir le site www.lespep33.org

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commentaires

V
Concernant Bernadette et les pièces jaunes, lire aussi le livre de John Paul Lepers 'Mâdame', élocant sur les méthodes de la 1ere dame de France. (A voir aussi sur le site johnpaullepers.blogs.com , enfin un journaliste indépendant, lui aussi victime d'une censure du pouvoir...)
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