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18 mars 2006 6 18 /03 /mars /2006 08:52

Il paraît que, quel que soit le nombre d’accouchements, une femme ressent les mêmes craintes. Elle ne s’habitue pas à donner aisément la vie, car la « mise au monde » implique une responsabilité spécifique, un courage particulier.
Je suis certain que vous allez trouver la comparaison un peu osée mais hier, j’ai probablement éprouvé, durant toute la journée, cette sensation. Anxiété, impatience, lassitude, crainte puis un immense plaisir et un soulagement.
J’attendais, en effet, depuis plusieurs mois, un instant que pourtant j’ai déjà connu à deux reprises : celui de tenir, dans mes mains, un nouveau bouquin que j’ai écrit ! Seuls celles et ceux qui ont longuement porté ce projet savent quelle délivrance représente la livraison des premiers ouvrages édités, de ce que vous avez conçu.
Vous craignez je ne sais quel accident de parcours, même si on s’évertue à vous expliquer qu’il n’ y a aucune raison de  vous inquiéter ! Vous montez des scénarii catastrophes, alors que tout roule au mieux. Vous avez peur qu’au tout dernier moment une trahison intervienne, alors que tout le monde mérite votre confiance ! Vous attendez le jugement des autres sur ce qui représente, que vous le cherchiez ou non, une part de vous-même. Etre auteur, dans n’importe quel domaine, c’est surtout être porteur de quelque chose en devenir.
Un livre constitue une véritable aventure. Et j’admire véritablement ceux qui en produisent beaucoup, car ils doivent avoir une capacité exceptionnelle de détachement du quotidien et de son stress, pour pouvoir créer sans se lasser. L’écrit engage, car rien n’échappe aux lecteurs. Derrière chaque mot se dissimule peut être un problème…et, par expérience journalistique, je sais que forcément quelqu’un ira le dénicher. Aucune faute ne vous sera pardonnée, car elle est inscrite sur la page blanche et ne saurait être contestée.
Quand le livre, fils de votre esprit, vient au monde, vous ne pouvez que rêver bien l’élever, afin que bien plus tard, il ne vous fasse pas honte.

LES SECRETS DE VOTRE ESPRIT

La volonté d’écrire a quelque chose de narcissique, car elle vous expose encore plus au regard, que vous souhaitez approbateur, des autres. Vous déposez, à travers des phrases, ce que les secrets de votre esprit pourraient paisiblement conserver sans incident.
Je crois donc sincèrement que si j’écris, c’est probablement pour me sentir moins seul quand pèsent les mauvais moments de la vie. A l’école déjà, je n’ai jamais eu de difficultés à affronter le passage étroit d’une passion dévorante pour la lecture, à la contrainte de l’écriture. J’ai souvenir d’avoir conçu les rédactions comme des défis et, plus tard, les dissertations comme des épreuves sportives. D’ailleurs il m’est arrivé, à l’Ecole Normale, de rédiger trois ou quatre textes différents sur une même thème, afin de les échanger contre d’inextricables devoirs de maths ou de physique. J’avais alors la satisfaction, au moment de la remise des copies, d’avoir effectué un marathon dont parfois les résultats n’étaient pas à la hauteur de mes espérances.

Quand vous vous lancez dans un livre, la responsabilité est toute autre, car vous êtes bel et bien seul. Nul ne vous a contraint à produire. Il s’agit, surtout, de régler un problème avec vous-même. Les premières lignes sont décisives. Elles peuvent traîner dans votre tête durant des années, se dissoudre, se métamorphoser, se renforcer, mais quand elles seront sur la feuille, elles constitueront les premières mailles d’un tricot plus ou moins compliqué. En ce qui me concerne, je ne sais plus, ensuite, m’arrêter. La passion d’enchaîner les mots me poursuit et me ronge. Elle ne me laisse parfois aucun répit, tant elle occupe mes pensées. J’aime passionnément les agencer, les ajuster, les disposer à ma manière. Je me laisse envahir par eux afin de décrire ce dont parfois, je n’ai qu’une vague idée de départ. Comme on avance en marchant, on conçoit en écrivant.

VOUS REVENEZ SANS CESSE SUR LE METIER

Le livre qui sort aujourd’hui aura nécessité des centaines d’heures d’insatisfaction. Le pire c’est en effet quand, le lendemain, un jour, une semaine, un mois après, vous revenez sans cesse sur le métier. L’ouvrage ne vous satisfait jamais. Il n’est jamais assez parfait, assez « fignolé », et là débute le véritable supplice. Il réside dans une auto-destruction permanente de ce que vous avez cru terminé. Vous réajustez, vous modifiez, vous vous contredisez, vous compliquez souvent ce qui était simple.
Vous ennuyez aussi fortement votre entourage, en cherchant le repli sur une abstraction dont vous êtes le seul à posséder le sens. Impossible de vous adresser la parole, vous êtes dans un monde mouvant dans lequel vous risquez fort de vous enliser.
J’ai alors besoin de me rassurer dans le regard de l’autre. Très dur de l’admettre quand, comme moi, vous avez été enseignant, donc forcément censeur des autres. La recherche d’un verdict vous rend toujours modeste… Afin de rester dans mon système de pensée et de me rassurer, j’ai toujours confié les épreuves, à des profs de français agrégés car, même si c’est bizarre, ils représentent pour moi encore des références, une assurance contre la médiocrité. Leurs remarques frappent juste et ils cumulent l’avantage de pouvoir s’attacher au fond et à la forme. Après leur échographie, je sais si « l’enfant des mots » pourra valablement venir au monde… Beaucoup ont peur de leur intransigeance, qui les ravale au rang d'élève souffre douleur.

TROUVER « L’ACCOUCHEUR »

L’épreuve s’allonge indéfiniment puisqu’il faut ensuite trouver « l’accoucheur ». Cette quête, beaucoup plus délicate que dans le monde médical, peut vous conduire à la déprime. Trouver un éditeur constitue la plus ingrate des épreuves. Vous expédiez, à quelques maisons supposées intéressées, votre ouvrage qui, désormais, n’est plus manuscrit, et vous attendez avec la même angoisse que le malade guettant l’arrivée dans sa boite aux lettres de la feuille lui donnant le résultat de ses analyses.
Enorme chance, les premiers auquel j’ai transmis, jusqu’à présent, les miens ont été preneurs. Je n’ai jamais attendu fébrilement une réponse. Peu importe alors les contrats, les modalités financières, les contraintes légales : vous acceptez, car vous avez l’assurance de faire passer vos mots du virtuel au réel .
Vous confiez donc volontiers le sort de l’accouchement à des mains expertes, dont on sait qu’elles seront là au moment voulu pour faire face aux imprévus techniques de toute sorte. Il est pourtant indispensable qu’un climat de confiance existe, car autrement, vous aggravez votre cas! Et le doute revient...

Entre temps, vous expédiez quelques bouquins, confectionnés par vos soins, chez des amis divers, et vous attendez. La rapidité de leur réaction constitue le meilleur des signes. Si, très vite, ils vous donnent un avis, c’est qu’au moins ils ont eu envie de parcourir ce qui est encore mal ficelé et qui ne pourra être qu’amélioré. Le gage le plus rassurant, c’est quand 48 heures après, le découvreur se manifeste : il a été intéressé puisqu’il a abandonné ses occupations traditionnelles pour venir chez vous, dans votre histoire.
Enfin, il reste la diffusion. C’est la partie la moins pénible, car elle ne vous procure que de rares retours. Le livre parti en des lieux inconnus ou amis, vous ignorez l’usage qui en sera fait. Mise en rayon dans une bibliothèque d'apparat sans ouverture ? Calage du pied d’une table bancale? Décor sur poste de télévision ? Compagnon éphémère d’une nuit blanche ?…
Plus vous êtes modeste dans votre approche, et plus vous avez de chances de ne pas être déçu…

Mais je déblogue…

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P
Des racines et des "L".<br /> Au printemps 1952, ma mère m'a mis au monde, comme elle l'avait fait trois ans auparavant pour mon frère, dans la belle ville de Nantes. Mais à cette époque, la vie d'itinérance que l'amour qu'elle avait pour mon père la conduisait à accepter, la mettait également dans l'incapacité de s'occuper à temps plein de ses enfants. Mon sort fut donc celui de mon frère qui avait déjà vécu ses trois premières années chez une "nounou" Nantaise. Mais la brave dame ne pouvant s'occuper d'un bébé de plus, le hasard fit ainsi que j'allais passer les quatre premières annéees de ma vie dans une famille d'accueil. Mes souvenirs de cette période sont très ténus, mais tenaces. Je me souviens surtout de promenades, ou peut être d''UNE promenade mais que j'aurai voulu refaire cent fois tant,  des années après, j'étais encore certain d'avoir volé, assis à califourchon sur le réservoir de la moto familiale, que je partageais (ou que j'avais partagé) avec une petite fille. A l'opposé, me reste l'image de longs vers blancs que l'on s'obstinait à vouloir me faire ingurgiter, alors que je ne pouvais pas être le seul à m'apercevoir qu'ils étaient vivants. Les autres aussi devaient remarquer leurs petits yeux noirs. Je sus plus tard que les petits yeux noirs qui me hantaient n'étaient autres que du poivre et que les verts blancs n'aient composés que de farine et d'eau, le tout ayant plus naturellement l'aspect d'un plat de spaghetti. Un jour de 1956, mes parents vinrent me rechercher et je connus celui qui allait être mon aîné de frère. De mes quatre premières années, c'est à peu près tout ce qui me reste, car à la maison on ne parlait pas de cette période sans souvenirs communs. Et de cette famille qui s'est occupé de moi, il ne me reste que le nom : ils s'appelaient ROSSI. Ils étaient italiens.
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