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3 juin 2006 6 03 /06 /juin /2006 07:17
La fête métissée garde son attrait. Elle continue, dès qu’elle se déroule sur un espace public largement ouvert sur la vie, à attirer la diversité de la foule, pour peu qu’elle propose des musiques acceptables par le plus grand nombre. Cette nuit jusqu’à tard, j’ai tenu, avec d’autres bénévoles, pour la 21° année consécutive, le stand des grillades de la nuit créonnaise, dédiée aux rythmes du monde. Un moment fort de notre vie culturelle, justement parce qu’il permet à toutes les générations, à toutes les couches sociales, de se retrouver dans des concerts donnés au cœur même de la ville bastide. Si Jack Lang n’a eu qu’une seule idée dans sa vie publique, elle demeurera, pour longtemps, celle de la création d’un rendez-vous institutionnel autour de musiques partagées. Il aura eu le mérite de faire valoir, avant tout le monde, que les soirées durant lesquelles des musiciens lancent leurs notes à la volée, pouvaient rassembler par delà les clivages habituels du quotidien. Pas de marches militaires, pas de restrIctions, mais la liberté ordinaire d’aller où bon vous semble, sans trop se soucier des conséquences.
Durant cette nuit j’ai, une fois encore, constaté que les gens ne sont pas majoritairement comme l’opinion dominante voudrait qu’ils soient. Ils sortent, ils flânent, ils écoutent, ils discutent, ils boivent un coup ou mangent un rien, mais surtout ils échangent… alors que l’on essaie par tous les moyens de les dresser les uns contre les autres, qu’on les prétend recroquevillés sur leurs égoïsmes, abandonnés par l’idée même de vie collective possible. Je connais personnellement, beaucoup de celles et ceux, jeunes et bien moins jeunes qui étaient présents cette nuit, et je suis certain de leur approche sociale.
Réunir sur une place de village des centaines, voire deux mille, personnes venant d’horizons différents, constitue un véritable bonheur, beaucoup plus grand que celui qui consisterait à les mettre dans une salle de spectacle, ou de les voir rassemblés devant un écran de télévision. Ils vivent au moins quelques minutes ensemble. Ils se respectent, sans trop se soucier de la pesanteur imposée par les certitudes parisiennes des étranges lucarnes. Ils sortent, l’espace d’une nuit, des discours péremptoires de ceux qui prétendent les… représenter, sans véritablement les connaître ! Ils se croisent, s’ignorent certes parfois, mais pour leur très grande majorité se prêtent au jeu de la musicothérapie sociale.
UNE FORME DE CULTURE DU PARTAGE
Seule les fêtes populaires permettent cette approche collective d’une forme de culture du partage. Enfants ravis de présenter le fruit de leurs apprentissages à un public acquis à l’avance à leur cause, groupes plus ou moins professionnels, heureux d’occuper le devant d’une scène qu’ils croyaient réservée aux idoles médiatiques fabriquées pour le profit de leurs créateurs, concepteurs d’un spectacle sur les migrants, en une époque où la tonalité est davantage à l’anti-migration, les preuves ont été fournies, pour la vingt et unième année consécutive, que la France n’est pas aussi désespérante que l’on veut bien le faire croire. Elle garde, enfouies en elle, des sensations qui lui ont toujours permis, jusqu’à présent, de résister aux tentations du repli angoissant sur le seul véritable danger social : la peur de l’autre !
L’une des vertus de la diversité de la musique, c’est qu’elle reflète la diversité des cultures, et qu’elle transgresse donc les a priori détestables. Son langage est universel, et rien ne permet de ne pas s’approprier la création des autres. Elle devient un " outil " indéniable de liberté.
Quand hier soir, à travers la fumée des merguez, je repère en silence, sur scène, parmi les dynamiques membres du groupe des " Zapéros musico ", des pères et des mères de famille qui furent les premiers bénéficiaires, enfants, de la création de Musique en Créonnais, j’avoue éprouver un sentiment secret de fierté. Il y toujours un défi à la mise en place d’une structure destinée à diffuser la culture, à croire en son utilité et plus encore en sa pérennité, dans un monde fait de foucades et d’instabilité. En constatant que deux décennies plus tard, ils expriment encore leur joie de vivre dans une fête, au cœur de leur village, on ne peut que penser qu’il ne faut jamais renoncer à croire en l’éducation. Le reste n’est qu’envolée d’estrade, effet d’annonce, combat déconnecté de la réalité.
LA SIMPLICITE DU TEMPS DONNE AU SUPERFLU
Je me suis brûlé les doigts en cueillant des merguez sur des barbecues d’enfer. J’ai couru pour ravitailler des ventres affamés ayant des oreilles, qui se pressaient devant les tables. J’ai, une fois encore, aimé par-dessus tout ces retrouvailles avec la simplicité du temps donné à ce qui est superflu, car supposé non rentable. Quelle valeur a, en effet, un concert dans une société de l’efficace, de l’absolument quantifiable, du dramatiquement " sec " ? Aucune. Sauf celle que l’on devrait lui donner. Or, cette nuit là recèle pourtant des vertus exceptionnelles.
Celle de l’engagement citoyen, car elle ne repose que sur le dévouement des femmes et d’hommes de conditions bien différentes qui se retrouvent pour organiser, gérer, animer des instants dédiés aux autres. A Créon, du creuset de la participation, sont sorties bien des vocations plus ambitieuses. Elles ont parfois duré ce que durent les roses des bonnes intentions, l’espace d’un jour, mais beaucoup d’entre elles ont su perdurer en basculant dans d'autres engagements exigeants. La déception guette nécessairement les gens qui s’impliquent. Le doute les assaille souvent, quand ils constatent que leurs efforts désintéressés ne rencontrent pas un écho favorable.
On m’a tout dit sur ce sujet, et on m’a asséné des prédictions désastreuses sur la fin programmée du bénévolat associatif, condamné à mort car déconnecté de toute notion de profit pécuniaire. Le constat demeure : avec un brin de conviction, il demeure possible d’entraîner dans son sillage des gens prêts à s’engager sans grandiloquence sur la citoyenneté. Dans une étude faite il y a déjà une vingtaine d’années dans les quartiers de Marseille, touchés par la montée fulgurante du Front national, les conclusions étaient à cet égard sans ambiguïté. Partout où les rendez-vous simples, festifs, gratuits (concerts, kermesses des écoles, colonies de vacances, troupes de théâtre, écoles de musique, cinéma de proximité…) avaient disparu, le même syndrome s’installait : le repli sur soi et donc la haine de l’autre.
Lors de dernières présidentielles, le constat politique était particulièrement clair sur le territoire de la communauté de communes : le FN a fait de pourcentages faramineux dans des petites entités ayant bien des difficultés matérielles pour favoriser l’échange entre les électrices et les électeurs. Souvent, cet échec ne repose pas sur un manque de volonté, mais plus prosaïquement sur un manque de moyens.
Parfois aussi, ce sont les élus eux-mêmes qui ne donnent pas l’exemple, en restant chez eux pour cultiver le jardin de leurs égoïsmes, mais… ils finissent tôt au tard par le payer chèrement ! Plus que jamais, je crois à la valeur de l’exemple, et pas nécessairement à celle des programmes.
Même si toutes les musiques n’adoucissent pas les mœurs, elles réchauffent au moins les cœurs de celles et ceux qui ont des convictions et qui continuent à les pratiquer. Une théorie qui en vaut bien d’autres, plus politiques, mais moins exigeantes à mettre en œuvre.
Mais je déblogue…
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commentaires

N
 Bonjour,<br />   Très belle réussite pour cette fête .J'ai écouté ,regardé ,acheté..,rencontré  ...J'ai vu des gens heureux ,curieux ,attentifs , respectueux des différences...<br />  Je suis rentré content de cette soirée , regettant simplement de ne pas avoir eu  le temps de tout voir, de tout écouter ..<br />         Choisir c'est aussi renoncer..<br />                Félicitations aux organisateurs<br />                 Christian Nouaille<br />  <br />  
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