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6 juillet 2006 4 06 /07 /juillet /2006 00:07
Il y a maintenant presque 40 ans, je n’avais jamais eu le privilège, aussi incroyable que ceci puisse paraître, d’être allé à Paris. Le voyage représentait pour moi un déplacement extraordinaire, que j’ai pu accomplir à plus... de 20 ans. J’en garde un souvenir extrêmement précis. D’abord, parce que ce furent mes débuts officiels d’une vie militante qui n’a toujours pas trouvé son terme. Le seul fait de représenter mon syndicat, en cette année 1967, me gonflait ensuite d’une fierté particulière, puisque je n’avais été jusque-là élu que responsable de promotion à l’Ecole normale. Le sérieux que j’apportais à cette mission me paraît, avec le recul, un peu ridicule, mais je ne vivais pas les responsabilités à moitié.
Le billet m’ayant été payé par la section départementale du Syndicat National des Instituteurs (feu le SNI) je pus donc prendre un train la veille, pour représenter, comme secrétaire de la Commission des… Jeunes à une réunion nationale. Une véritable aventure pour quelqu’un qui n’avait jamais emprunté le train (et oui à 20 ans, je n’étais jamais monté dans un wagon !) encore moins le métro, et ignorait tout de la vie parisienne. J’aurais tant de sensations à conter, mais je me garderai de vous gâcher votre euphorie en ce lendemain de demi-finale de Coupe du Monde. Je ne vous citerai qu’une seule phrase de Michel Bouchareissas, alors secrétaire national des jeunes du SNI. Appliqué, attentif, silencieux, j’écoutais un discours fleuve de celui qui maniait l’humour incisif avec un talent que je n’ai retrouvé depuis chez personne d’autre.
En une époque où l’Education encore nationale recrutait massivement celles et ceux que l’on appelait les " suppléants éventuels ", il eut cette envolée critique qui me sidéra : " ils ne sont que les Portugais de l’Education nationale. Ils sont exploité comme les Portugais… " Je fus surpris par cette comparaison, car elle choquait ma conscience et mes souvenirs de petit-fils d’immigré italien. J’ai toujours eu peur de " payer " un jour ces propos qui n’étaient pourtant empreints d’aucune animosité. Ils reflètent pourtant une époque, celle où l’immigration était déjà choisie. Après justement les Italiens et les Espagnols, les Portugais avaient aboli une nouvelle frontière, en la franchissant clandestinement par les chemins des contrebandiers du Pays Basque. Ils devenaient, en arrivant sur notre sol, des " Portos " comme leurs prédécesseurs avaient été les " Espadres " ou les " Macaronis ".
LA FRANCE DE LA MIXITE SOCIALE
Ces " Portos " retrouvaient, hier soir, d’égal à égal, la France de la mixité raciale, celle qui désormais ne peut plus les empêcher de vivre de leur savoir-faire où bon leur semble. La plupart de ceux qui s’alignaient sur la pelouse de Munich, appartenaient aux artistes du football européen alors qu’ils ont, eux aussi, des origines bien diverses. C’est probablement ce qui a fait la force du football : permettre aux immigrés, depuis un siècle, de s’intégrer grâce à un jeu aux règles simples, universellement comprises. Point n’est besoin de parler l’espéranto pour jouer, côte à côte, alors que l’on ne possède pas, à l’origine, la même langue. De tous temps, avant l’invention du communautarisme, le ballon rond, symbole de la forme même de la planète servait d’outil formidable d’intégration.
Dans combien de villages ," l’immigré " trouvait sa place dans la société grâce à sa participation à la pointe de l’attaque, ou en pilier d’une défense intransigeante protégeant un gardien d’une autre nationalité… Il finissait par se faire accepter, par forcer l’admiration, et parfois par... épouser une supportrice plus sensible aux dribbles que les autres. Cette " machine à intégrer " n’a jamais cessé de fonctionner jusqu’au moment où des clubs à vocation nationaliste ou même confessionnelle sont arrivés sur le tapis plus ou moins vert des stades. La machine a alors bafouillé quand les Portugais de Pau, le Maccabi, le Solar, l’Etoile algérienne…et beaucoup d’autres ont souhaité montrer leur supériorité collective. L’exemple du repli identitaire a servi de support à bien des excès que parfois, dans les " banlieues ", certains ont vite exploités. Cette lente évolution, si elle s’accentuait, mettrait à mal les valeurs portées par le sport collectif et notamment le football, dont on ne sait pas qu’il concerne plus de " pays " que l’ONU elle-même !
LE PORTUGAL A MANQUE DE CULOT
Dans la confrontation entre une France bizarrement moins sûre d’elle que contre le Brésil, le Portugal a manqué de culot, comme si le complexe des années soixante ressurgissait. Une forme d’impuissance collective vis à vis de ceux qui demeuraient les " patrons ". Une certaine forme de culture séculaire entre peuples planait sur la rencontre. Elle reposait sur ces difficultés qu’ont les arrivants au haut niveau à être eux-mêmes. Ils hésitaient à se livrer totalement, comme ces gens venus d’ailleurs qui se cachent pour conserver leur identité. En fait, plutôt que de s’épanouir dans leur jeu, ils surveillaient les patrouilles françaises susceptibles de leur coller une seconde contravention avant l’expulsion définitive du tournoi. On aurait dit des  sans papiers pensant que le salut résidait dans le chacun pour soi.
Ronaldo jouait au mauvais gamin râleur, en tentant de tricher pour devenir une vedette qu’il peut être sans ses simagrées inutiles. Figo, en vieux de la vieille, utilisait la technique des poseurs de pavés en frappant sans arrêt pour tenter de faire craquer un sol plus résistant que prévu. S’époumonant comme un manœuvre cherchant désespérément à approvisionner le chantier, Déco finissait par voir s’enfuir tout son talent. Ricardo, sanctionné par un coup de patte destructeur du maître Zidane, multipliait les gages de solidité, sans pour autant parvenir à rassurer son camp.
Cette impuissance collective venait justement de cette défense française, pourtant composée de talents venus d’horizons divers. Un véritable mur infranchissable renvoyait les espoirs des Portugais à plus tard. Pas de larmes pour eux en fin de match. Seulement un zeste de résignation dans les regards, comme si le ciel qu’ils imploraient tous en entrant dans le temple n’avait pas voulu les aider. Nombreux parmi eux vinrent embrasser leurs " bourreaux " comme un acte symbolique de soumission.
UNE ARDEUR EFFACANT TOUS LES RENONCEMENTS
Les Bleus, en patrons intransigeants, se sont pourtant contentés de camper sur leur avantage, acquis un peu injustement, car contre le cours global du jeu, mais jugé non négociable. Ils ont résisté avec une ardeur effaçant tous les renoncements antérieurs. Visiblement soucieux de respecter le " devis " qu’ils avaient collectivement signé, ils ont témoigné d’une solidarité dont on se demande comment elle pourrait être plus forte. Un Thuram exceptionnel, incisif et décisif. Un Sagnol toujours aussi vaillant. Un Gallas sûr et sobre. Un Abidal d’un niveau inférieur mais finalement solide. Un Makélélé insatiable dévoreur d’espace et de ballons. Vieira le héron des stades dégotait dans le marigot central quelques belles prises. Zidane grappillait quelques miettes, incapable de rassasier sa faim de ballons. Totalement abandonné, Thierry Henry se contentait de cavaler après son rêve. Ribéry, juché sur sa trottinette narguait les piétons adverses en tentant d’échapper à leur poursuite.
Les " bleus de chauffe " enfilés permirent de sauver les meubles sans gloire, mais pas sans mérite. Les " ouvriers " manièrent la truelle à béton avec un enthousiasme de tâcherons… portugais soucieux de faire du chiffre. Ils posèrent des barbelés avec le concours d’un Barthez se complaisant dans le rôle du chat de gouttière.
 Ils préservèrent jusqu’au bout, comme des Harpagon, la cassette dans laquelle ne brillait qu’un seul écu… il le sauvèrent d’une convoitise de plus en plus désespérée, mais visiblement brouillonne.
Je me retrouve depuis hier soir dans la pire des situations pour un petit-fils d'imigré, avec un France-Italie en finale. Le téléphone ne mit d'ailleurs pas longtemps à sonner en provenance de Milan, comme pour me rappeler que quelques radicelles me rattachient toujours à une autre terre. Mais ce n’est plus le football qui m’y ramènera.
Mais je déblogue…
 
 
 
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