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8 septembre 2006 5 08 /09 /septembre /2006 07:17
Hier, après plusieurs semaines consécutives de travail quotidien ininterrompu, j’avais décidé de me ménager une "coupure" afin de penser à autre chose. Dans le fond, on s’aperçoit que ce n’est pas forcément la durée du repos qui compte mais plutôt son intensité. Désormais, nous sommes en effet entrés dans le culte de la… rupture plus ou moins forte ! Elle a toujours existé dans certaines sociétés pour être même sanctuarisée.
En Espagne, par exemple, la rupture s’affiche quotidiennement avec la tradition de la sieste. Dans une journée s’étirant en longueur, elle marque le souhait de se relâcher, de se préparer à un rythme de vie plus adapté à la physiologie humaine. Elle conduit forcément dans un ailleurs plus paisible, mais aussi parfois peuplé de rêves ou de cauchemars. Quand on pense qu’il est possible que ce moment ancré dans la tradition ibérique soit prochainement supprimé, on imagine quelle sera la nouvelle… rupture de l’autre coté des Pyrénées.
La mienne avait des allures qui correspondent à ce que je crois indispensable à la création du vide : une escapade dans un milieu vaste avec des relations totalement étrangères à mon univers habituel. Le partage d’opinions différentes, de méthodes de penser différentes, de manière de vivre différentes, d’origines sociales différentes constitue, pour moi, le meilleur moyen d’échapper à la pesanteur des responsabilités. Il ne saurait en effet y avoir de rupture sans que l’esprit soit déconnecté de sa manière traditionnelle de fonctionner. Dans le fond, le quotidien génère sa propre pesanteur. Il conduit inexorablement à la diminution de l’esprit critique, seul régénérant possible des forces indispensables à la prise de responsabilités. Un bain de doute, hors de son territoire, apporte une autre perception des réalités et prépare à revenir sur " terre " avec une nouveau moral. Ce besoin de rupture n’est donc pas uniquement matériel mais aussi nécessairement intellectuel.
Pour y répondre, il peut y avoir, pour beaucoup, la lecture mais aussi, pour moi, l’écriture. J’entre alors dans une bulle ressemblant à celle de la cellule du moine, ou à la grotte de l’ermite. Malheureusement, il existe maintenant de multiples outils dangereux pour… rompre l’isolement bénéfique dont le plus redoutable demeure le téléphone mobile ou plus prosaïquement… les autres, qui savent justement que je me suis retiré face à l’écran noir pouvant meubler mes nuits blanches.
 
UN PARC A HUITRES
Hier j’ai retrouvé, un banquier retraité, le directeur financier d’un grand constructeur de maisons individuelles ou de bâtiments collectifs, un ancien cadre d’EDF, un conducteur de travaux publics néo-retraité, un homme d’affaires… pour aller manger sur un parc à huîtres au coeur du Bassin d’Arcachon ! Un bateau de 42 ans d’âge, les vivres pour des agapes sur le pont, quelques bouteilles à découvrir et un voyage au long court sur des flots débarrassés des navigateurs de l’été.
Le milieu aquatique n’appartient absolument pas à ma culture. Je m’y sens donc réellement ailleurs, ne serait-ce qu’en raison de l’impossibilité matérielle de choisir le moment de…rupture. Une fois à bord on ne peut plus quitter le lieu et revenir en arrière. La variabilité du contexte, malgré son apparente monotonie, incite à ne plus envisager autre chose que se laisser porter par le choix que l’on a fait. Concrètement, on quitte la terre pour un ailleurs forcément inconnu. Avancer, sans certitudes sur la destination, en laissant un autre assumer la responsabilité du cap et de la gestion de l’avenir, appartient au premier bonheur d’une telle journée.
Le nôtre se trouvait au beau milieu du Bassin d’Arcachon, loin de tout. Deux homme âgés nous y attendaient pourtant. L’un de 72 ans et l’autre de 63 ans… se sont immédiatement annoncés comme des " paysans de la mer". Ils " jardinaient " avec philosophie un "champ d'huîtres" que la marée basse dénudait. Avec leurs râteaux et leurs fourches ils récoltaient des huître largement arrivées à maturité. En amarrant le bateau aux piquets limitant leur exploitation, et en échangeant les premières plaisanteries, j’amorçais la rupture consistant à ne plus être au centre d’un monde étriqué, pour devenir demandeur d’explications et de repères. Je ne donne plus enfin. Je souhaite seulement recevoir.

LE PLAISIR D'APPRENDRE DES AUTRES
La simple explication de leurs gestes, une promenade au milieu des parcs, leur avis destructeurs sur la crise actuelle, leur philosophie détachée de la vie, leur merveilleuse simplicité constituent les fondements d’une rupture totale avec le quotidien, ce que l’on y entend, ce que l’on y voit, ce que l’on y pense ! Il n’y a pas plus agréable pour moi que le plaisir d’apprendre des autres. Avoir enfin le temps d’écouter me ramène à ces moments que j’ai tant aimés de mon passage dans le temps du journalisme. Ecouter les autres constitue pour moi le meilleur relaxant. Les entendre critiquer leur propre milieu, avec une évidente lucidité, me permet de rompre allègrement avec les sempiternelles jérémiades que souhaitent les JT sur le test de la souris. Ils en rient, alors que d’autres en pleurent. Ils remettent vite le sujet sur ses rails de la réalité. Sous leur humour il y a les pavés de la sincérité. Je suis heureux. Je suis avec eux, ailleurs, sur une île du refus de l’opinion dominante.
Quand, au hasard d’un dialogue vite amical, je découvre que le plus âgé, lors de la précédente crise ostréicole de 1978, a eu le courage de partir sur un navire allant traquer, durant trois mois, par – 20°, la morue dans la mer de Barens, ma curiosité renaît. Je m'engouffre dans la brèche, en entrant dans ce monde terrible. Il en est revenu persuadé qu’il y avait toujours un avenir dans son environnement proche et qu’un mauvais moment ne se surmonte toujours que par un travail passionné, et pas nécessairement par la fuite. Je découvre en leur compagnie, pendant que le reste du groupe pêche à pied, quelques aspects d’une nature toujours surprenante. La marée qui était partie revient lentement, comme pour rappeler que les ruptures ne sont jamais définitives.

IMPOSSIBLE D'ACHAPPER AUX QUERELLES
Sur le bateau, l’apéritif et le repas accentuent ce constat. Impossible d’échapper aux querelles du monde politique. Chacun y va de son avis. Je suis vite minoritaire. Normal, car les effets médiatiques sont bien là au rendez-vous. Impossible justement de les effacer par des mots, par des analyses, par des débats. Chacun arrive avec son "prêt à porter idéologique" qui tourne autour de la nullité générale des élus, de leurs rivalités indécentes, de leur incapacité à prendre en compte les véritables problèmes du Pays. Les " paysans de la mer " en rajoutent évidemment une couche dans le genre : " de droite ou de gauche : tous pareils ! " ce qui ne me facilite pas la tâche, puisque je suis le seul à détenir un mandat électif. Le plateau d’huîtres sauvages circule, celui des moules mordorées suit. Les moins fragiles y vont de leur dégustation sous les plaisanteries diverses. L'opinion dominante en prend un coup! Enfin presque !
Ségolène n'a comme mérite que celui d'être la plus… " belle ", celle pour qui on aurait fait une place sur la pinasse. Fabius a des mérites, mais il traîne les boulets de son passé, comme un bagnard expédié au bagne de la politique. Sarkozy, l'agité estival du Bassin, ne donne pas paradoxalement une impression de sécurité, et génère l'impression de trop en faire, ce qui ne convient à personne.  Les autres n’apparaissent même pas dans les conversations avec seulement des propos revanchards envers " Marie-Hélène " (1) et d’autres plus indulgents envers Yves Foulon (2). Toute la politique y passe, avec une prolixité croissante grâce au rosé frais et aux Côtes de Castillon.

J'AI TOUT OUBLIE
Le repas, à l’autre bout d’un monde déserté par ses " jardiniers ", repartis chez eux avec le bateau chargé d’huîtres et de poissons capturés dans les filets. J’ai tout oublié. Le temps ne me poursuit plus. Le soleil tape dur et j’éprouve le sentiment de celui qui laisse tomber de la nacelle de son ballon les sacs de sables gris pour quitter le sol. Une sorte d’apesanteur similaire à celle du voyageur dans l’espace s’installe. Aucune sophistication dans les choix matériels, mais justement la simplicité précieuse qui permet d’oublier la complexité habituelle de la vie. Que c’est bon de ne pas se poser de questions ! Que c’est bon de devenir un idiot relax !  Que c'est bénéfique de n'être que le passager des autres! Que c’est agréable de ne plus se sentir épié ! Que c’est chouette de pouvoir se confronter à d’autres visons du monde !
Je vous propose donc de cultiver le goût de la rupture, de l’instituer comme une philosophie sociale afin que vous preniez le temps de, justement, repousser celle que propose Sarkozy. Il vous faudra des forces neuves, un esprit libre, une volonté intacte et l’inventivité des Robinson, afin de combattre son écrasante présence.
Mais je déblogue...
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