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8 octobre 2006 7 08 /10 /octobre /2006 12:08
Lorsque le rythme de votre vie s’accélère tellement que vous avez l’impression de perdre pied avec la réalité du quotidien, il existe un exercice qui vous permet de revenir sur terre. Il est simple et ne coûte que ce que vous voulez bien y mettre, mais le résultat est garanti. Tout le monde a en mémoire l’incapacité d’Edouard Balladur, futur retraité de la politique, mais alors au faîte des sondages, de valider son ticket dans un métro où il n’était visiblement pas descendu depuis quelques années. Il découvrait un outil collectif qu’il avait eu indirectement à gérer, sans en connaître les détails pratiques. Cette incapacité à effectuer un geste simple du quotidien, filmée par les caméras convoquées pour justement rectifier une image jugée hautaine, avait eu un impact désastreux contraire à son objectif. Autant la gifle de François Bayrou sauva sa dernière campagne présidentielle, autant cet autisme manifeste à vivre le quotidien des électrices et des électeurs a porté un tort considérable à celui qui était alors en tête des sondages présidentiels. La leçon est simple : pour retrouver les fondamentaux qui consistent à parler des vrais problèmes, il faut surtout les vivre ou les avoir vécus.
Comment, par exemple, parler de pouvoir d’achat, sauf à se jeter des statistiques à la tête sur un plateau télévisé (on a vu des débats durant lesquels les belligérants exhibaient des graphiques), si l’on ne va jamais, paisiblement et anonymement, " faire ses courses " ? Comment s’exprimer sur l’immigration si l’on ne sait rien des réalités des pays quittés ou des modes de vie qui attendent ces femmes et ces hommes depuis un siècle quand ils arrivent sur notre territoire ? Comment parler du chômage quand on n’a jamais soi-même changé de métier ou d’entreprise ? Comment dialoguer sur le développement économique quand on n'a pas rencontré les difficultés à créer une activité et à la mettre en place ? Comment peut-on débattre sur les 35 heures quand on ne s’est jamais retrouvé face à un planning de semaine à faire ou un accord de branche professionnelle à signer ? Comment a-t-on la prétention de s’exprimer sur les difficultés des gens, tant que l’on n'a pas patienté dans la file d’une caisse de supermarché ? Comment s’exprimer sincèrement sur la carte scolaire quand on a ses enfants scolarisés dans une école privée haut de gamme, ne réclamant aucun accord d’une quelconque autorité pour accepter vos enfants ? Comment critiquer vertement les patrons en général, quand on n’a pas assumé la responsabilité de devoir en fin de mois payer les salaires de dizaines de personnes ? Ces questions simples sont souvent éludées, car elles opposent la théorie des programmes et des prises de position, aux impitoyables constats quotidiens.

TRANSCRIRE EN ACTES CONCRETS SON IDEAL
La politique ne consistant qu’à transcrire en actes concrets son idéal social, il y a donc parfois un précipice qui sépare les deux mondes. Le système français a d’ailleurs vu depuis une dizaine d’années la faille s’élargir, et certaines mesures proposées ne vont pas améliorer la situation, car on s’oriente résolument vers une professionnalisation outrancière de toutes les fonctions électives. Vivre la réalité de ce milieu, au quotidien, permet de vérifier que la bulle médiatique dont on parle tant, a sa concurrente avec la bulle technocratique. Elle a toujours existé, mais elle a changé de nom. A l’époque royale on parlait de la cour et des courtisans, alors qu’actuellement on parle du " cabinet " et des chargés de mission. Le rôle n’a pas évolué : éloigner le plus possible la personne en responsabilité de la réalité, soit en assumant des décisions dangereuses à sa place, soit en lui évitant les moments désagréables, soit lui rédiger des discours ou des notes dites de synthèse qui doivent lui permettre de délivrer la vérité, soit en préparant les complots indispensables au maintien au pouvoir du mentor… et des membres du cabinet.
Le grand Larousse en dix volumes donne une définition véritablement d’actualité de cette institution : "  ensemble des collaborateurs (NDLR : je déteste ce mot !) que réunit un ministre, un président, un directeur général (…) pour assurer son secrétariat particulier et lui servir d’intermédiaire avec les services administratifs, les groupes de pression, la presse… ". En fait, désormais, ce type d’institution ressemble étrangement à ces masques censés préserver de toute contamination extérieure : il étudie, filtre, désinfecte tout ce qui vient de l’extérieur et qui pourrait atteindre le patron. La vérité du terrain ne parvient que par bribes, et plus on approche des sommets du pouvoir, et plus elles sont schématiques et aseptisées. C’est à la fois un bouclier universel contre les virus potentiels, un rassemblement de têtes formatées sur le même schéma de pensée, une série de fusibles prêts à sauter au moindre problème, un rempart contre le pouvoir des fameux chefs des services ayant parfois une forte tendance à préférer la réalité au prêt à porter idéologique.

UNE ABSTENTION CROISSANTE ET UNE MEFIANCE PARTICULIERE
J’ai ainsi une anecdote qui peut parfaitement illustrer cet éloignement dangereux qui se paie par une abstention croissante et une méfiance particulière à l’égard de celles et ceux qui représentent cette vision de la politique. En 1993 alors que j’étais engagé dans les élections législatives comme suppléant de Bernard Castagnet, nous avions souhaité terminer la campagne électorale à Créon, par une réunion avec Henri Emmanuelli, alors Président de l’assemblée nationale. L’organisation de ce meeting m’incombait, et je l’avais négociée avec le chef de son cabinet.
Lors d’un entretien téléphonique de préparation je posai une question innocente, dont la portée politique ne m’avait pas parue capitale : " devons nous préparer un lunch à l’issue de la rencontre ? ". La réponse me laissa interloqué : " je ne peux pas prendre cette décision sans en référer au directeur du cabinet ". Elle me parvint quelques jours plus tard, sous la forme d’une interdiction formelle : " Surtout, pas de repas à prévoir. Henri Emmanuelli repartira vite vers les Landes et soupera dans sa voiture. En revanche, préparez à manger pour les gardes du corps et les chauffeurs… " Le directeur du cabinet fut formel : " il ne soupera pas avec les militants à Créon ". J’eus beau argumenter en répétant qu’il ne s’agirait pas de temps perdu mais d’une occasion de dialoguer avec le terrain, que ce ne serait pas long, que ce serait plus agréable pour lui, que je m’engageais à lui éviter les importuns…. Rien n’y fit ! La sentence technocratique, prise au nom de l’intéressé était tombée !

SON ENTOURAGE ETAIT AU GARDE A VOUS
Le soir de la réunion arriva. Les sourcils broussailleux l’étaient encore plus que d’habitude, l’humeur encore plus exécrable, le verbe plus haut qu’à l’habitude. Henri Emmanuelli était en colère car il bouclait un périple de trois réunions publiques en Gironde et… le chauffeur s’était perdu en venant de Sainte Foy la Grande à Créon. Inutile de dire que son discours fut… tonique, et que tout son entourage était au garde à vous ! Brillant comme à son habitude, il descendit de scène, se tourna vers moi et me demanda " Où est-ce que je mange ?.. ".
Les accompagnateurs avaient paisiblement attaqué le buffet préparé à leur intention, et entamé les bouteilles. Les membres du cabinet présents tentèrent timidement de lui expliquer qu’il avait un panier repas dans sa voiture, il exigea de rencontrer les élus et les militants… au grand désespoir des accompagnateurs. On alla chercher en toute hâte... les restes, on réqusitionna deux bouteilles, et on s’attabla pour une longue et belle nuit, durant laquelle il nous raconta sa carrière et sollicita notre avis sur ses positions. Un régal de démocratie directe, qui terrorisa le " cabinet ", impatient de voir se terminer ces agapes imprévues.
Ce soir-là, j’ai compris comment notre pays se décomposait lentement mais sûrement pour glisser vers la dissidence démocratique dont parle aujourd’hui Jean Claude Guillebaud dans Sud Ouest Dimanche : "  En clair écrit-il les Français sont peu nombreux à voter et, au surplus, quand ils le font, leur choix n’apparaît plus comme légitime aux élites en place. Convenons qu’il y a là un redoutable paradoxe… ". Exact. Très exact ! Les élites intellectuelles et économiques n’aiment la démocratie que quand elle leur donne raison pour les uns, ou leur profite pour les autres.
Il existe un fossé profond et large autour du château fort de chaque personnalité pouvant la faire vivre, et le pont-levis étroit, surveillé, âprement défendu, s'abaisse le temps de quelques heures durant une phase de bataille électorale et autorise quelques personnes, triées sur le volet, à entrer dans la forteresse. Et encore, il faut auparavant échapper aux archers d’élite, qui s’évertuent à vous éliminer, pour ne pas courrir le risque que vous piquiez une place dans les cabinets…
Mais je déblogue…
JE VOUS AVAIS PREVENUS MAIS VOUS NE M'AVIEZ PAS CRU...
(relire la chronique de L'AUTRE QUOTIDIEN "Un Fabius génétiquement modifié)
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commentaires

R
Yaka les envoyer en stage au parquet de Bobigny ! ;-)
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E
Non non, les CRS de Sarko ne savent pas donner la punition. Ils veulent le faire mais n'y arrivent pas ! La faute à leur chef ! Une punition, pour être efficace doit être "mesurée" et appropriée.
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J
Excusez les amis : Vous avez raison ! Aucune tête décrochée et une "bonne claque de temps en temps"...<br /> Faut donc faire confiance à "Sarko nabeau" : Lui il en a plein des "Compagnies de Résistance Sanitaire", qui savent donner "la punition" !
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E
Une bonne claque de temps en temps...
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R
Pitié, peut importe qu'il soit "café au lait" ou non. Bientot il va falloir voter Sego de peur de passer pour un mysogine mais bon, on en a déjà parlé...<br /> Ce geste était legitime (il ne lui a pas décroché la tronche au rognon tout de même) et je pense que le moindre respect que l'on peut avoir pour un enfant est de l'eduquer (même si la punition physique doit rester l'exception).
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