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18 octobre 2006 3 18 /10 /octobre /2006 07:32
Lorsque l’opinion publique se penche sur un événement,  il faut bien convenir qu’elle ne cherche pas le grain de la vérité sous la paille des apparences. Ainsi, quand les médias ont rendu compte de la prise de position des députés sur la négation du génocide arménien, bien des gens de qualité ont vite souligné qu’il n’appartenait pas aux parlementaires de légiférer sur l’histoire. Il est vrai que la facilité consiste toujours à réclamer la liberté de penser à sa guise, afin d’éviter de se poser des questions.
Tenez, il serait bon qu’un jour les élus du peuple se penchent sur la nuit du 17 octobre 1961, et que justement ils rétablissent la vérité sur un massacre que la République Française ne devrait pas supporter. Les Turcs pourraient nous réclamer des comptes sur ce qui s’est déroulé à Paris ce soir-là. Même si, comme sous tous les régimes coupables, tout a été fait pour laver les mémoires, pour éviter que l’on puisse garder un souvenir quelconque d’un drame prémédité, il en reste des traces.
Il y a en effet quarante-cinq ans, la police parisienne a fusillé, massacré à coups de crosse et noyé dans la Seine des dizaines d'Algériens, qui avaient été appelés par le FLN à manifester pacifiquement contre le couvre-feu décrété deux semaines avant par le préfet de police de la capitale, un certain… Maurice Papon, dont on sait combien il fut une serviteur zélé des " nobles " causes.
Il avait gardé, d’une autre période, des habitudes vieilles de 20 ans. Le 5 octobre 1961 il publia un communiqué, dont le contenu était déjà édifiant. " Dans le but de mettre un terme sans délai aux agissements criminels des terroristes, des mesures nouvelles viennent d'être décidées par la Préfecture de police. En vue d'en faciliter l'exécution, il est conseillé de la façon la plus pressante aux travailleurs algériens de s'abstenir de circuler la nuit dans les rues de Paris et de la banlieue parisienne, et plus particulièrement de 20 h 30 à 5 h 30 du matin. (...) D'autre part, il a été constaté que les attentats sont la plupart du temps le fait de groupes de trois ou quatre hommes. En conséquence, il est très vivement recommandé aux Français musulmans de circuler isolément, les petits groupes risquant de paraître suspects aux rondes et patrouilles de police. Enfin, le Préfet de police a décidé que les débits de boissons tenus et fréquentés par les Français musulmans d'Algérie doivent fermer chaque jour à 19 heures ". Le couvre-feu interdisait donc aux Français musulmans de circuler la nuit et intervenait, surtout, dans un contexte tendu puisqu’en deux mois, les commandos du FLN avaient abattu onze policiers. Le 2 octobre 1961, Maurice Papon avait déclaré: "Pour un coup reçu, nous en rendrons dix. On vous couvrira, vous serez en état de légitime défense…" Cette déclaration avait conditionné les responsables du service d’ordre en leur offrant par avance l’impunité totale. Elle était pire qu’un blanc-seing !

LA POLICE A JUGE AU FACIES
Le FLN appela les Français d’origine algérienne à manifester, et quelque 20 à 30.000 personnes avaient répondu à son appel. Au cours de la nuit, sur ordre et sous le regard des passants, la police a jugé au faciès qui devait être arrêté ou tué ou battu à mort. Selon le ministère de l'Intérieur, dirigé alors par Roger Frey, les violences, des "règlements de comptes entre Algériens" feront… 3 morts et 64 blessés.
Le président de la République, Charles de Gaulle, et son Premier ministre, Michel Debré, couvrent Papon: "La manifestation était interdite. Le préfet de police avait reçu mission et avait le devoir de s'y opposer. Il a fait ce qu'il devait faire", déclara le président.
Le journaliste Claude Bourdet qui avait recueilli le témoignage de policiers la nuit même de la ratonnade, interrogea Maurice Papon, dix jours plus tard, au conseil de Paris. Silence de l'intéressé. La presse était muselée, les livres furent saisis, les archives interdites d'accès. Aucun responsable ne fut inquiété, ni aucune procédure judiciaire engagée. La nuit fut vite oubliée, enfouie dans certaines mémoires, ou omniprésente dans d’autres. Il faudra attendre plus de trente ans pour que la dure réalité vienne à la surface. Les photographies d'Elie Kagan, un des rares journalistes à couvrir les événements cette nuit-là, témoigneront en effet de l'horreur.
En 1991, Jean-Luc Einaudi a publié "La Bataille de Paris, 17 octobre 1961" (Seuil). Lors du procès Papon, il accabla l’ex-Secrétaire général de la Préfecture de Bordeaux et relanca l'affaire. L'ancien préfet de police porta plainte en diffamation. Jean-Luc Einaudi gagna ce procès, ce qui permettra d'établir officiellement la réalité du massacre, et d'ouvrir les archives du ministère de la Justice, du Parquet de Paris, des Hôpitaux de Paris, de la Gendarmerie, de la Préfecture de Police, des Fonds d’action sociale… Le massacre prit forme.
Le bilan de la terrible nuit du 17 octobre 1961 sera enfin établi : au minimum 120 morts, voire 200 selon certains historiens, 200 disparus, hommes, femmes, enfants. 12.000 arrestations. 2.000 Algériens envoyés dans le camp d'internement de Béni Messous, à Alger… Les cadavres, dans la Seine, furent vite repêchés, les victimes enterrées à la hâte, les représailles contre les familles trop bavardes ou révoltées bien menées : une chape de plomb tomba sur la France, peu soucieuse de se révolter contre de tels agissements.

UNE PLAINTE A ETE DEPOSEE POUR GENOCIDE
Ce que l’on ne sait pas vraiment, c’est qu’une plainte pour " génocide " a été refusée, après qu’en 1961, toutes celles qui avaient été déposées par des victimes ou des proches d'Algériens assassinés aient été étouffées. En 1998, neuf autres plaintes ont été avancées pour "crime contre l'Humanité". La justice française les a opportunément jugées irrecevables. En revanche la Cour Européenne de Justice a été saisie. Elle pourrait condamner la France, pour avoir refusé de reconnaître la réalité du crime… dans les prochains mois, et mettrait ainsi un point final d’honneur à un véritable " crime d’état ", semblable à celui que la Turquie a été sommée, par nos vaillants députés, de reconnaître sous peine de sanction.
Le Code Pénal (Article 212-1) est pourtant clair sur le sujet " La déportation, la réduction en esclavage ou la pratique massive et systématique d'exécutions sommaires, d'enlèvements de personnes suivies de leur disparition, de la torture ou d'actes inhumains, inspirées par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux et organisées en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civil sont punies de la réclusion criminelle à perpétuité. "
Le crime contre l'Humanité est constitué lorsque des actes inhumains ou des persécutions sont perpétrés par un État contre une collectivité raciale ou religieuse, ou contre des opposants politiques. Il est imprescriptible.
Bien que les crimes du 17 octobre 1961 relèvent du crime contre l'Humanité, le juge d'Instruction à qui la plainte a été transmise a refusé de l'informer. Il a invoqué les raisons suivantes : le crime contre l'Humanité tel que défini par le Tribunal international de Nuremberg ne peut concerner que les agissements des puissances de l'Axe (Allemagne, Italie et Japon). Ce n'est qu'en 1994, avec le nouveau Code Pénal, que cette loi a été modifiée et intégrée à la loi française. Or il n'est pas possible d'appliquer une loi rétroactivement. A cet argument, le juge a ajouté que les faits reprochés relèvent de la loi d'amnistie, promulguée le 31 juillet 1968, qui interdit que soient poursuivies les exactions commises au titre de la poursuite de la guerre d'Algérie.

UNE MEMOIRE ENTRETENUE AVEC CONSTANCE
On ne parle guère de cette nuit de la mort, car le 8 février 1962, quelques mois après la manifestation des Algériens, le Parti Communiste Français organise une manifestation pour exiger que soit mis fin à la Guerre d'Algérie. Les policiers chargent, et huit personnes trouvent la mort. A leurs obsèques se rassemblent plusieurs dizaines de milliers de personnes. La mémoire des martyrs de Charonne sera entretenue avec constance par le P.C.F. et, au-delà, par l'ensemble de la gauche française. Cette nuit restera pour tous le symbole de la violence de l'Etat pendant la Guerre d'Algérie, et l'expression de l'engagement anti-colonial du P.C.F.
On aurait pu penser que cette répression sanglante en rappellerait une autre, encore récente et permettrait de mobiliser contre l’un des plus grands massacres perpétré par des policiers français dans l’exercice de leurs fonctions. Dans les faits, c'est le contraire qui se produit : le 17 octobre 1961 est entièrement occulté par Charonne ! Les témoins se raréfient. Les acteurs disparaissent. Les faits sont totalement oubliés. Ce fut rapide.
Dès le début de l'année 1962, avant donc que ne commence le travail collectif d'oubli et d'amnistie des crimes de la guerre, il semble en effet que la manifestation des Algériens ait déjà disparu de la mémoire collective. Il est bien difficile d’admettre que ce qui distingue les manifestants de 1961 et ceux de 1962 ne peut être que la… couleur de peau et les droits qui y étaient attachés. La commémoration régulière de Charonne constitue une manière d'oubli volontaire du 17 octobre. Elle permet aussi une confusion persistante entre les deux événements : dans des livres d'histoires, au cours d'un journal télévisé, les photos du 17 octobre ont, par exemple, servi à illustrer les violences… de Charonne.
Il existe donc au moins un génocide pour lequel on ne sera pas obligé de légiférer contre ceux qui voudraient le nier. Ce ne sera pas, dans ce cas là, la loi qui fera l’Histoire, mais bien l’Histoire qui ne veut pas d’une loi. Qui a célébré hier les 45 ans de la nuit du 17 octobre ?
Mais je déblogue…
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commentaires

N
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R
Merci ron pour l'information sur le site 17octobre1961<br /> Ancien d'Algérie moi aussi je m'intéresse a l'histoire de ces <br /> événements<br /> Je suis donc allé sur le site je suis tombé sur l'article ce qui s'est passé le 17/10/1961 avec une belle photo de Michel Debré<br /> Son fils préside encore l'Assemblée Notionale et Papon est bien au chaud dans sa propriété<br /> Moi je pense a mes camarades qi sont morts loin de chez eux<br /> ron j'aime bien tes commentaires, continue<br /> Merci
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J
A cette époque particulièrement tragique (le putsch de l'OAS avait été déjoué en Avril 61), la France  était en guerre avec le FLN. Si on commence à répertorier tous les actes de guerre en vue d'examiner s'ils étaient des "crimes de guerre" ou non (au sens de la convention de Genève), la liste risque d'être longue ... et pleine de surprises. Pas toujours au désavantage de la France.  
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Y
Les pires crimes ont souvent été commis sous le sceau de la "légalité " et de la "normalité ".
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J
Oui! Charonne ... Danièl Ferry, Suzanne Martorell, ainsi que 7 autres militants communistes qui manifestaient pacifiquement et qui ont été massacrés par des hommes dont on n'a jamais su si ils étaient de vrais CRS.Bizarre que la vérité n'ait pa vu le jour pendant la période de présence des 4 ministres communistes au gouvernement Mauroy (1981/1984).
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