10 janvier 2007
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Le Dakar bat son plein. Gérard Holtz et ses collègues exultent. A eux, l’ivresse de l’aventure par pilotes interposés. A eux, l’ambiance enivrante des légionnaires qui sentent bon le sable chaud. A eux, les péripéties d’une épreuve scandaleuse, exclusivement destinée à " vendre " de la voiture, irrespectueuse de tout son environnement, à des fondus du 4x4 ou de la moto, pour adeptes du désamour de la nature. Il s’agit chaque soir de montrer au peuple ébahi, des chauffeurs irrespectueux de toutes les règles appliquées sur les territoires civilisés et dans des espaces la plupart du temps non soumis au diktat des véhicules à moteur.
Ce qui fut le Paris-Dakar (car il est parti chercher fortune ailleurs en Europe du Sud) repose essentiellement sur une fausse conception de l’aventure. Cette épreuve offre en effet la particularité d’imposer aux autres les nuisances que nous ne voulons plus chez nous. Traverser, pédale au plancher, des zones sensibles, foncer sur des pistes oubliées, négliger la présence des enfants dans des villages bouleversés, ne pas se préoccuper des conséquences de sa conduite, s’effondrer moralement pour un incident mécanique, sacraliser son véhicule : autant de réalités portées par cette course effrénée à la notoriété.
Hier, encore une fois, on a atteint le sommet de l’absurde, avec une nouvelle mort au beau milieu d’un désert. Elmer Symons s’est en effet tué accidentellement lors de la quatrième étape reliant Er Rachidia à Ouarzazate au Maroc. Le communiqué de la direction de course est tombé en début d’après-midi. "Le PC Course a reçu une alerte en provenance du km 142 . Parvenue sur les lieux par hélicoptère huit minutes plus tard, la direction de la course n’a pu que constater le décès, confirmé rapidement ensuite par l’hélicoptère médical ". Chef d’entreprise spécialisé dans l’exportation de pièces mécaniques des Etats-Unis vers l’Afrique du Sud, Elmer Symons participait à son premier Dakar en tant que concurrent. Il occupait une place enviable au classement général, et fonçait vers la ligne d'arrivée quand il a chuté. " L’organisation du rallye attendait ensuite l’arrivée de Kingsley Symons qui assure l’assistance de son frère, afin de lui témoigner son soutien et sa tristesse ", poursuit l’organisation dans un communiqué d’une sécheresse absolue. Une belle " béquille " à cette mortelle embardée !
LE RALLYE DE NOUVEAU ENDEUILLE
Il n’aura donc fallu que quatre étapes pour que ce que tout le monde craignait se produise une fois encore. Après les décès de José Manuel Perez et Fabrizio Meoni en course il y a deux ans, et les accidents réguliers autour de la course (3 morts en 2005, 2 en 2006), le rallye est à nouveau endeuillé cette année. "Priorité à la sécurité", avait pourtant clamé Etienne Lavigne, directeur de l’épreuve, avant le départ, concentré principalement sur les à-côtés du rallye. Mais c’est bien sur la piste du Dakar que le drame s’est produit hier. Bien entendu, Symons, vainqueur de la première étape au Portugal dans la catégorie Marathon, connaissait par avance les risques encourus en s’engageant dans ce type d’aventure, lui qui prenait pour la première fois le départ au guidon de sa KTM, mais nul ne rattache une épreuve sportive à la mort.
Le jeune homme, d’à peine 30 ans, en a payé le prix fort comme trop d’autres avant lui. En fait, il était venu perpétuer la suprématie du monde occidental, de sa puissance mécanique, de ses envahisseurs, sur la civilisation africaine. Le Dakar n’est guère différent des expéditions coloniales qui déferlèrent il y a plusieurs décennies sur des territoires qui ne demandent rien à personne. Il impose désormais sa présence par sa puissance financière, et non plus par celle des armes.
Ce Sud-Africain n’est pas mort pour la gloire de la France ou de son pays, mais plus prosaïquement pour celle d’une marque de motos, désireuse de mettre une ligne supplémentaire à son palmarès. Ce dérisoire combat ne mérite absolument pas le prix d’une vie. Pas plus celle d’un pilote que celle d’un enfant, comme l’an passé dans un village guinéen. Le problème, c’est que ces véritables " meurtres " sont commis par procuration, en notre nom, avec des fonds publics, et notamment la redevance que vous acquittez consciencieusement au profit de France Télévisions, sorte de héraut malsain d’une compétition très peu respectueuse des principes fondamentaux du sport.
EXHIBER UN LUXE INSOLENT
Les commentateurs lyriques du Dakar baptisent trop souvent " d’aventure humaine " la seule possibilité d’aller exhiber un luxe insolent, et de parader sans pudeur, grâce aux riches lobbies du pétrole et de constructeurs de 4X4. Peut-on appeler sans honte " aventure humaine " un coûteux loisir, fait sur mesure pour le bon plaisir d’une minorité de riches névrosés, en mal d’aventures, qui font chez les autres ce qu’ils ne toléreraient pas que l’ont fasse chez eux. La vraie " aventure humaine ", signe de courage, ne consisterait-elle pas plutôt à lutter concrètement contre la faim, les maladies et surtout contre l’exploitation éhontée des pays pauvres traversés par les pays riches, dont viennent absolument tous les concurrents. Simple, décidément trop simple, pour être admis par nos sociétés avides d’exotisme et d’exploits.
Les caméras qui suivent cette course n’ont la chance que de montrer des nuages de poussière enveloppant des enfants dépenaillés lorsqu’ils échappent aux roues de ce Dakar déferlant. En tout cas, les émissions de retransmission télévisée ne reflètent pas cette " expérience humaine " dont parlent les défenseurs du Dakar, ou alors elles le cachent bien, car on ne remarque en définitive que des gens très riches qui imposent une vrombissante cavalcade à des gens très pauvres. D’ailleurs, avec un brin d’esprit critique, on s’aperçoit que peu d’images des télévisions montrent les bolides traversant des zones habitées, comme s’il ne fallait pas rappeler de mauvais souvenirs. Même les reportages réalisés " à coté " sentent l’eau de rose, le club Méd ou le voyage organisé pour touristes se prenant pour des explorateurs. Les retombées de ce tsunami motorisé demeurent extrêmement faibles pour les zones empruntées. D’ailleurs, malgré toutes les annonces officielles, les populations n’apprécient guère ces autos et ces motos qui défoncent des pistes ou saccagent des espaces vierges de toute forme humaine de trafic
UNE AUTRE EPREUVE A INVENTER
Le Dakar porte les stigmates de ce qu’ont toujours été les rapports entre les grands pays européens et l’Afrique. Ce rallye est en effet très contesté, tout d'abord en raison des quarante-neuf décès qui ont eu lieu pendant son déroulement depuis 1979, soit en 28 ans, dont ceux de nombreux enfants, heurtés par des concurrents, malgré les diverses mesures de sécurité prises par les organisateurs depuis quelques années (limitation de la vitesse pour les concurrents dans les villages, avec sanction en cas de non-respect, prévention contre les dangers pour les habitants, avec affiches en langue locale,...). Le rallye est aussi condamnable en raison de l'agression écologique et du mépris humanitaire qu'il représente envers les pays africains.
Ne nous y trompons pas, le Dakar est une immense caravane publicitaire, dont le but est de vendre toujours plus de véhicules pour un semblant "d’aventure citadine". Par exemple, la marque Lada Niva avait augmenté de 67% ses ventes suite au rallye de 1983. Il faut convenir aussi qu’il permet à quelques excités de la moto de se croire, dans les campagnes ou les rues des villages, sur les pistes africaines… La vogue des véhicules écrasant tout sur leur passage, traversant tous les obstacles normaux de la route, stationnant n’importe où, polluant à qui mieux mieux, est née pour partie avec cette vulgarisation hivernale du " baroud " pour chauffeurs ou pilotes, transformés en héros des déserts pour des sociétés ayant absolument besoin d’exploits quotidiens.
Le Dakar synthétise en effet les trois piliers du libéralisme effréné : compétition, individualisme et pollution en toute impunité, puisque les pays traversés en sont les victimes quotidiennes. Il serait temps d’en finir une bonne fois pour toutes avec cet évènement inutile et irresponsable. A moins que l’on offre aux Africains les moyens de venir faire chez nous un " Vézelay- Saint Jacques de Compostelle " en 4x4 et moto par les fameux sentiers que de plus en plus d’entre nous adorent fréquenter pour leur silence, leur nature préservée et leurs haltes sympathiques. Je suis certain que ça plairait aux télévisions…
Mais je déblogue…