Retour sur Créon dans la journée, après une longue nuit de voyage. Le téléphone portable va recommencer à vibrer... Il va falloir désormais se remettre dans les réels du quotidien.
Le téléphone mobile va devenir probablement l’objet culte de la première moitié du XXIème siècle. Il s’est donné des allures d'utilitaire indispensable dans une société où la communication ne repose que sur les apparences et pas nécessairement sur l’essentiel. En fait, on en arrive à se demander comment on a pu survivre autant de temps sans se parler dans un appareil de plus en plus sophistiqué.
Il suffit par exemple d’emprunter le tram pour constater que plus une seule personne ne peut se passer de ce co
ntact supposé être dévolu aux urgences absolues. Vous remarquerez que certains le regardent compulsivement, déçus ou impatients de ne pas être appelés. Ils sont inquiets, angoissés par le silence potentiel de cet " outil ", réputé leur servir de lien social idéal. Un peu comme si le téléphone allait leur permettre de briser une solitude au cœur de la foule, ils guettent un appel comme des toxicomanes en état de manque.
Vous n'aurez pas de mal à repérer, j’en suis certain, ces maniaques qui racontent leur vie privée à haute voix sans se soucier outre mesure des présences rapprochées. Vous apprenez où sont les gosses, ce que fera la belle-mère, quand aura lieu le rendez-vous amoureux ou mieux vous connaîtrez le diagnostic du médecin. La confidentialité des relations entre un être de chair et d’os et un interlocuteur que vous savez virtuel n’existe plus. Elle s’étale au grand jour et dure parfois de longues minutes avec un défilé de banalités désarmantes. Le mobile facilite l’art de ne rien dire, vertu essentielle de notre époque. L’intérêt du dialogue est souvent proportionnel au côté assourdissant de la sonnerie qui l'annonce.
Il existe aussi la catégorie des discrets, des timides, des inhibés qui ne s’expriment que par onomatopées ou par un étrange jeu du ni oui, ni non. Ce sont les coincés d’une société permissive, du sans-gêne et des sans pudeur. Leur premier réflexe réside dans un sourire ennuyé et un regard, implorant l’excuse que vous n’êtes pas censé accorder. Ils apparaissent comme des zombies au milieu d’une normalité représentée par des dizaines d’autres pratiquants sans foi ni loi.
Les enfants et les grands-mères font, sur ce sujet, cause commune. Ils consomment du forfait avec allégresse au nom de la sécurité que leur donne un mobile fidèle, les suivant partout et leur apportant la possibilité d’appeler au secours dans ces situations difficiles auxquelles pensent… leurs proches. Des études en Angleterre ont montré que le téléphone mobile avait supplanté la cigarette en tant que symbole du passage à l'âge adulte pour les jeunes adolescents. Il est également un moyen de rester dans le monde pour les gens du 3° âge. Combien d’achats sont effectués sur la seule base de l’insécurité potentielle d’une société réputée dangereuse ? L’alibi de l’urgence constitue en effet la couverture des achats effectués pour les plus jeunes et les moins jeunes. " S’il t’arrive quelque chose on pourra te joindre… " ou à l’inverse " s’il t’arrive quelque chose tu pourras nous joindre… "
PROBLEMES POUR LA SANTE
Dans cet Eldorado pour opérateurs, des voix commencent à s’élever pour prôner le principe de précaution. Ils ont peu de chances d’être… entendus ! Plusieurs associations et scientifiques assurent pourtant que les systèmes de téléphonie portable posent des problèmes pour la santé de certains groupes d'individus (femmes enceintes ou jeunes enfants, par exemple). Si ce risque est pris en compte lors de l'installation des relais, celui lié au terminal portable lui-même reste l'objet d'une forte polémique.
Si les risques sont aujourd'hui considérés comme mineurs pour une utilisation normale par un adulte, l'état des connaissances est beaucoup plus vague en ce qui concerne les risques potentiels pour les enfants (dont le cerveau en plein développement, est plus sensible aux perturbations), d'autant plus que l'utilisation qui en est faite est parfois intensive.
Un organisme indépendant (CIRC) coordonne une étude internationale " Interphone " qui vise à préciser les liens éventuels entre utilisation des portables et cancer. Mais les opérateurs mobiles apportent le tiers des financements à cette recherche, ce qui peut laisser craindre des conflits d'intérêts. L'Agence Française de Sécurité Sanitaire Environnementale (AFSSE) a publié en juin 2005 un nouvel avis sur les portables.
À l'heure actuelle, les fréquentes évolutions technologiques des téléphones portables ne permettent pas d'avoir une connaissance fiable du risque. En effet, il faut plusieurs années pour mener une étude épidémiologique ayant assez de puissance pour s'attaquer aux faibles doses de rayonnement émis par les portables. Ainsi, les études dont nous disposons aujourd'hui ne concernent que les premières générations de portables. Mais depuis, la 3G se développe et les fréquences évoluent sans que l’on en connaisse les conséquences.
Selon une étude suédoise conduite par Kjell Mild, les utilisateurs intensifs de téléphone mobile ont 240% de risques en plus d'être atteints d'une tumeur maligne au cerveau du côté où ils utilisent leur téléphone. Mais tous ces éléments ne changent rien à l’utilisation grandissante du mobile. On verra plus tard…et on aura bien quelques procès retentissants faits par des malades aux fabricants pour mise en danger de la vie d’autrui. Rien n’arrête l’invasion.
UN TIERS DE LA POPULATION DU GLOBE
Le nombre d'utilisateurs de téléphones mobiles a donc atteint la barre symbolique des deux milliards d'individus sur la panète, selon Wireless Intelligence, une entreprise d'étude et d'analyse créée par la GSM Association et la société de conseil Ovum. En réalité, ce nombre de deux milliards correspond au nombre de connexions aux réseaux mobiles relevées le 18 septembre dernier. Il représente pratiquement un tiers de la population du globe estimée à 6,5 milliards.
Le gros de la croissance provient désormais des marchés les moins développés comme la Chine, l'Inde, l'Europe de l'Est, l'Amérique latine et l'Afrique. Dans la plupart des autres régions, dont l'Europe de l'Ouest, le marché est mature et la croissance plus faible. En Suède, Italie, Autriche et Royaume-Uni, la pénétration de la téléphonie mobile a atteint 100% de la population. En France, elle dépassait en juillet dernier 75%. Pour les années à venir, la société d'analyse table sur une croissance mondiale continue du nombre d'utilisateurs de téléphones mobiles, bien que plus faible qu'en 2005. La barre des 3 milliards devrait ainsi être atteinte à l'horizon 2010.Voici des chiffres qui donnent le vertige.
PLUS DE HIERARCHISATION DE L’ECHANGE
Jamais la société n'a été aussi incapable de communiquer réellement alors qu’elle multiplie les supports techniques pour la favoriser. On ne hiérarchise plus du tout l’échange en lui ôtant sa rareté qui faisait dans le fond son importance et donc favorisait son écoute. Tout devient prétexte à un appel. La banalité la plus parfaite s’installe dans ce qui se veut du dialogue, mais qui, dans les faits, n’est que la matérialisation d’un besoin de se rassurer, un discours égoïste transmis à une oreille bienveilante ou supposée telle. Le mobile, c'est le nouveau service SOS contre la solitude !
Quand on téléphone, on existe au milieu des autres, on leur prouve que l’on a une importance pour d’autres, on affirme publiquement que l’on possède un réseau relationnel important. Ce n’est pas ce que l’on dit qui a de l’importance, mais uniquement le fait que la sonnerie retentisse. C’est elle qui prouve que dans un contexte qui broie les individus, vous comptez pour les autres, puiqu'ils ont besoin de vous parler en urgence.
Le téléphone mobile s’est accaparé le quotidien, et désormais on organise les réactions, la pensée autour de lui. Il est à la fois vecteur et révélateur de mutations des comportements en société, des modifications des frontières entre vie publique et vie privée, et des bouleversements du rapport au temps et à l'espace. Son extraordinaire succès repose sur un discours qui s'appuie sur l'idée d'appartenance à une communauté caractérisée par la modernité, la liberté et l’efficacité. Tout un programme de présidentiable!
Mais je déblogue…
