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4 octobre 2005 2 04 /10 /octobre /2005 00:00

 

La France est parfois un drôle de pays. J’ai débuté ma carrière publique à 18 ans, en devenant délégué de promotion  à l’Ecole normale de feu le Syndicat National des Instituteurs. Je n’ai plus jamais quitté cet engagement, passant par la Mutualité ou la vie associative, pour finalement " échouer " sur la plage de la politique. De ce parcours, je garde un amour permanent pour le débat, la rencontre, l’échange, et des souvenirs aux multiples facettes.

Ainsi,  j’ai en mémoire toutes les manifestations auxquelles j’ai pu participer. Plus ou moins réussies, plus ou moins explosives, plus ou moins revendicatives, plus ou moins folkloriques : aucune ne ressemble véritablement à une autre, tant elle traduit spécifiquement une époque, un climat, un contexte.

Ce matin, à Bordeaux, il régnait une atmosphère particulière pour un observateur attentif. Il flottait, sur le défilé, une certaine résignation, une inquiétude palpable, comme si les présents ne se faisaient guère d’illusion sur le résultat de leur mouvement pourtant massif. Ce n’est, bien évidemment, qu’une impression ne reposant pas sur des faits précis mais les rares slogans ne claquaient pas comme dans le temps (ça fait vieux con !), car il leur manquait l’espoir d’une issue favorable au combat. Chaque présent semblait faire son " devoir " en marchant. Le chant du départ d’un grand affrontement manquait d’enthousiasme. Comment pouvait-il en être autrement puisque chacun pressentait que les défilés, aussi grandioses soient-ils, n’infléchiraient pas nécessairement les orientations libérales actuelles…? " Croire au Père Noël " n’appartient plus aux croyances sociales présentes ! Ces gens angoissés attendent que quelqu’un leur ouvre une porte sur un avenir différent. Et la plupart ne le voit pas encore poindre à l’horizon. Alors ils marchent, marchent, en discutant entre eux, nonchalamment, sous un brin de soleil dans l’eau froide de l’automne, pour s’assurer qu’ils ne sont pas les seuls à avoir peur du lendemain.

Il leur restait, le soir venu, à mesurer l’impact médiatique de leur mobilisation. Et là, ils peuvent vérifier, avec le recul du temps, que la France n’est pas un pays comme les autres, car elle n’a guère évolué depuis 40 ans. Déjà, à mes débuts de " manifestant piéton ", je ne comprenais pas le fameux jeu de l’évaluation des participants. Les sacro-saintes phrases toutes prêtes existaient. Elles sont inlassablement répétées, comme pour illustrer la permanence de l’absurdité d’un système cherchant à duper l’opinion. " En France, il y a eu 1 million de personnes dans les rues selon la CGT et 470 000 selon la police… ". Avouez que, comme moi, vous avez lu ou entendu des centaines de fois… ces commentaires surréalistes, où systématiquement, l’estimation officielle stagne à 50 % de celle des organisateurs… Quand vous connaissez l’une, vous pourriez, sans effort, fixer l’autre. Comment peut-on continuer à perpétuer un rituel aussi ridicule ?

 Il paraît que les statisticiens des Renseignements généraux, postés, immobiles le long d’une rue, comptent avec talent et promptitude le nombre de manifestants passant sur une ligne potentielle. Ensuite, ils chronomètrent combien de ces lignes théoriques défilent durant dix minutes. En restant paisiblement installés à la terrasse d’un café, sur le parcours, il leur suffit de faire les multiplications idoines pour arriver à un total réputé exact. Le seul problème, c’est que l’évaluation portée sur leur rapport n’est pas celle qui sera annoncée aux médias. On attendra celle des syndicats pour déterminer la " vérité officielle ". Forcément, la télé reprendra les deux nombres, et les plus lucides chercheront une possible estimation convenable entre les deux. En l’occurrence, dans les rues de France, il y a eu, probablement… 750 000 personnes ! Le reste ne sert qu’à amuser la galerie.

Ces querelles d’une autre époque résument pourtant le dialogue social en France. Elles reposent sur un " poker menteur " permanent, dont les jetons seraient remplacés par des indices, des ratios, des pourcentages, aussi truqués que les communiqués, sur l’importance des manifestations. Longtemps, l’inflation a eu, par exemple, ses normes avec tabac et sans tabac. On trouvera bientôt des Ministres rusés, excluant l’ascension vertigineuse du prix des carburants de leurs prévisions, ou renonçant à prendre en compte l’augmentation de l’électricité, du gaz ou des loyers dans leurs discussions avec des retraités. La technique simpliste résiste, elle aussi, à l’usure du temps : un indice vous dérange, changez son mode de calcul, et ainsi vous éviterez toute comparaison dans la durée ; et vous n’aurez plus à répondre aux contestations.

Un bon ordinateur suffit également à régler la présentation des réalités. Par exemple, on oublie trop souvent que quand un gouvernement annonce une augmentation du salaire des fonctionnaires, il récupère, partiellement certes, mais partiellement tout de même, d’une main ce qu’il donne de l’autre. Un ajustement bien dosé du cadeau provoque alors ce que l’on appelle l’effet de seuil. Bien calculé il fera franchir une tranche supplémentaire d’imposition sur le revenu à un pourcentage, plus ou moins important, de bénéficiaires contribuables. Et n’oubliez pas qu’il n’y aura, bientôt, plus que trois tranches : bonjour les dégâts !  Une progression du pouvoir d’achat génère parfois, pour un retraité ou une famille, la perte de tout ou partie de son allocation logement. Ils auront été aguichés, quelques semaines avant une échéance électorale, mais subiront une ponction désastreuse quelques mois après. La France est parfois un drôle de pays.

Plus que le nombre des citoyens manifestant leur inquiétude, plus que les pourcentages des grévistes, la France s’attachera, dimanche, à la fameuse cote de popularité de ses gouvernants. Les seuls nombres respectés sont ceux des sondages. La religion de la courbe personnelle de confiance supposée a pris le pas sur toute autre considération sociale. Figurez-vous que trois points de plus pour " Crin Blanc ", cinq pour " Droopy ", une gamelle du " roquet de Neuilly ", désormais dépassé par le premier de ses ministres, l’enlisement de Hollande, la confirmation de Kouchner, l’apparition de Besancenot… sont devenus les seuls repères intéressants pour les citoyens. Et vous avez remarqué que les Français soutenant massivement celles et ceux qui marchaient pour eux dans les rues ont été plus efficaces que les marcheurs eux-mêmes. Et faites confiance aux sondages, science exacte non manipulée.

Tenez, que diriez vous, si ce soir, sur TF1, la voix sûre et honnête de PPDA annonçait : " 49 % des Françaises et des Français, selon les syndicats, n’ont plus confiance en Crin Blanc, et seulement 25 % selon la police " ?

Mais je déblogue…

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commentaires

E
A mon avis, Agnès fait une mauvaise analyse !! Le combat est obligatoire parce que certains ont presque tout et d'autres n'ont presque rien !<br /> Ailleurs on y arrive un peu ? Où ? Là où la précarité est à son maximun (GB & USA) ? Là où les gens qui travaillent et qui ne gagnent pas suffisament pour nourrir leur famille ne sont pas comptabilisés dans les chiffres du chomage !??!<br /> Comme dit notre cher maire, un indice vous dérange, changez son mode de calcul et ainsi vous éviterez toute comparaison dans la durée et vous n’aurez plus à répondre aux contestations. Il est facile ainsi d'arriver à des taux de chomage de 4 % et de dire : notre modèle fonctionne !!!<br /> Il y a eu une époque où nous entendions que le modèle éducatif allemand fonctionnait mieux que le notre jusqu'au jour où les allemands sont venus étudier notre modèle pour essayer de résoudre leur problèmes !!!
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D
Au sujet de l’inventaire de l’épicerie de détail, du gouvernement,<br /> en matière de taux, d’indices, de critères, de pourcentages, qui lui permettent de maîtriser son discount commercial consentit d’un coté afin de mieux le reprendre de l’autre, c’est une méthode commerciale, mais ne peut-être cautionnée politiquement. <br /> Maintenant que les sondages demeurent eux une mesure de confiance aux yeux du citoyen, méfiance.<br /> Le choix des thèmes du sondage,son but avoué ou avouable, l’architecture de ses questions, les techniques d’analyses, les méthodes d’affinage, la transposition des résultats bruts en données lisibles par tous en font un instrument fragile.<br /> SI on ajoute qu’un sondage c’est d’abord une commande par rapport à un objectif bien ciblé, passée à un organisme spécialisé, avec un cahier des charges définissant une orientation précise, le degré de confiance du résultat dépend tout de même du bon fonctionnement global de la machine à récolter, transférer, et synthétiser les résultats.<br /> Tous ces outils de mesure, d’acquisitions et d’aide éventuelles à la décision ne sont que des indicateurs statiques à un instant T, que tout le monde consulte en se disant ne pas en tenir compte.<br /> Pour s’inscrire dans une démarche positive avec les moyens de freiner les dérives actuelles et d’imprimer un nouveau souffle, il faut réellement OSER.<br /> A partir de ses convictions avec ses tripes dans un esprit fédérateur, il faut l’ouvrir cette porte, que les français cherchent actuellement dans les têtes de gondoles du super marché politique, et peut-être que par mis les articles délaissés au fond de la réserve, il y en a un qui peut reprendre sa place en rayon.<br />
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A
En France il semblerait que notre tradition syndicale s'inscrive systématiquement dans le combat. Que ce soit d'un côté comme de l'autre, on a rarement l'impression que les protagonistes ont envie de trouver un accord, de comprendre la position de l'autre. Chacun veut le maximum et aucun consensus n'en découle. Pourtant si la presse etrangère dit vrai, ailleurs on y arrive un peu! Dommage de ne pas savoir tirer parti de certaines réussites de nos frères européens.
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