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5 mars 2006 7 05 /03 /mars /2006 09:45

Dans les randonnées de la vie vous croisez, sur des chemins plus ou moins discrets, des promeneurs célèbres. Ils passent parfois sans que vous puissez leur adresser le moindre mot et même parfois sans qu’ils vous accordent le moindre regard. Le privilège du journaliste c’est qu’il est justement payé pour obtenir d’eux une déclaration ou un commentaire. Mieux, il peut s’offrir le luxe de leur poser des questions auxquelles ils répondent avec verve ou mépris. Et souvent, il a une vision de sa célébrité bien différente de celle du public.
Dans le monde politique, les « ténors » ne demandent pas mieux que de « chanter », et sont toujours prêts à s’épancher. Tous ne rêvent que d’être montrés sous l’angle du show-biz. Dans le monde du show-biz, tout devient affaire de… politique de communication. On devient essentiellement matérialiste, et la notion de produit pervertit tous les dialogues. Il faut se vendre pour vendre ! Dans le monde du sport, probablement le plus difficile, tout se mêle, car les enjeux financiers sont sans cesse dissimulés derrière les enjeux des compétitions. Et la confiance entre journalistes et « vedettes » n’a pas de prix. En deux décennies de journalisme plus ou moins actif, j’ai été confronté à ces réalités, sans parvenir jamais nécessairement à faire la part des choses. J’ai tout abandonné depuis maintenant 5 ans, mais je ressens souvent des démangeaisons, un besoin de dire aux autres que ceux en qui ils croient ne sont pas, parfois, ce qu'ils croient.

GIRESSE, NOTRE "GIGI" BORDELAIS

Hier, en écoutant l’actualité plate d’un week-end pluvieux, j’ai déniché une info qui m’a permis d’effectuer, justement, ce retour en arrière. Alain Giresse, notre « Gigi » bordelais, a signé pour deux ans un contrat de sélectionneur de l’équipe nationale du Gabon. Omar Bongo a mis la main à la poche pour redorer le ballon d’un football surclassé par celui des voisins bien moins riches. Dans la dépêche, on rappelait que le « petit gars de Langoiran » appartint au fameux carré magique des Bleus avec Jean Tigana, Jean Fernandez et Michel Platini. Or, il se trouve que j’ai en magasin, de multiples anecdotes sur ce quatuor aux destins très différents. Certes, bien moins que ceux qui eurent à les suivre au quotidien, mais suffisamment pour qu’un jour, si la vie le permet, je puisse meubler quelques pages d’un bouquin.
Je ne sais pas pourquoi j’ai envie de figer l’une d’entre elles dans le temps. Elle concerne celui des ces quatre mousquetaires que j’ai le plus admiré. En la consignant dans cette chronique d’un dimanche où le football se ridiculise avec l’affaire PSG-OM (1), je veux revenir sur ces belles années des Bleus. Je ne l’ai jamais écrite telle quelle est, car elle appartient à ce jardin secret que tous les « témoins » hésitent à transmettre aux autres. Je garde les images, comme un patrimoine dont je suis le détenteur exclusif. Elles auront 20 ans dans quelques mois ! Déjà…

CHEZ L'ENNEMI MARSEILLAIS

Il fait un temps estival splendide en Gironde, ce lundi matin 28 juillet 1986. Les circonstances font que le service des sports de Sud-Ouest est plutôt réduit (congés annuels, récupération des reportages de l’été…). C’est mon jour de repos. Or, tard dans la nuit, la « bombe » est tombée par téléphone à la rédaction : Alain Giresse a signé chez l’ennemi marseillais. Claude Bez a failli avaler sa moustache, lors d’une colère dont il avait le secret. Il ne pardonnera d’ailleurs jamais à Gigi ce qu’il considèrera comme une trahison. Homme aux principes simples, voire simplistes, il a refusé d’augmenter le salaire de son joueur au retour d’une Coupe du Monde au Mexique, stoppée en demi-finale par l’Allemagne. Alain Giresse gamberge.
Il a 34 ans, et sait que les deux rendez-vous manqués à Séville et à Guadalajara ne se retrouveront jamais, et que désormais la retraite approche. Le 1,2 millions de F. mensuels que lui offre l’OM représentent à l’époque une manne exceptionnelle. La tentation est grande, et Tapie est convaincant. L’habitant de Haux (2) cède dans la nuit, et le lundi matin, je suis sorti du lit à l’aube par le Directeur adjoint du service des Sports, désemparé, qui me donne carte blanche pour trouver le numéro 10 qui enchantait ce qui n’était que le Parc Lescure. André Latournerie, juste avant le bouclage, a expédié un article pour annoncer la nouvelle, mais ce matin il faut confirmer. Lui, attaque de son côté depuis son lieu de vacances.
Je pars illico, en me disant que le transfuge prendra peut-être l’avion pour rejoindre la Cannebière, et que, comme il a confiance en moi, je lui arracherai quelques mots… Je fais chou-blanc à l’aéroport de Mérignac. Les Girondins se sont déjà envolés sans lui pour Split. Les vols pour le Sud-Est sont tous partis. Personne n’a vu Giresse aux embarquements. Il est donc encore là. Je décide de tenter ma chance au Haillan avec le pressentiment que, malgré la haine de Bez, il ne partira pas sans dire au revoir au reste du staff avec lequel il a passé tant de saisons.

MORNE PLAINE

Là-bas, un gamin de passage, tente désespérément de photographier ses idoles. Aucune ne s’arrête, et son appareil jetable est inutile ! Lentement, ce qui est devenu la morne plaine du Haillan, se vide… Tous les joueurs sont partis pour un tournoi à Split. Bernard Michelena, mon ami et le sien, préparateur physique de l’équipe, est resté là pour s’occuper de quelques éclopés. Il a fini sa besogne, mais il traîne, et ne sort pas de son bureau au sous-sol du château du Haillan. Un détail qui m’intrigue, car tout le monde sait combien il compte pour tous les joueurs. Je décide d’attendre. Le gamin se promène, dépité, avec un appareil de photo jetable. Il n’a aucun cliché à se mettre sous l’objectif, à part des réservistes qui sortent sans trop se soucier de lui. Ils ont l’esprit ailleurs.
Vers 12 h 30, alors qu’il n’y a plus personne, une voiture s’annonce au loin et… Gigi arrive par l’arrière du château. Il pleure comme un gosse. Les yeux rougis, il s’engouffre, sans mot dire, dans l’escalier vers les vestiaires. Je le suis… Il est seul dans la salle vide, propre et, après avoir ouvert son placard, il enfourne rageusement, dans un sac, ses équipements personnels. Il sanglote… se moquant bien de ma présence dans l’encoignure de la porte.
Réflexe, que j’avoue maintenant sordide, je me dis qu’une photo de cet instant ferait le bonheur de mon rédacteur en chef. Je remonte les marches quatre à quatre, prêt à acheter à n’importe quel prix l’appareil photo du gamin… Je cours. Je le cherche. Il a disparu. Je regrette qu’il ait été mangé, car il aurait fait l’affaire financière de sa vie. Je redescends. Gigi est parti dans le bureau des entraîneurs, où je l’entends s’excuser et parler de « réalités » avec un Bernard Michelena plutôt sévère.
Il ressort, me serre la main, remonte dans sa voiture et disparaît. Je n’ai pas eu un mot. Ses mâchoires serrées traduisent la tension qui l’habite. Il lui tarde de couper le cordon ombilical et de s’enfuir. Il me fait penser à ceux qui expient une terrible trahison ou une collaboration honteuse, et reviennent au pays. Je file à mon tour pour écrire quelques lignes sur ces moments ayant traduit la détresse profonde d’un géant aux pieds agiles.

COMME UN MALPROPRE

Je ne retrouverai plus Giresse que pour l’affreux match Bordeaux-Marseille suivant, qui lui vaudra une agression honteuse, que je préfère ne pas évoquer, car elle n’avait rien à voir avec le sport. Durant toute la suite…de sa carrière « post joueur » il sera poursuivi par des créanciers et par la haine de Bez, qui se vengera en le virant, après avoir englouti l'argent du jubilé dans le trou des Girondins, comme un malpropre, le 7 septembre 1990, pour un zeste de propos contestataires sur la situation du club au bord du gouffre. Un comportement détestable, mais conforme au personnage, qui finira par transformer les Girondins en Titanic. Le petit Prince de Lescure se refit une santé à Toulouse, sombra au PSG, (malgré une victoire à Bordeaux) avant d’être encore viré. Depuis, il parcourt le monde pour échapper au fisc qui est encore à ses trousses.
Gigi ne reviendra quasiment jamais plus pour son plaisir à Bordeaux… Il m’a oublié. Pas moi. Je conserve de lui l’humanité brillante de son football et ces images de la détresse de celui qui fut happé par le mistral financier de l’OM.
Ses larmes m’ont rassuré. Elles me rappelent que les Chevaliers de la balle ronde, si exceptionnels dans de fabuleux combats, peuvent aussi, parfois, avoir de belles faiblesses. Je les côtoyais sans le voir ou le savoir. 

Et des larmes de ce 28 juillet 86, qui n’étaient pas celles d’un crocodile, ne risquent pas d’arroser le Parc, où soit disant, ce soir, s’affronteront des… Princes ! Vous avez dit des Princes ? Pauvre football ! Lui en est un...
Mais je déblogue… 

(1) Relisez la chronique « SPORT INSUPPORTABLE » du vendredi 2 mars
(2) Sa maison dans Haux est actuellement en vente !



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commentaires

E
Il y a même des photos maintenant sur ce blog ! Formidable !
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B
Belle anecdote; mieux qu'une anecdote . Une parenthèse d'intimité "volée" mais bien restituée.<br /> Il faut un peu de chance -parfois- pour exercer ce métier de journaliste.<br /> La preuve! Du nez également.<br /> Merci pour Gigi,<br /> bb
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