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30 juin 2008 1 30 /06 /juin /2008 07:52
Hier soir l'Europe du football a désigné le pays des Princes de la balle ronde. Dans l'ovale bruyant de Vienne deux visions du continent s'opposaient comme si l'on avait voulu rappeler que le Sud et le Nord portaient encore des philosophies sociales certes populistes mais pourtant bien différentes. L'opposition entre l'Espagne et l'Allemagne constituait ainsi le choc de deux cultures au moins autant que de deux équipes. L'inspiration, la technique, l'insouciance ibériques retrouvaient sur leur route la rigueur supposée, la puissance et la sûreté germaniques.
Les Espagnols adorent par exemple, lors de leurs entraînement, pratiquer, et c'est normal pour eux le petit jeu du... « toro » consistant à monopoliser collectivement le jeu au détriment d'un adversaire chargé de briser cette solidarité technique. Tout leur état d'esprit reposait sur cette transcription footbalistique de la corrida. Ils se trouvaient dans l'aréne idéale pour faire courir après un ballon insaisissable des « taureaux » allemands réputés habitués à foncer le mufle baissé sur des adversaires aux pieds agiles. Ils ne dérogèrent pas à leurs habitudes durant toute la rencontre se moulant dans la tenue de lumière des toreros pour épuiser des aurochs « germaniques » vite handicapés par leur maladresse et leur lenteur.
Aucune poussière dans cette enceinte viennoise d'où descendaient des travées les encouragements ou le sifflets de spectateurs certains que les « toréadors » allaient venir à bout des colosses froids ou que ces derniers finiraient à un moment ou un autre par « encorner » des artistes trop sûrs de leur talent. Ce qui était prévu se réalisa. La corrida ne fut jamais remise en question dans son scénario et dans son issue.
Espagnols toreros et allemands aurochs sortirent apparemment sans précipitation d'un tunnel obscur pour s'installer dans la lumière. Dans la tête de quelques-uns d'entre eux devaient trotter cette analyse similaire des pensées du taureau du chanteur lot et garonnais Francis Cabrel :
Depuis le temps que je patiente
Dans cette chambre noire
J'entends qu'on s'amuse et qu'on chante
Au bout du couloir
Quelqu'un a touché le verrou
Et j'ai plongé vers le grand jour
J'ai vu les fanfares, les barrières
Et les gens autour
Dans les premiers moments j'ai cru
Qu'il fallait seulement se défendre...
Les Allemands ont rapidement compris que cette attitude ne les conduirait à rein de bon. Une volte de Klose un peu trop longue, une envolée de Ballack témoignaient ainsi d'une volonté inédite de ne pas subir. Une entrée en matière bien vite oubliée. La mannshaft s'évertuait à briser cette insolence ibérique prétendant les épuiser avec une faena bien léchée mais sans risques. Les Espagnols maîtrisaient leur sujet en laissant le soin au picador Fernando Torres d'aller chercher les points faibles d'une défense un peu trop instinctive. Une première offensive sema le doute dans l'esprit d'un adversaire se demandant comment éviter d'attraper le tournis. La reprise de la tête de cet escogriffe hargneux aguerri aux joutes anglaises alla mourir sur le pied du poteau teuton. Le doute s'installa alors dans le camp réputé le plus solide mentalement. Les Allemands ne parvinrent plus à contenir les multiples assauts d'une formation prête à toutes les audaces. Torres ne cessait de provoquer, de harceler, de mettre en situation de rupture des gardes du corps empruntés. Il finit d'ailleurs par leur fausser compagnie. Il alla à la corne pour devancer les prétentions musclées de ses adversaires. D'une superbe pichenette il expédia le nez dans la gazon un Lehmann livré à lui même après que sa défense ait oublié qu'une balle n'est jamais perdue pour celui qui espère farouchement en tirer profit. Le chronomètre s'était mis sur son 33 ce qui ne constituait pas un signe de bonne santé pour une Mannshaft nerveuse, maladroite et surtout tricheuse à l'image d'un Ballack portant les stigmates sanglants d'une banderille récolté lors d'un contact malheureux avec Senna. Les multiples banderilles piquées dans le dos d'adversaires ampruntés usaient leur moral et leur physique.
La « furia roja » tentait d'asseoir son empreinte sur le match avec Iniesta qui allait provoquer son adversaire sur la flanc gauche et l'éliminer comme par enchantement. Le Barcelonais renversait l'attaque pour Silva, absolument seul de l'autre coté du rectangle de vérité . Alors qu'il avait le temps de porter l'estocade, le Valencian tenta la volée de la gloire mais n'atteignit que des travées dépitées. Cependant le « taureau » doutait. Il n'imaginait pas un instant être malmené par ces lutins prompts à devancer des Goliath fragiles. Il ne parvint jamais à s'installer dans un combat dont on connaissait la fin. La ritournelle de Cabrel me revenait donc encore en mémoire au moment où l'on s'accorda une pause :
Mais cette place est sans issue
Je commence à comprendre
Ils ont refermé derrière moi
Ils ont eu peur que je recule
Je vais bien finir par l'avoir
Cette danseuse ridicule
Est-ce que ce monde est sérieux ?
Les Allemands en retournant aux vestiaires espéraient sans doute récupérer la lucidité qui leur avait fait défaut et mettre la pression sur des toreros insaisissables. Ils se révélèrent en fait incapables de réagir comme si la première « pique » avait été suffisante pour les diminuer moralement. Leur unique réaction ne vint que tardivement après un paseo qui fit illusion. Les Espagnols tardaient en effet à finaliser leur ascendant ce qui permit à Ballack de faire frémir les aficionados présents en expédiant une frappe qui frôla l'espace vital de Cazillas. On sentait bien que les forces revenaient après une heure de doute total dans le camp de ceux que l'on ne croyait pas aussi résignés jusque là. Le danger reposait sur la capacité des toreros à reprendre la main.
Ces derniers savaient que dans une corrida il est fatal de subir. Trois belles « passes » consécutives de Torres et d'Inestia faillirent mettre un terme prématuré au suspens. Lehmann parvint à stopper une superbe inspiration de Torrés qui n'en faisait depuis le début qu'à sa tête et il s'interposa désespérément sur une frappe d'Iniesta qui avait tenté un pointu. La Mannschaft plia mais ne rompit pas maintenant ainsi l'espoir d'éviter la mise à mort que Senna ne sut pas donner pour quelques centimètres.
Ces occasions de boucler la corrida devenaient préoccupantes car elle maintenait l'exploitation d'un coup malheureux du « taureau » blessé. La chanson de Cabrel illustrait la pensée de ces Allemands énervés mais guère convaincants :
Je ne vais pas trembler devant
Ce pantin, ce minus !
Je vais l'attraper, lui et son chapeau
Les faire tourner comme un soleil
Ce soir la femme du torero
Dormira sur ses deux oreilles...

Le temps jouait en sa faveur. Le tambour du célèbre Manolo sonnait la charge face à des Allemands résignés Comme s'ils avaient été épuisés par les agitations habiles d'étranges bonhommes de rouge vêtus qui ne cessaient de surgir sous leur mufle, ils semblaient attendre un issue fatale. Elle vint de manière logique tant ils avaient été surpassés techniquement et tactiquement.
Impossible de nier que l'Espagne avait gagné 44 ans plus tard son droit à entrer parmi les grandes équipes du continent. Cabrel était là pour résumer les sentiments des vaincus qui n'avaient jamais pu inverser le dénouement d'une corrida où ils étaient pourtant entrer comme les mieux armés :
J'en ai poursuivi des fantômes
Presque touché leurs ballerines
Ils ont frappé fort dans mon cou
Pour que je m'incline
Ils sortent d'où ces acrobates
Avec leurs costumes de papier ?
J'ai jamais appris à me battre
Contre des poupées
Sentir le sable sous ma tête
C'est fou comme ça peut faire du bien
J'ai prié pour que tout s'arrête...

Tout s'est alors arrêté. Les rêves se sont brisés. Les toreros ont exulté. L'impresario a été fêté. On a eu droit au tour d'honneur et à la sortie triomphale, l'or et les paillettes mais dans le regard des vaincus le désespoir restait pour toute une vie. Ce contraste illustre une société dans laquelle on n'est que provisoirement dans le camp de ceux qui triomphent. C'est en ce moment précis qu'il ne faut jamais oublier les autres :
Je les entends rire comme je râle
Je les vois danser comme je succombe
Je pensais pas qu'on puisse autant
S'amuser autour d'une tombe
Est-ce que ce monde est sérieux ?
Est-ce que ce monde est sérieux ?
Si, si hombre, hombre
Baila, baila...
Dans la nuit autrichienne on ne songeait en effet qu'à danser, à fêter chez les uns et à oublier chez les autres...Les soirs d'après corrida sont de même nature. Sauf que là ce n'étaient que des espoirs qui étaient morts ! Ceux de la France étaient oubliés depuis belle lurette mais ce soir elle revient sur la scène européenne par la grande porte... Platini a en effet remis les symboles de la fin de la corrida.
Est-ce que ce monde est sérieux ?
Est-ce que ce monde est sérieux ?
Mais je déblogue...

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commentaires

D
Est ce que ce monde est sérieux ???Superbe commentaire sur un texte de CABREL que i'adore, mais sur une finale bien trop insipide... J'en ai zappé de dépit !Et, une fois n'est pas coutume, je suis d'accord avec E.M. La finale du TOP 14 était un spectacle d'une toute autre qualité ! Un vrai combat d'hommes!Jean-Marie, merci de nous informer, de disséquer pour nous tant de sujets, et aussi de nous faire rêver parfois sur des thèmes plus légers. Continue longtemps pour tes lecteurs fidèles car tu as un talent qui n'est pas donné à tout le monde, celui de savoir écrire juste. 
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E
Oui, tu n'écris pas seulement comme un journaliste, mais aussi parfois comme un poète ! Mais je ne suis pas sûr que le foot mérite encore que des gens comme toi s’y intéressent autant...<br /> Il est dommage que tu n'aies pas écrit sur le "vrai" évènement sportif du week-end : la finale du TOP 14 !<br /> Il s'agissait là d'un combat de Titans, sans triche ni comédie, un vrai combat de gentlemen ! Rien à voir avec le foot, ce “sport” qui montre aux enfants que pour réussir dans notre société, il faut mentir, tricher, contester l’autorité, cracher, etc.
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D
Avec un peu de retard , mais lues et relues avec plaisir , ces lignes sont l'oeuvre d'un véritable magicien des mots , des phrases qui nous enchantent ..............Grand merci de savoir  nous apporter des sentiments aussi riches .
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A
Tu es décidément aussi convaincant lorsque tu commentes la finale de la coupe d'Europe de football que lorsque tu analyses la situation politique de la France, avec la part de rêve en plus.... Moi qui ne suis pas une téléspectatrice sportive attentive, tu m'as fait regretter de n'avoir pas regardé ce match hier soir... Mais à la lecture de ce texte d'exception, j'ai eu l'impression d'assister, devant mon écran d'ordinateur, où ne défilaient pourtant que des mots, au combat de ces torreros lumineux face à des taureaux lourds, puis blessés. Tu nous démontres ainsi que le monde du sport n'est pas forcément un monde de brutes, et que l'on peut décrire ces affrontements vigoureux en utilisant des mots de poète...Le rapprochement permanent avec le texte de la chanson de Francis Cabrel est une idée merveilleuse, et je n'avais jamais tant prêté attention à la beauté de ce texte qu'en le redécouvrant à la lumière de ta description du déroulement de cette rencontre, dont les espagnols sont sortis en vainqueurs lumineux et inspirés !Je partage totalement l'enthousiasme de Nouaille..... Tu nous as, encore une fois, offert là un texte que l'on ne se lasse pas de lire et de relire.
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N
C'est peut être vrai que ce monde n'est pas sérieux mais pour un enfant de 15 ans il l'est.Que répondre à mon petit fils qui est français, qui vit en Espagne et dont les grands parents maternels sont allemands, et qui téléphone à 23 heures à ses grands parents paternels à Camblanes en demandant : Vous étiez pour qui vous ?Papi a répondu : pour les meilleurs et mamie a dit : tu sais Nico c'est une grande équipe européenne qui a gagné. Beau texte Jean Marie. Je suis d'accord continue à écrire les chroniques, c'est une bouffée d'air frais même si quelquefois il est lourd.
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