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31 mai 2006 3 31 /05 /mai /2006 07:45
Il paraît que la grande trouvaille politique des prochains mois se résume en des idées générales, derrière lesquelles chacun est invité à mettre ce que bon lui semble. La technique est simple, car elle permet ainsi à tout le monde de se reconnaître dans une sorte de programme " auberge espagnole " forcément populaire. J'ai cru déceler, dans quelques rares affirmations publiques, que nous irions vers une nouvelle forme de démocratie dite " participative ". Cette nouveauté me laisse dubitatif, car elle ressemble étrangement à ce que prônait Hubert Dubedout, l'ex-maire emblématique de Grenoble, avec ses groupes d'action municipale (GAM) ou plus largement le Parti Socialiste Unifié (PSU), à travers ses propositions sur l'autogestion. Comme quoi on peut toujours faire du neuf avec du vieux.
Il faut admettre que, comme Monsieur Jourdain pratiquait la prose sans le savoir, nous sommes depuis une bonne dizaine d'années, à Créon, des adeptes forcenés de la " citoyenneté participative " qui ne recouvre pas exactement les mêmes concepts, car moins ambitieuse dans ses apparences.
Cette approche de la gestion locale, inspirée par les principes de l'implication du plus grand nombre de personnes, non seulement dans la prise de décision, mais aussi dans le suivi des décisions, offre l'inconvénient d'être épuisante. Elle nécessite, en effet, une capacité à accepter la contestation, à déployer une force permanente de conviction, à ranger sa susceptibilité au rayon des défauts perdus. Elle exige une présence permanente, une capacité à se plonger dans la vie de proximité, à consacrer quasiment toute son énergie au dialogue. Et, en plus, il faut savoir que la déception guette, car on est vite accusé d'omnipotence et, plus encore, de confiscation du pouvoir. Le plus décevant arrive quand vous ne rencontrez jamais les ardents défenseurs de ce type de vie sociale, dans les rendez-vous que vous vous échinez à organiser. L'affluence, toujours décevante, relève également de la douche froide !
La " démocratie participative " ne repose absolument pas sur une solution, une technique, une forme précise d'action mais, et c'est là son exigence, sur une dynamique aux multiples facettes. Il faut devenir un généraliste respectueux de la globalité de l'action, et surtout pas un spécialiste déterminé à n'en traiter qu'une parcelle valorisante. A l'échelle locale, il ne faut pas trop rêver, car l'exercice devient périlleux tant les responsabilités sont diversifiées et changeantes. Je doute que la recette soit applicable partout et en toute circonstance. Mieux, je suis certain qu'actuellement, elle ne correspond pas à sa pureté originelle.
La conception de la "participation citoyenne  se construit, comme les fusées, sur plusieurs étages, destinés à mettre un projet en orbite. Le premier d'entre eux est forcément le plus solide et le plus sécurisé, car il constitue la base de toute implication réelle. L'élu local, quelle que soit son implication, ne doit jamais oublier qu'il est détenteur d'une mission d'intérêt général, et qu'à ce titre, la décision lui revient toujours. Il ne saurait y avoir d'ambiguïté initiale sur ce principe, car ce ne serait que tromperie sur la réalité du pouvoir.
LA PANACEE EN LA MATIERE
Le système associatif est " vendu " trop souvent comme la panacée en la matière. Il semble évident que l'intervention des citoyens au plus près de leurs préoccupations, sans la médiation des élus, pourrait paraître comme une avancée vers une démocratie plus directe. La réalité est toute autre. Non seulement, il y a des limites à cette vision, mais un examen réaliste de cette pratique permet de faire apparaître les mêmes défauts que ceux du système de la démocratie représentative, parfois aggravés.
Jean-Claude Coiffet, Professeur de Sciences économiques et sociales, chargé de conférence à l'IEP de Bordeaux. Vice-président du Cercle Condorcet de Bordeaux, a publié un excellent article sur ce sujet car il donne une vision objective d'une idée à la mode, pas si miraculeuse que l'on veut bien l'affirmer.
Il est selon lui, par exemple, " illusoire de penser que la vie associative est une expression directe des citoyens. Là aussi, la parole des associations est celle des responsables (Président ou bureau) dont la désignation n'offre souvent pas plus de garanties démocratiques que les autres formes de délégation de pouvoir. C'est particulièrement vrai, justement, pour les associations d'intervention para-politique. Créées par un individu ou un groupe d'amis, qui ensuite font de la retape pour avoir des troupes, il serait inconcevable et même inélégant de remettre en cause le pouvoir des créateurs ".
De plus, même si, au sein de telle ou telle association, les règles démocratiques sont respectées, elle ne saurait représenter que ses seuls adhérents (souvent très peu nombreux, sauf en situation de crise) et non la population au nom de laquelle elle prétend parler (voir par exemple les associations de parents d'élèves). Un tel système reviendrait en fait à ce que les partis politiques parlent au nom des citoyens, sans  qu'ils n'affrontent jamais le suffrage universel. Dès qu'un sujet quelconque peut procurer la moindre égratignure aux égoïsmes, il entre vite dans le champ associatif, se transformant en outil de contestation plus ou moins ouvertement relayé par le système politique. Le problème du grand contournement de Bordeaux prend par exemple ce chemin, et donnera une vision extrêmement révélatrice de la perversion de ce que l'on présente comme une innovation révolutionnaire.
CONFRONTATION D'EXPERTS
L'intervention des associations dans le débat politique tourne en effet très souvent à la seule confrontation d'experts. La nature même de ces groupements, souvent spécialisés dans un domaine, et la personnalité des responsables, conduisent à contourner l'aspect politique (l'intérêt général) pour se concentrer essentiellement sur la contestation technique de la décision concernée.
La vision "généraliste", que des élus locaux doivent impérativement avoir parce qu'elle traite de tous les problèmes sur la longue durée, est trop souvent remplacée par une bataille de techniciens se jetant des chiffres, des rapports, des prévisions, à la figure. Leurs arguments d'autorité technique, écrasant les malheureux élus réputés ignares, stérilisent le débat et dépossèdent le citoyen, qui ne peut évidemment pas trancher entre les affirmations contradictoires " d'autorités scientifiques " aussi apparemment compétentes les unes que les autres.
Dérapage normal, dans la mesure où, on l'a vu précédemment, le pouvoir étant entre les mains des technocrates, l'éventuel contre-pouvoir doit aussi se placer sur le même terrain. On joue à une sorte de jeu d'échecs, avec face à face des universitaires, des ingénieurs, des techniciens, des énarques, des conseillers...
Le caractère limité territorialement et temporellement des associations présente un risque majeur : l'affrontement de groupes de pression, essentiellement préoccupés de faire valoir leurs intérêts particuliers. Le plus malin, le plus puissant médiatiquement et/ou financièrement, le plus spectaculaire, le plus bruyant l'emportera, en dehors de toute préoccupation d'intérêt général, et souvent sans la moindre validation populaire. Il y a là, certes, une saine pratique sociale de l'expression de tous les intérêts contradictoires, mais aussi une négation de la démocratie, et même du politique en général, qui n'est pas la somme des intérêts particuliers, mais la confrontation des idées dans la recherche de l'intérêt commun. Le risque est donc grand de voir ainsi disparaître l'esprit civique, et d'aboutir à un système de contre pouvoirs éphémères, se parant de la citoyenneté, mais qui suppriment tout débat et dévalorisent l'action publique, tous les coups étant permis pour emporter "le morceau".
BEAUCOUP PLUS MODESTE
A Créon notre "citoyenneté participative " reste beaucoup plus modeste, car elle repose d'abord et surtout sur cette phrase d'Alfred Sauvy, mise en exergue d'une revue de 1977 intitulée " Lumières sur Créon ", lors d'une mémorable campagne électorale : "Bien informés, les hommes sont des citoyens; mal informés, ils deviennent des sujets ". Cela reste, presque trente ans plus tard, le fondement de notre gestion locale. Rencontre trimestrielle sur un thème précis, édition d'un hebdomadaire municipal gratuit depuis 23 ans (1 300 exemplaires diffusés), mise en place d'un site internet très détaillé, constitution de comités consultatifs locaux liés à un sujet ou un projet particulier, mêlant citoyens, usagers, élus;  lancement de l'opération étalée dans le temps intitulée " Quartiers de fêtes " pour favoriser le lien social ; participation systématique des élus à la vie des 52 associations autogestionnaires d'un pan de la vie quotidienne, compte rendu annuel public direct de mandat communautaire. Dans l'année, un citoyen créonnais a plusieurs dizaines d'opportunités d'avoir une appréciation démocratique sur la manière dont est gérée sa commune ou son intercommunalité. En 2005, plus de 800 personnes ont, d'une manière ou d'une autre, fréquenté ces rendez-vous. C'est peu... Encore trop peu. Mais ça a au moins le mérite d'exister et de continuer à fonctionner sans être dans un programme politique national.
Mais je déblogue...
 
Prochain rendez vous de démocratie participative ce jeudi 1° juin à 20 h 30 salle du conseil de Créon, sur les problèmesque posent les "ressources en eau" ! Profitez-en...

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