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25 septembre 2006 1 25 /09 /septembre /2006 08:09
La précarité dans le monde du travail devient une règle permanente. Pour diminuer les statistiques du chômage, il est indispensable de considérer que tout travailleur qui décroche le moindre contrat est un demandeur d’emploi en moins. Et, il faut voir avec quelle hâte, les statisticiens de l’ANPE font disparaître les malheureux qui ont pleuré pour obtenir plus de 15 jours de boulot. Il y a pourtant un métier plus exposé que les autres : celui d’entraîneur de club de football professionnel. C’est fou la vitesse avec laquelle vous vous retrouvez condamné à regarder votre équipe à la télé depuis un canapé qui n’a pas les charmes du banc de touche. Si les mêmes principes existaient dans le monde politiquee les Ministres n’useraient guère le fauteuil de leur bureau.
Ainsi Nantes, Créteil et Istres viennent de demander à celui en qui ils avaient entièrement confiance il y a quelques semaines, d’aller chercher fortune ailleurs alors que nous n’en sommes pas encore à des moments décisifs des championnats. On murmure que d’autres pourraient vider leur casier durant les jours qui viennent. On ne connaît pas de contrat plus précaire que celui-ci puisque, en quelques jours, vous passez de la pression du résultat à la morne attente qu’une place se libère ailleurs pour démontrer votre talent. Il est toujours vrai que le malheur des uns contribue au bonheur des autres.
Dans mes contacts avec le milieu du football professionnel, j’ai connu de très nombreux personnages qui avaient en charge un groupe de joueurs souvent mieux payés qu’eux. Tous avaient conscience que leur horizon se découvrait après chaque match et qu’une mauvaise passe les condamnerait immédiatement. Ils devenaient sombres, méfiants, réservés et surtout irritables, car persuadés que les médias portaient une part de responsabilité dans leur échec. Ils avaient oublié que parfois, ils n’avaient pas craché dans la soupe quand tout allait pour le mieux dans le meilleur du monde du ballon rond. Mais j’ai eu beaucoup d’admiration pour quelques-uns, car il faut un sacré talent pour parfois gérer un groupe de "nombrils" riches sans même le vouloir.
A Bordeaux, par exemple, depuis 2001 je n’ai jamais remis les pieds dans un milieu où j’ai passé plus de 20 ans et je me suis arrêté à... Elie Baup. J’en ai croisé ou rencontré quelques autres, plus ou moins longuement, mais sur des dizaines d’entre eux, je n’en ai vu qu’un seul qui ne doutait jamais : Guy Roux. Les autres avaient peur du week-end suivant. La plupart du temps, ils ont d'ailleurs été limogés avant la fin de leur contrat, et quasiment jamais dans des conditions très claires, car le complot couvait avant leur départ. En fait, on sent les choses se gâter quand le dialogue n’est plus possible, quand le silence l’emporte, et que les critiques sous le sceau du secret se font précises. Certains le devinent et devancent le camouflet en allant tenter leur chance ailleurs (Elie Baup vient de le faire cette saison entre Saint Etienne et Toulouse, Jean Fernandez également entre l’OM et Auxerre…) à l’intersaison. Ils sont rares. D’autres attendent la sentence avec fatalisme, en sachant que ça fait partie des risques de leur métier. Ce n'est pas pareil en politique !
UN PERSONNAGE DE ROMAN
Au Haillan, le premier que j’ai pu rencontrer fut ce vieux renard de Raymond Goethals. Une figure, un monument, un personnage de roman de Siménon. D’abord fumeur invétéré, il grillait cigarette sur cigarette, tout en parlant avec son interlocuteur qui n’avait même pas de question à poser. Il parlait tout seul, en utilisant sur la table du café tous les objets à sa disposition pour donner de longues et passionnantes conférences tactiques. Il déplaçait, tel un général sorti du rang, les cendriers, les couverts, les verres, pour vous convaincre qu’il avait déniché le coup imparable pour terrasser l’adversaire. Pas un cheveu blanc, car il se faisait régulièrement teindre pour éviter que l’on voit qu’il se faisait du… mauvais sang et surtout qu’il avait un âge respectable. Doté surtout d'un accent inimitable, " Raymond la science " m’impressionnait par son sens extraordinaire du détail. Rien ne lui échappait. Il connaissait tous les joueurs, tous les clubs sur le bout du doigt et ce que l’on prenait pour de la sorcellerie ne reposait que sur une parfaite connaissance du milieu. Il ne livrait ses secrets qu’aux véritables amis, et pour gagner sa confiance, il fallait absolument devenir un ténor de la… belote, car il passait tout son temps libre à regarder tous les matches possibles à la télé, et ensuite disputer quelques " mille " avec des complices de circonstance ou des habitués. C'était un autre temps !
Il avait redressé une situation désespérée laissée par un autre personnage, Luis Carnaglia arrivé d’Argentine par le miracle d’un ou plusieurs transferts, plus ou moins louches. Lui, ne faisait absolument rien. Il était en vacances en Europe et vivait sur sa légende argentine. Lors du premier entraînement au stade de Galin, il avait pris un ballon, pieds nus et torse nu, pour faire le tour du terrain en jonglant. Puis, il s’était approché du groupe de journalistes pour lui signifier, dans un français d’opérette, qu’il n’était pas question, vu la démonstration effectuée, de mettre en doute son talent technique. Il restera en poste… une vingtaine des semaines, et sera viré avec une belle indemnité.

L’ECOLE DE L’EXIGENCE
Dans un tout autre genre, Aimé Jacquet arriva au Haillan sur les conseils du plus merveilleux des joueurs que j’ai pu rencontrer : Bernard Lacombe, actuellement dans l’ombre à Lyon, mais pourtant décisif dans le choix des hommes. Anxieux au possible, méticuleux jusqu’au bout des ongles, consciencieux, sérieux, travailleur infatigable, observateur avisé, le nouveau venu péchait par son manque de charisme dans ses relations avec les médias. Ce fut l’opposé de Goethals.
Joueur de devoir, il avait été formé à l’école Snella, celle de l’exigence et pas celle des paillettes. Il avait connu le travail manuel, la réalité de la vie, car son professionnalisme venait d’une ascension sociale réelle. Il appartenait à la génération des gens qui savaient tout devoir au sport, et pas à celle, qui arrivera plus tard, des pros à qui le sport devait tout. Il ne parvenait pas se dépêtrer des micros et caméras qui l’assaillaient quand les Girondins accumulaient les titres et les campagnes européennes. Il ne sortait que des phrases stéréotypées, dont l’impact s’usa au fil des neufs saisons passées à Bordeaux.
Il eut la chance de diriger un groupe extraordinaire, constitué de joueurs de devoir (Girard, Tigana, Dropsy, Bracci, Domenech, Thouvenel, Specht, Tusseau, Trésor, Battiston…) et de vedettes ne se prenant pas pour des vedettes (Giresse, Lacombe notamment). Tout se gâtera pour lui quand on lui imposera des joueurs moins fiables, avec des têtes mal faites et vides, et que des histoires, sans rapport avec le football, émailleront la vie du groupe. Sans que ceci ait quoi que ce soit de péjoratif, Aimé Jacquet était un " laborieux ". Opiniâtre, ancré dans ses choix, parlant simplement mais directement à son groupe, suscitant par sa droiture le respect autour de lui, il ne m’a pas laissé la même impression quand je l’ai retrouvé, brièvement, à la tête de l’équipe de France. Il était déjà beaucoup plus distant, et avait appris à se protéger davantage, ce qui fit que la presse ne lui pardonna rien. Il fut limogé des Girondins par un Claude Bez dans la spirale de la faillite, et sans avoir compris pourquoi, tout à coup, on avait engagé des artistes, alors qu’il ne réclamait que des ouvriers qualifiés ayant une solide expérience. Ce sont eux qui ont eu sa peau, car ils ne respectaient plus rien sur le terrain et hors du terrain. Lui, qui finira Champion du monde, quitta Le Haillan après tout ce qu’il avait fait, comme un malpropre ! Il n’ira même pas au bout d’une saison ! Il aura sa revanche, mais la blessure était en lui.
UN SOLIDE BON SENS PAYSAN
Elie Baup ressemble à cet Aimé Jacquet des débuts, mais en moins introverti, en plus roublard et avec un humour capable de sauver toutes les situations. Il adore instituer des rapports de forces mais quand il accorde sa confiance, elle est durable. En revanche, son regard noir, sous la visière de la casquette, peut foudroyer quiconque. Solitaire, doté d’un solide bon sens de paysan ariégeois, matois, capable de prêcher le faux pour connaître le vrai, il a fini par être victime de tueurs internes, de tueurs avisés, qui visaient tout simplement sa place sur le banc de touche ou qui ne souffraient pas de voir leur recrutement mis en doute. Elie Baup a la rudesse de son Ariège natale et il faut se lever de bonne heure pour le faire changer de cap. Il saura toujours dynamiser un groupe ou le faire progresser, car il ne pardonne pas l’infidélité ou la trahison sur la pelouse ou en dehors. Il sait tenir dans la bourrasque et ne pas se tromper de route.
A l’inverse, le plus fragile de tous aura été Alain Giresse que Charles Bietry, Président du PSG, couvrait de fleurs avant... quatre mois plus tard de le virer, lui aussi, comme un bon à rien. Le plus pittoresque restera Rolland Courbis dont la faconde, la malice, le parler vrai et le sens inné de l’embrouille, pouvaient faire croire, provisoirement, qu’il réalisait des miracles. Il sortait des résultats de son chapeau, ou dénichait des talents qu’il savait faire… fructifier sur de courtes périodes. Rolland Courbis est le César du ballon rond. Toujours en train de jouer une énième pièce de théâtre, et fataliste quand tombait prématurément le rideau. Etre viré ne lui pose aucun problème, car il sait que ça viendra tôt ou tard et qu'on le fera revenir pour réaliser un miracle !
Bizarrement, je n’ai pas vu l’un d’entre eux quitter les Girondins, la tête haute, le regard fier. Ils ont tous été virés au nom de la dure loi de la rentabilité. Je suis certain que les entraîneurs actuels seront rassurés. Ils pourront bientôt travailler tranquillementj puisque les clubs de football vont entrer en boursej et l’on sait que, par les temps qui courent, les actionnaires préfèreront la belle incertitude du sport, au… détriment de leurs dividendes.
Mais je déblogue...
 
JE VOUS AVAIS PREVENUS MAIS VOUS NE M'AVIEZ PAS CRU...
http://permanent.nouvelobs.com/medias/20060925.OBS3300.html (cf chronique "Taisez-vous Elkabach" de L'AUTRE QUOTIDIEN)
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commentaires

J
Bonjour Jean Marie.A propos d'entraîneur qui ne doutaient jamais, ou en tout cas n'en donnaient pas l'impression, je crois qu'il y en avait un  autre : Coco Suaudeau, qu'il m'est arrivé de rencontrer. A moins que moi aussi je ne me mette à débloguer ? JR
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J
Exact car je l'ai vu avec arrognace expédier à 20 mètres celui qui osait mettre son système de jeu en doute... Ce gars là avait une attitude royale!<br /> JMD