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13 octobre 2006 5 13 /10 /octobre /2006 07:56
La notion de génocide a pris une dimension nouvelle depuis hier et le vote de l’Assemblée nationale française. Elle s’est élargie, sur la base du fameux droit d’ingérence cher à Kouchner appliqué à l’Histoire. Il devient tellement courant de mettre son mouchoir sur l’idéal, que cette réaction même réduite, de … 106 députés, a valeur justement d’exemple. Nul ne peut se considérer comme indifférent à la souffrance passée, présente ou probable d’un peuple, quel qu’il soit et où qu’il se trouve. Nul ne peut nier l’évidence, au nom de l’intérêt supérieur du pays. Nul ne saurait prétendre qu’en France il s’interdit de juger les actes des autres, au prétexte fallacieux qu’ils ne nous concernent pas !. Le problème, c’est que la reconnaissance officielle d’un génocide ne veut pas forcément dire que tout le monde l’admet. On sait bien que les négationnistes existent, pour tout événement mondial de ce type et on a même vu des universitaires se spécialiser, en toute impunité, durant des années, dans ce type de démarche. Les faits sont là, et c’est de la lâcheté que de ne pas vouloir les admettre ou les dénoncer. Il ne s'agit pas de réecrire l'Histoire, mais plus concrètement de la préserver.
Durant deux ans, de 1915 à 1917, alors que les pays européens étaient enlisés dans la première Guerre mondiale, l'Empire ottoman a fait en effet déporter et tuer une grande partie de la population arménienne. Ces massacres sont unanimement admis, et de nombreux pays et instances gouvernementales ou religieuses dans le monde, les ont officiellement reconnus comme relevant d’un génocide.
La Turquie, qui ne nie pas les tueries, en conteste en revanche l'ampleur, et rejette la volonté collective de ses gouvernants ou de ses extrémistes d’exterminer un peuple. Or, les méthodes et le massacre sont vivement dénoncés par les survivants du génocide arménien et par la communauté des historiens, car ils sont incontestables.
Le débat ne porte donc pas tellement sur la véracité des opérations guerrières turques, mais sur les conséquences qu’elles ont eues…et la manière dont elles se sont déroulées. Situation paradoxale, comme seule la politique peut en instaurer : la reconnaissance ne poserait pas de problèmes majeurs de conscience, s’il n’y avait pas la perspective de l’intégration de la Turquie dans le giron européen. Les faits sont pourtant incontournables, mais comme ils nuisent à l’image que veut se donner ce pays, désireux de s’ancrer au conglomérat européen on devrait passer à côté sans les voir.

UN VERITABLE PLAN DE DESTRUCTION
En février 1915, le comité central du parti et des ministres du cabinet de guerre, Talaat et Enver en particulier, mettent secrètement au point un véritable plan de destruction des Arméniens, qui sera exécuté dans les mois suivants. Il est présenté officiellement comme un transfert loin du front de la population que le gouvernement accuse de collaborer avec l'ennemi russe. En fait, le plan n'est que le masque qui couvre une opération d'anéantissement de tous les Arméniens de l'Empire, comme le prouve l'examen des événements.
La première mesure est le désarmement des soldats arméniens enrôlés dans l'armée ottomane. Ils sont employés à des travaux de voirie ou de transport et, au cours de l'année 1915, éliminés par petits groupes. Puis les " Jeunes Turcs " (parti au pouvoir), à la recherche des preuves d'un complot arménien, procèdent à des perquisitions et à des arrestations qui frappent en premier lieu des notables arrêtés les 24 et 25 avril. La destruction des populations arméniennes est ensuite opérée méthodiquement en deux phases successives : de mai à juillet 1915 dans les sept provinces où vivent près d'un million d'Arméniens, et qui sont plus ou moins proches du théâtre de la guerre ; puis, à la fin de 1915, dans les autres provinces de l'Empire, éloignées du front, ce qui enlève toute vraisemblance à l'accusation de collaboration avec l'ennemi.
Seules quelques milliers de personnes survivent à cette vaste opération d’épuration. Dans les villages, à l'abri des témoins, tous les Arméniens sont tués, à l'exception de quelques femmes ou enfants enlevés. Dans le reste de l'Empire, le programme prend les formes d'une déportation massive, conduite par chemin de fer sur une partie du parcours, les familles restant parfois réunies. Les convois de déportés convergent vers Alep, en Syrie . En juillet 1916, ils sont envoyés dans les déserts, où ils sont tués par petits groupes, ou meurent de soif. Les derniers regroupements de déportés sont effectués le long du chemin de fer de Bagdad à Ras-ul-Aïn. Seuls survivent un tiers des Arméniens !
Avant de condamner la loi votée hier, comme je l’ai entendu de la bouche de M. Accoyer, aboyeur en chef des députés UMP, il aurait peut-être été utile de redonner son sens à la notion de génocide qui ne devrait pas avoir besoin d’un jugement international pour être respectée. Mais la crainte est probabalement trop forte que ressurgissent des fantômes de... l’Histoire de France.

EXISTENCE D’UNE ORGANISATION CRIMINELLE
Après la fin de la grande guerre, le régime " jeune-turc " ayant disparu depuis octobre 1918, des procès montrent la réalité des massacres, et révèlent l'existence d'une organisation criminelle, " l'Organisation spéciale ", qui a orchestré les destructions de la population arménienne. Il s’agissait donc bien d’un système géré, et d’une planification officielle de cette extermination massive.
Les observateurs dressent alors le bilan de l'anéantissement des Arméniens de Turquie et constatent qu'à l'exception de 300 000 Arméniens sauvés par l'avancée russe et de quelque 200 000 habitants de Constantinople et de Smyrne qu'il était difficile de supprimer devant des témoins, il ne persiste plus que des îlots de survie : des femmes et des jeunes filles enlevées, disparues dans le secret des maisons turques ou rééduquées dans les écoles islamiques, des enfants regroupés dans des orphelinats pilotes ; quelques miraculés cachés par des voisins ou amis musulmans ou quelques familles protégées en milieu urbain.
Au total, on évaluera que le massacre a fait 1 200 000 à 1 500 000 victimes. Certes, c’est cinq fois moins que le génocide  des juifs par les nazis, mais c’est largement supérieur à d’autres cas auxquels les pays occidentaux ont donné, au nom de leur propagande permanente, une dimension supérieure.
Les Turcs condamnent pourtant vivement toute reconnaissance de la responsabilité de leur pays par des gouvernements ou parlements étrangers. Le nouveau code pénal en préparation indique dans son article 305 que sera puni de 3 ans à 10 ans de prison et d'une amende, tous " actes contraires à l’intérêt fondamental de la nation ". La peine pouvant être étendue à 15 ans de prison si cette opinion est exprimée dans la presse. Des notes explicatives du projet indiquent que cela peut, entre autres, s'appliquer aux revendications concernant… le génocide arménien. Le négationnisme est donc officiellement reconnu et même approuvé. Et pour moi, c’est intolérable. Une information libre et objective sur le sujet est impossible en Turquie.

PRIX NOBEL DU COURAGE
Ainsi, lorsque l’écrivain Orham Pamuk a déclaré en 2005 " qu'un million d'Arméniens et 30 000 Kurdes ont été tués en Turquie ", un sous-préfet de son pays a ordonné la destruction de tous… ses livres. Autres temps, autres mœurs. Le 16 décembre 2005, cet écrivain courageux est traîné devant un tribunal d’Istambul pour un procès fait pour ces propos considérés comme une " insulte à l'identité nationale turque ", et passibles à ce titre de six mois à trois ans de prison. Cet homme de talent ne sera pas condamné, grâce à la pression internationale… et depuis hier, il est devenu le héros de son pays en recevant le prix Nobel de littérature ! Ce n’est pas pour autant que ses compatriotes les plus extrémistes ont admis qu’une petite centaine de députés français veuille sanctionner les négationnistes d’un génocide qui a bel et bien existé. Je crois que c’est tout à l’honneur de ceux qui ont eu le courage de venir hier au Palais Bourbon pour voter oui ou non. D’ailleurs, où étaient les députés Girondins, à l’exception de Noël Mamère ?
"Aujourd'hui, l'Assemblée a retrouvé la dignité en ne mélangeant pas les bons de commande et la civilisation" a commenté avec sobriété (pour une fois) le député UDF André Santini. Tout le reste n’est en effet pour moi que faux semblant, car on sait bien que le lobby économique pro-turc, certains partisans de l’entrée de ce pays dans la Communauté européenne, ont mis leur conscience en sommeil. Le négationnisme ne les dérange pas fondamentalement, quand il permet de sauver les apparences du dialogue. Cette forme d’extrémisme rampant doit être au moins aussi fermement condamné que l’extrémisme actif, et c’est parce que l’on n’a pas le courage de le faire que l’histoire se répète inlassablement.
Le cancer des mémoires tue les démocraties sournoisement, et ce ne sont pas les lois mais l'éducation qui peuvent le combattre. Le reste n'est que poudre aux yeux !
Ce texte, rassurez-vous partisans du non-interventionnisme dans l’Histoire de l’humanité, n’ira pas jusqu’au bout, car la trouille politique est supérieure aux convictions. D'ailleurs, le porte-parole du quai d'Orsay, Jean-Baptiste Mattéi, a déploré immédiatement son vote, suivant la position des autorités françaises, et a assuré Ankara que la France reste "très attachée au dialogue avec la Turquie". C'est encore le "dialogue" qui a poussé la Commission européenne à condamner ce texte, et son adoption par les députés français, en ce qu'ils pourraient empêcher "le dialogue nécessaire à la réconciliation". La politique européenne des bons de commande et du profit n'est pas morte!
Mais je déblogue...
 
JE VOUS AVAIS PREVENUS ET VOUS NE M'AVIEZ PAS CRU...
ET POURTANT
Relire la chronique : "Démocratie : le sondé cloche"
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commentaires

E
Bon, après reflexion, je pense que cette loi n'est pas utile et qu'il vaut mieux laisser faire les historiens. Mais je trouve quand même scandaleux les propos des autorités Turques sur cette question !
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E
Au fait, Le Pen aussi est contre cette loi ! C'est pas important mais cela me rassure un peu de voir que je n'ai pas le même avis que lui ! ;-)
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E
Dis comme ça, Claude, je suis d'accord.
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C
Jamais dit que les livres de Jean Kehayan étaient la Bible, ni qu'un livre sésolvait tou, non, simplement ça aide et ca c'est irremplaçable. En fin moi je suis comme ça, un lecteur & j'aime aussi les discussions mais j'en ai un peu marre des disputes en vieillissant.
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E
J'aime bien les discussions et les disputes ! ;-)<br /> Au fait, même la bible (surtout ?) ne détient pas la vérité !
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