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4 mai 2007 5 04 /05 /mai /2007 07:22
Hier matin il n’y a pas eu une seule machine à café devant laquelle on ne s’est pas épanché sur le débat de la veille au soir. Chacune et chacun, beaucoup plus que des certitudes, lançaient une question " alors, comment tu as trouvé ? " Ce comportement bizarre qui faisait que personne ne voulait véritablement s’engager en faveur de l’une et de l’autre planait sur les premiers instants d’un dialogue détendu. Impossible de partir d’une certitude dans un contexte où personne ne connaît véritablement l’issue du scrutin présidentiel. En fait, le face à face avait surtout renforcé les convictions déjà sûres et peu modifié les lignes.
Les femmes avaient surtout remarqué les moments où Ségolène avait cloué le bec à son opposant et en retiraient un brin de fierté. Les hommes notaient parfois, avec gêne, ses hésitations sans pour autant en faire un cas de renoncement à al soutenir. Mais personne n’osait véritablement livrer le fond de sa pensée comme s’il y avait à la clé un malheur potentiel pour celle ou celui que l’on soutient. Personne n’osait véritablement livrer le fond de sa pensée au cas où il y aurait des oreilles chargées de repérer un doute ou même une crainte. C’est ce qui m’a paru le plus désolant car c’est bel et bien la confirmation que nous vivons dans une société du non-dit, du secret, de la réserve prudente, de la non-affirmation d’une position au cas où des représailles existeraient. La franchise devient très dangereuse. D’ailleurs hier François Bayrou a illustré à merveille ce nouveau comportement qui veut que l’on n’assume que rarement les risques des opinions non dominantes.
Le président de l'UDF déclare qu'il "ne votera pas pour" Nicolas Sarkozy, sans pour autant dire ce qu'il fera le 6 mai, dans le journal Le Monde daté d’aujourd’hui. "Je ne sais pas ce que je ferai, mais je commence à savoir ce que je ne ferai pas à titre personnel au second tour", avait-il déclaré, après avoir annoncé qu'il ne donnerait pas de consigne de vote… Si l’on veut illustrer une manière de faire de la politique on la trouve dans cette déclaration qui fait que le courage ait ses limites, L’un de ses proches que j’ai eu longuement au téléphone hier soir me décrivait les pressions sarkozistes exercées sur les élus UDF afin qu’ils ne se suicident pas en… déclarant simplement mettre leurs déclarations antérieures en accord avec leur vote du second tour. Il leur faut dire le contraire de ce qu'ils pensent véritablement! Dur...dur!
Alain Juppé, qui avait dû oublier de prendre son sirop d’érable adoucissant, avait vendredi donné 48 heures aux membres UDF de la majorité municipale bordelaise pour choisir leur camp… Après les délégations seraient retirées. Bien évidemment ce sera démenti et je serai une fois encore accusé " d’anti-Ump…isme " primaire mais n’empêche que ce comportement est décrit " off " par les " meurtris des consciences ". Tout le monde vit sur des apparences et s’en contente. Devant les machines à café aussi bien que dans les couloirs des institutions.
Il est devenu évident depuis des semaines que le plus fidèle soutien à cette propension au bal masqué permanent aura été le divin sondage. On s’appuie sur ses prédictions avant de parler. On scrute ses résultats pour agir. On efface ses convictions pour respecter ses directions.
Les gouvernants grecs et romains avaient, bien avant notre ère actuelle, inventé un système similaire : celui des oracles. Pas question de se prononcer publiquement sans avoir reçu le soutien de la Pythie. C’était aller vers la lapidation ou le déshonneur. Aller contre son avis aurait constitué une faute grave, pire un comportement suicidaire susceptible de vous ôter toute crédibilité. Ce fut le cas il a 2500 ans et c’est toujours d’actualité !
UNE PLACE IMPORTANTE DANS L’ORGANISATION POLITIQUE
Outre un rôle religieux majeur dans le monde antique — en effet, l'oracle d'Apollon n'était pas exclusivement consulté par les Grecs — les oracles de la Pythie ont ainsi tenu une place importante dans l'organisation politique grecque. Trois faits curieux sont notables concernant l'opinion que le dieu était censé avoir de la puissance de son pays d’accueil. L'oracle, en effet, n'a pas toujours soutenu les actions de son peuple.
Lors des guerres médiques (ayant opposé les Grecs aux Mèdes), Athènes avait consulté l'oracle, afin de demander s'il était bon que Sparte vint à son secours. L'oracle rendit une réponse négative, alors que c'est justement l'intervention du spartiate Léonidas aux Thermopyles en 480 qui permit aux Athéniens de gagner du temps pour remporter la victoire à Salamine (laquelle victoire serait due, pour le coup, à un oracle de la Pythie, qui avait conseillé de bâtir un mur de bois, ce qui, symboliquement, représentait la flotte athénienne massée dans le goulet de Salamine). On accusa alors la Pythie de " médiser " (futurement médire) c’est à dire de " parler en faveur des Mèdes ".
Le deuxième oracle marquant prend place pendant les guerres du Péloponèse, qui opposaieent Athènes à Sparte ; celui-ci donnait clairement raison aux Spartiates. On accuse cette fois-ci la Pythie de " laconiser " c’est à dire de " parler en faveur de Lacédémone ", autre nom pour Sparte. Enfin, pendant les conquêtes de Philippe, l'oracle, du côté du " barbare ", est accusé pour le coup de " philippiser ". Ces trois erreurs du sondage de la pensée divine sont considérées comme des actes de méfiance de l'oracle se montre vis à vis des Athéniens. En fait, il subissait les influences… du peuple de Delphes, pro-aristocrate et assez conservateur. Cela explique sans doute pourquoi la Pythie s'est souvent montrée défavorable à Athènes : la démocratie n'était pas en odeur de sainteté dans cette région du monde grec.
Chez nous on ne consulte plus les Pythies auxquelles on offrait des sacrifices humains mais des instituts de sondage auxquels on paie des sommes considérables avec simplement l’espoir qu’ils confirment ce que vous souhaitez ardemment voir arriver. La déception ne doit pas être de ce monde car elle ne découlerait que d’une incapacité à coller à l’opinion dominante par des idées trop affirmées.
UN ORACLE NOMME OPINIONWAY
Alors hier on a délivré la vérité sur un affrontement dont l’issue fut incertaine. Un oracle nommé " Opinionway " a été consulté par… les partisans affirmés de Sarkozy qui se fait ainsi payer ce message par Le Figaro et LCI dont on sait combien il lui sont dévoués. Une simple astuce pour ne pas que cette " consultation " figure dans les comtes de campagne et soit labellisé indépendant. Nicolas Sarkozy a été jugé plus convaincant que Ségolène Royal lors de leur débat radio-télévisé de mercredi soir ; Figurez vous que 53% des personnes interrogées ont jugé le candidat UMP "plus convaincant" contre 31% pour la candidate PS, et 16% qui répondent ni l'un ni l'autre ou ne se prononcent pas… Pour les Pythies des machines à café c’est du pain béni : il suffisait de calquer son opinion sur cette appréciation et ainsi d’apparaître comme un analyste d’exception.
Malheureusement les directeurs de campagne de Ségolène Royal ont osé dénoncer dès sa publication "la fiabilité" de cette enquête, y voyant des "manoeuvres de commande" et se demandant "à qui profite un tel sondage ?". Jean-Louis Bianco et François Rebsamen ont reproché à OpinionWay de proclamer "que Nicolas Sarkozy serait le vainqueur du débat d'hier soir sur tous les sujets économiques et sociaux, abandonnant les restes d'empathie à Ségolène Royal pour les thèmes dits compassionnels".
"L'institut Opinion Way a déjà à plusieurs reprises démontré son manque de fiabilité", affirment-ils dans un communiqué, en annonçant leur intention de saisir la Commission des sondages… qui se réunira la semaine prochaine quand le mal sera fait. Il est vrai que la démarche technique entre le sondage et la consultation de l’oracle de Delphes n’a guère évolué depuis l’Antiquité.
CONSULTER AVANT LES AUTRES
La marche à suivre pour consulter le dieu était en effet la suivante. Le consultant (qui ne pouvait pas être une femme), s'acquittait d'une taxe versée à une confédération de cités (désormais ce sont le candidat ou ses supporteurs qui paient). Les consultations pouvaient être demandées individuellement ou collectivement, pour une cité ou un parti. Le paiement d'une surtaxe ou des services rendus à la cité de Delphes permettait d'acquérir le droit de " promancie " c'est-à-dire celui de consulter avant les autres, et ainsi de passer outre la liste d'attente qui pouvait être d'autant plus longue qu'on ne pouvait consulter la Pythie qu'un jour par mois. On menait le consultant dans le temple d'Apollon où il y rencontrait la Pythie, qui s'était purifiée, avait bu l'eau de la source Castalie de Delphes et mâchait des feuilles de laurier installée sur un trépied.
Le consultant offrait un sacrifice sanglant au dieu, lequel était conduit par les deux prêtres et leurs assistants préalablement, la victime était aspergée d'eau froide et, si elle ne tremblait pas, la prise d'oracle était annulée (au risque, sinon, de tuer la Pythie : elle ne pouvait contredire ce signe du dieu qui donnait ou non son accord). Le demandeur posait alors sa question à la Pythie, question que les prêtres avaient souvent… remise en forme (afin qu'elle prît la forme d'une alternative) et puisse induire la réponse attendue. La Pythie, enfin, rendait l'oracle du dieu, qui parlait à travers elle mais cette réponse devait être rendue claire par les deux prêtres d'Apollon qui l’adaptait aux circonstances.
Vous voyez que les grands prêtres d’IPSOS, de SOFRES, de CSA, d’IFOP, d’OPINIONWAY  et de bien d’autres temples de la démocratie agissante n’ont guère de mérite car ils ont puisé leur inspiration dans les rites de Delphes. Il reste à savoir si une erreur dimanche soir ne risque pas de les conduire à se retirer dans leurs temples. En attendant les " Pythies sondagières " auront encore frappé hier devant les machines à café, aux comptoirs des bistrots, dans les salles de profs ou les self services des usines, les cours des lycées et aux terrasses des restaurants. Seul un sursaut collectif de la raison permettrait de garder espoir mais dans un tel contexte il relèverait du miracle électoral. L'irrationnel occupe les esprits. Tenez j'ai même vu deux chats noirs en distribuant un tract pour Ségolène Royal hier soir. C'est vous dire si le résultat est acquis!
Mais je déblogue… 
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commentaires

A
Bravo et merci pour cette chronique, et pour toutes les autres.
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N
C'est vrai que l'article est excellent. Quand à moi je veux y croire jusqu'au bout et comme le dit "tonton" si jamais.....eh bien il ne faudra rien lâcher et continuer. Je suis toujours très étonnée (je dois être un peu naïve) de voir des personnes s'empoigner pour l'un ou l'autre camp, dire de façon préremptoire qu'un tel ou une telle n'est pas qualifié en économie, en écologie, en nucléaire etc... ce sont ces mêmes JUGES qui n'ont jamais assisté à un conseil municipal et qui ne savent même pas d'où viennent les ressources d'une commune. Donc à part quelques CITOYENS, les autres devraient réfléchir avant de parler et juger. On doit faire un choix de société. Ce travail sera fait par une équipe. Chacun dans cette équipe ne sera pas spécialiste de TOUT mais le capitaine donnera le cap. Il s'agit donc de choisir le bon capitaine. Si l'on prenait l'exemple de Zizou, il n'aurait peut être pas arrêté tous les buts comme Barthez mais il a été un bon capitaine et a su mener son équipe à la victoire.
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J
cet article est excellent! vraiment remaquable!<br /> même le coup du chat noir...
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