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17 janvier 2008 4 17 /01 /janvier /2008 07:55
Pour une fois, un tribunal a reconnu la responsabilité du milieu économique dans une catastrophe écologique. Jusque là on reportait davantage les conséquences d’un tel événement sur les personnes qui étaient chargées de le prévenir que sur celles qui en assumaient en fait la paternité. Jamais la notion de " responsable " et de " coupable " n’avait été pris en compte dans sa globalité. Le groupe Total et trois autres personnes physiques et morales ont en effet été condamnés à des amendes et un total de 192 millions d'euros de réparations pour " pollution maritime " lors du naufrage du pétrolier Erika survenu au large de la Bretagne en 1999.
Cette condamnation d'une compagnie pétrolière dans un accident maritime majeur, une des plus lourdes financièrement jamais prononcée, est donc devenue une première judiciaire en France qui pourrait bouleverser les données de ce secteur économique. L'impact est renforcé par le fait que dans le même jugement, le tribunal correctionnel de Paris ouvre la voie à la reconnaissance de la notion de " préjudice écologique ". Il s’agit véritablement d’un signe au moins aussi fort que celui du Grenelle de l’environnement. Le dossier n'est pas fermé car Total et les autres condamnés qui ont tous plaidé la relaxe au procès, pourraient faire appel du jugement, ce qui suspendra les sanctions. Un autre procès devrait donc être organisé dans environ un an et probablement un pourvoi en cassation suivra !
Après huit ans de procédure et quatre mois de procès l'été dernier, le tribunal a condamné le groupe Total, première société française en importance et quatrième groupe pétrolier privé mondial, à 375.000 euros d'amende, sanction maximale pour pollution maritime pour une personne morale. L'organisme de contrôle maritime italien Rina, de réputation mondiale, est condamné à 175.000 euros d'amende. Il avait donné son certificat de navigabilité à l'Erika.
LES CONTRAINTES COMMERCIALES
Giuseppe Savarese, ex-propriétaire italien du navire, et Antonio Pollara, ex-gestionnaire italien de l'Erika, sont sanctionnés de 75.000 d'amende chacun, maximum prévu pour les personnes physiques.
Savarese et Pollara - absents au tribunal - ont commis une faute en réduisant les travaux d'entretien de l'Erika pour économiser de l'argent, disent les juges. Le Rina a délivré des certificats sans procéder aux contrôles nécessaires " sous la pression de contraintes commerciales ", dit le tribunal. Et c’est peut-être là que se trouve la clé du jugement et sone exemplarité. En fait si cet attendu est confirmé en appel et en cassation on pourra y voir une condamnation des donneurs d’ordre qui de fait obligent les sous-traitants à ne pas respecter le principe de précaution pour abaisser les prix de leurs prestations.
Concernant Total SA, le tribunal a écarté les règlements internationaux qui excluent la responsabilité des affréteurs, point sur lequel s'appuyait la compagnie pour demander sa relaxe. Juridiquement, l'affréteur était en effet la filiale Total transport, qui est relaxé, disent les juges. Total SA s'était "de fait" chargé d'un pouvoir de contrôle des navires affrétés, explique le tribunal dans ses attendus. Le service de "vetting" (inspection des navires affrétés propre à la compagnie) était rattaché au groupe, remarquent les juges, qui concluent à une " faute d'imprudence " dans l'inspection.
Le tribunal reconnaît le droit pour les associations de protection de la nature à obtenir réparation des dommages à l'environnement, une victoire proche de la reconnaissance du " préjudice écologique ", qu'elles demandaient.
Parmi la centaine de parties civiles - régions, départements, communes, État français, associations -, l'État obtient à lui seul 153,8 millions d'euros, l'intégralité de ses demandes. Les parties civiles demandaient au total environ un milliard d'euros de réparations. Une vingtaine d'entre elles sont déclarées irrecevables. La région Bretagne obtient 5,6 millions d'euros, les Pays-de-Loire, 4,78 millions, le Poitou-Charentes un million, le Finistère 4,36 millions, la Loire-Atlantique 5,33 millions.
UN PRIX A LA NATURE
En établissant la notion de préjudice écologique dans l'affaire de l'Erika, la justice française donne pour la première fois un prix à la nature, ouvrant une perspective novatrice en droit de l'environnement, se félicitent ses défenseurs.
En reconnaissant le préjudice écologique au même titre que les dommages causés à l'économie ou à l'image, le juge a rendu " la facture lourde et dissuasive, autour de 200 millions d’euros pour Total ", fait valoir l'avocate Corinne Lepage, qui représentait les collectivités locales au procès. Cette jurisprudence signifie que désormais, si on cause une atteinte à l'environnement : " Il faudra payer. Ce qui va donner lieu à la mise en place de toute une comptabilité, un travail que devront mener scientifiques, économistes et juristes ", ajoute l'avocate.
Pour la première fois, " un tribunal a octroyé une indemnisation pour la mort d'oiseaux: une véritable nouveauté juridique ", note Françoise Labrousse, avocate spécialisée dans le droit de l'environnement au sein du cabinet américain Jones Day. En fait on constate une fois encore que pour qu’une notion fondamentale de la vie humaine soit reconnue il faut la transformer en fric ! La valeur ne repose donc que sur la notion d’évaluation monétaire alors que le préjudice mériterait une condamnation beaucoup plus solennelle !
" Jusqu'à présent, explique-t-elle, deux obstacles faisaient reculer les juges. Déterminer qui est habilité à réclamer à une indemnisation : ici le juge a désigné les associations. Et à qui l'affecter, qui puisse justifier d'une compétence spéciale et garantir que les sommes seront dédiées à la réparation? là encore, le juge a fait confiance aux ONG ".
La Ligue pour la protection des oiseaux, qui réclamait 70 euros par oiseau mazouté, a ainsi obtenu près de 800.000 euros de dédommagements au titre du préjudice écologique. France Nature Environnement, Greenpeace et WWF auront chacune 33.000 euros.
Cette reconnaissance du préjudice écologique va obliger le législateur à se saisir de la question, c'est ainsi que le droit de l'environnement a toujours avancé dans l'histoire: il a fait des bonds quand il s'est trouvé des juges pour forcer les textes. Toutes les composantes de l'environnement pourraient ainsi faire l'objet d'indemnisation en vertu de cette directive... sauf les dommages maritimes qui sont couverts par les conventions internationales. Il va rester à Total à se préoccuper de des condamnations et à remobiliser son bataillon d’avocats et à vite estomper dans ses comptes ces amendes qui, même si elles sont élevées, n’altèreront jamais la santé financière du groupe. La solutions est simple : on se tourne vers le consommateur !
DEJA RECUPERES
Ainsi hier au moment où les défenseurs du groupe faisaient mauvaise mine l’association de consommateurs UFC-Que Choisir a renouvelé ses accusations sur les marges réalisées par les distributeurs de… carburant et de fioul parmi lesquels bien entendu on trouve Total mais aussi d’autres grands groupes de distribution. Après avoir, il y a quinze jours, constaté que " les marges de distribution du carburant avaient augmenté de 2 centimes d'euros au litre en décembre ", elle a accusé les distributeurs d'avoir encore augmenté leurs marges depuis le début janvier.
A l'appui de sa démonstration, elle cite les chiffres fournis par l'Union française des industries pétrolières (UFIP), selon lesquels la marge de distribution sur le gazole est passée " de 7 centimes en octobre à 9,2 centimes en décembre et 11,8 centimes sur les relevés des 7 et 14 janvier 2008 ", et; pour l'essence, " de 7 centimes en octobre à 8,8 centimes en décembre et 12,1 centimes pour les 7 et 14 janvier ". Sur les volumes distribués en direct par Total, les amendes infligées sont dès maintenant remboursées et elles le seront très vite sur quelques jours de plus. Facile puisque le gouvernement libéral à outrance laisse le marché réguler à sa guise (entente ou pas entente ?) la distribution de carburant !
L'UFC accuse donc les distributeurs de ne " pas respecter les engagements " pris auprès de Christine Lagarde (NDLR : elle ne s’en soucie guère). De plus, " devant la vacuité des accords entre le ministère et les pétroliers ", UFC-Que Choisir appelle à " mobiliser une mission d'évaluation et de contrôle de l'Assemblée nationale pour faire un bilan des engagements des groupes pétroliers et effectuer des propositions tant sur le prix, que sur l'investissement dans le raffinage et leur contribution à la réduction de la dépendance au pétrole ".
Il faut ajouter que sûrement les prix à la production n’ont guère augmentés et que ceux du transport, sous la pression des volumes à déplacer, ne se sont pas envolés comme c’est le cas après la pompe ! La marge des bénéfices doit donc être encore accrue et il est certain que les dividendes 2007 vont être splendides. Le problème c’est que les parties civiles au procès peuvent demander le paiement des 192 millions d'euros à l'un des condamnés, de préférence le plus riche, à charge pour lui de se faire rembourser les quotes-parts auprès des autres. C'est ce qui inquiète Total, dont les poches sont de loin les plus garnies, avec des bénéfices records de 12,6 milliards en 2006 et de beaucoup plus en 2007. Imaginez le drame !
Mais je déblogue…
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