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10 août 2006 4 10 /08 /août /2006 07:17
Désormais la France sportive va vivre dans l’angoisse. Cette sensation forte n’est paradoxalement possible que quand tout va bien, car elle naît quand on a quelque chose à perdre. En effet, depuis hier soir, avec les médailles d’or de Mehdi Baala sur 1500 m et de Marc Raquil sur 400 m aux championnats d’Europe, on va craindre la détection, dans un flacon d’urine numéroté, de la présence d’une substance surnaturelle… Certes, il y a peu de risques qu’une telle mésaventure arrive, mais désormais plus aucune certitude n’existe en la matière. Il y a maintenant tellement de phénomènes extraordinaires dans le corps des sportifs de haut niveau, que l’euphorie d’un jour peut se transformer en honte en l’espace d’une seconde, le lendemain. Rares sont les personnes lucides qui ne sont pas, depuis quelques années, tenaillées par le doute, quand l’or se met à pleuvoir. La suspicion plane inévitablement sur toutes les performances, empêchant de savourer ce bonheur de voir triompher des femmes et des hommes représentant son pays. Et, malgré les assurances données par des dirigeants, soumis eux aussi, à des obligations de résultat, on espère simplement ne pas être déçu, ou même totalement déboussolé.
Le sport, secteur social dans lequel on voyait les symboles d’une réussite non seulement liée à un talent mais plus encore à un louable effort conforté par une volonté de fer, n’inspire plus le respect antérieur. La faute en revient aux tricheurs qui hypothèquent leur santé pour figurer sur des podiums. La soif de gloire est telle, qu’elle fait perdre la tête à ceux qui n’obtiennent pas leur dose de succès, de retour sur investissement, de reconnaissance nationale ou internationale.
L’athlétisme a toujours constitué, pour moi, la plus belle école de la vie. Je le place au-dessus de tous les autres sports, tant il constitue le fondement même du dépassement de soi qui anime la compétition. Normalement, il ne saurait y avoir aucun artifice dans la course à pied, le saut, le lancer, où chacun se retrouve confronté simplement aux limites de son corps. Et pourtant… malgré des enjeux financiers nettement inférieurs à ceux du vélo, le dopage y a régné en maître. Il s’agissait, durant des décennies, de faire retentir un hymne pour devenir le héros d’une nation, puis on est passé à la nécessité de montrer le logo d’une marque, afin de justifier des contrats, enfin désormais, il devient indispensable de justifier un statut dit de " haut niveau ". La pression demeure.
LA MEILLEURE ARME POLITIQUE
En juillet 1966, soit il y a tout juste plus de 40 ans, j’avais organisé, comme le voulait la tradition, le voyage à l’étranger de ma promotion d’école normale. Nous avions souhaité, par idéalisme et aussi par curiosité, effectuer une visite en Allemagne de l’Est. Rares étaient, alors, dans un contexte extrêmement tendu, les étudiants occidentaux désireux de rendre visite à leurs homologues de la RDA et d’ailleurs, tout était fait pour décourager les demandeurs. A force d’opiniâtreté, j’avais réussi à décrocher un passage par le fameux Check Point Charly de Berlin, pour vivre quatre jours dans un pays recroquevillé derrière son mur de la honte.
L’aventure nous avait permis de dialoguer " institutionnellement " puis " informellement " avec des responsables sportifs. Pour eux, le sport (et notamment l’athlétisme et la natation) constituait la meilleure arme politique. Il devait être aussi efficace que toutes les autres formes d’action, pour obtenir une reconnaissance mondiale que  les Occidentaux refusaient à ce pays "artificiel". Chaque fois que leur drapeau montait à un mat, chaque fois que retentissait leur hymne, les dirigeants de la RDA considéraient qu’ils avaient gagné une bataille diplomatique. Ils nous avaient donc implicitement avoué que " tout " était mis en œuvre pour que les palmarès en athlétisme, en natation et dans les disciplines olympiques soient aussi dominateurs que possible. Aucun mystère sur un choix politique clair : la fierté éprouvée par le Peuple devant ces podiums prestigieux devait le persuader de l’efficacité du système communiste.
Nous n’avions pas compris ce que recouvrait réellement le " tout ", qui devait être mis en œuvre… Et j’avoue avoir été impressionné par la qualité des installations, la motivation des éducateurs, la joie de la jeunesse mais, à 19 ans, les illusions appartiennent à la nécessaire évolution de la personnalité. Mais rares étaient ceux qui doutaient des exploits des athlètes de la RDA… car les observateurs n’imaginaient pas qu’il puisse y avoir une " industrialisation " du dopage au nom de l’intérêt d’Etat. Et je serais bien vaniteux de prétendre que j’étais méfiant… Bien au contraire ! C’était pourtant le début d’une escalade !
LE DOPAGE CAPITALISTE
La seconde phase a consisté à transposer le " dopage nationaliste " en " dopage capitaliste "… Bien évidemment, cette spécialité fut prise en charge par les Etats-Unis, au nom du maintien de leur supériorité planétaire. Les JO de Moscou furent véritablement boycottés, en 1980, afin que les athlètes américains ne soient pas ridiculisés par les " robots surpuissants " du camp communiste. Les prévisions étaient en effet très défavorables au camp occidental, face à une productivité de champions tournant à plein régime. D’ailleurs, même s’il faut relativiser le résultat, en raison de la présence  de  80 pays seulement, ce qui était encore l’URSS trustait 195 médailles (80 en or) et la RDA 126 dont 47 en or…Au total ces deux nations s'adjugeaient 321 des 631 médailles mises en jeu.
La riposte des USA arrivera lors de l'olympiade suivante. Les laboratoires privés se mirent à œuvrer dans la plus grande discrétion et, c’est désormais une certitude, l’utilisation des premiers produits de l’ère moderne donnèrent des ailes à quelques sprinters ou à quelques sauteurs. Des records du monde revinrent dans le giron occidental…
Comme les JO eurent lieu à Los Angeles, les " locaux " raflèrent à eux seuls 174 médailles dans un contexte certes plus défavorable, car si les Soviétiques restèrent à la maison, 140 pays étaient au rendez-vous !. Les grandes marques firent leur entrée en force dans le temple olympique et le système du couple " titre-contrat d'image " entra en vigueur, créant une nouvelle filière, avec des produits indétectables car… non recherchés. Il fallut quelques énormes scandales (Ben Johnson aura été à Séoul le plus énorme), pour que ce brave Prince Alexandre de Mérode, responsable de la commission médicale du CIO se décide à ne plus cacher tous les résultats dérangeants… L’athlète, légèrement plus surveillé, donna des idées aux cyclistes, chez lesquels les enjeux financiers n’étaient pas de la même veine. Une époque nouvelle arriva.
LE DOPAGE RENTABLE
Les pays de l’Est, en pleine déliquescence, ne purent jamais suivre les progrès fulgurant de la chimie, mise au service de la performance. Ils s’effondrèrent brutalement sur la scène internationale, et la RDA disparut sportivement et surtout politiquement des statistiques. La seule reconnaissance qui eut lieu conduisit l’Allemagne réunifiée à indemniser, des années plus tard, 194 sportifs est-allemands qui furent considérés comme victimes de la pharmacologie sportive.
Ils avaient été des " gagne-petit " car, en dehors d’une Traban et d’un appartement un peu plus grand, ils n’avaient sûrement pas fait fortune. La suite permit, en revanche, au " dopage rentable " d’entrer en lice. Peu importe les conséquences de l'acte délictueux, dans la mesure où, médiatiquement, la sanction n' intervient que plusieurs jours après celui de la gloire. On ne revient jamais sur les unes de journaux, les articles dithyrambiques,ou les panégyriques télevisés.
Les professionnels, au nom des nécessités de leur métier, entamèrent la course poursuite entre " utilisation " et " détection ", pour finir par arriver au cas Landis, qui marquera la fin de cette époque, tellement il est dramatiquement indigne du sport. J’ai le souvenir d’un journaliste sportif, aujourd’hui disparu, qui portait sur le Tour de France les ordonnances d’un médecin bordelais, lui aussi disparu, dans des enveloppes à destination de quelques coureurs en perdition. La loi du milieu régnait sur le peloton et, malgré des indices très précis, on adoptait la tactique du " cachez-moi ces problèmes que je ne veux pas voir ".
Tout a bien changé (si vous le croyez, c’est déjà merveilleux !) mais on tremble pourtant de voir, une fois encore, la suspicion envahir les stades. Et c’est là qu’est le véritable problème, car cette hantise gâche le plaisir que l’on ressent à voir mêlées la victoire collective " nationaliste "  (podium et drapeaux) et la rentabilité " capitaliste " individuelle (titre personnel). Alors, parfois, il vaut mieux fermer les yeux, croiser les doigts et attendre le résultat des analyses pour déboucher le Champagne !
Mais je déblogue…

Retour sur chronique (articles publiés dans la presse après celle-ci) :
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commentaires

E
Et même les analyses, elles ne disent que ce que les pouvoirs veulent bien entendre !
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