Demain, bon nombre de professeurs vont se retrouver face à un véritable dilemme : obéir ou résister. Le paradoxe, c’est qu’ils vont affronter une situation que d’autres, avant eux, dans des conditions beaucoup plus exigeantes ont connue. Il ne s’agissait pas alors de savoir si l’on devait exécuter une décision prise par le Ministre, mais plus durement, de se positionner par rapport à des enfants, des femmes et des hommes menacés pour leur confession religieuse, leur appartenance ethnique ou leurs opinions politiques. La dimension était infiniment plus forte que celle consistant à lire ou ne pas lire un texte devant une classe. Certes, une fois encore, on peut le faire en fermant les yeux. Certes, on peu le faire à la hâte comme pour se débarrasser d’une corvée. Certes, ont peut le vivre comme l’acte héroïque d’une fonctionnaire en mission sacrée. Certes, on peut l’envisager comme inutile et sans effet, et donc peu dangereux. Mais il n’est pas encore impossible de le vivre autrement. La lecture de la lettre de Guy Mocquet serait en effet indigne si elle n’était vécue par les enseignants comme un acte ordinaire, de la vie ordinaire, face à des élèves ordinaires. Si cette proposition présidentielle, inspirée par Henri Guaino, la mauvaise conscience, exploitant l’esprit du Peuple grâce au manque de culture du Peuple, est acceptée sans sourciller dans le monde enseignant, la démocratie est véritablement en danger. L’esprit de résistance est infiniment inférieur à ce qu’il fut, car il règne une certaine résignation à tous les étages d’une société manquant de courage collectif, sauf quand ses intérêts personnels sont en jeu.
Florence Aubenas (qui sait ce qu’est un otage), sur Nouvelobs.com, retrace la vie et les à cotés de la mort de Guy Mocquet, devenu héros malgré lui. Le 22 octobre 1941 vers 13 h 30, au camp de Choisel, les 27 otages sont transférés dans la " baraque numéro 6 ", aussitôt baptisée " la baraque de la mort " ,et le sous-préfet s’inquiète soudain de leurs dernières volontés. Une feuille et une enveloppe leur sont distribuées à chacun. Ils se mettent à écrire, "les uns sur les quelques bancs placés dans la salle, les autres appuyés le long des cloisons du baraquement", témoignera plus tard l’abbé Moyon, leur dernier visiteur (Ouest-France, le 16 octobre 1944). "Chacun s’empressa de finir sa lettre pour me la remettre. (…) Je revois encore M. Timbaud donnant le bras au jeune Môquet. J’ai devant les yeux le beau visage de ce jeune homme de 17 ans. J’entends sa déclaration : "Je laisserai mon souvenir à l’histoire car je suis le plus jeune des condamnés ".
C'est sa jeunesse qui fera la différence face à l'Histoire.
MARQUER LES ESPRITS
Comment, en effet, oublier que ces exécutions d’autres hommes dans toute la France, ce même 22 octobre, en représailles à l’assassinat deux jours plus tôt du lieutenant-colonel Hotz ont été politiques ? Il a été en effet décidé, sur ordre direct d’Hitler, que 50 otages seraient exécutés en représailles, pour " marquer les esprits ".
Comment ne pas rappeler aux élèves que tout ce qui fait référence à des quotas humains, d’une manière ou d’une autre devient tôt ou tard dangereux ? Les rafles de toutes sortes, et pour tous les motifs, sont aussi condamnables que celles qui préludèrent à la déportation, et donc à la mise en prison d’otages.
Est-ce que beaucoup d’enseignants en " mission " auront le courage de rappeler, après ou avant avoir lu la lettre imposée par une directive présidentielle, comment des hommes peuvent aller jusqu’au bout de leur engagement…politique ?
Oseront-ils vaincre parfois leur anti-communisme primaire, pour restituer la véritable histoire du Parti communiste avant l’exécution de… 50 de ses militants ?
En effet, il leur faudra nécessairement, par honnêteté intellectuelle, expliquer qu’à la demande des autorités allemandes, les noms des futurs fusillés furent désignés chez " les internés communistes les plus dangereux parmi ceux actuellement concentrés à Châteaubriant ". C’est ce que fournit comme explication le représentant de l’Etat Français, le sous-préfet Bernard Lecornu, au commandement allemand. C’est Pierre Pucheu, ministre de l’intérieur qui s’en est lui-même chargé, " pour éviter de laisser fusiller 50 bons Français " (ça ne vous rappelle rien, l’expression " bons Français "?). Au conseil, un ministre se fâche : " Comment avez-vous pu mettre le doigt dans cet engrenage ? Comment avez-vous pu désigner vous-même les otages ? ". Ce n’était qu’un problème de conscience et de fidélité à des engagements solides, oubliés dans la tourmente de la propagande et des idées toutes faites, pour une opinion dominante souhaitant être sécurisée.
Les enseignants ont donc une occasion unique de faire un véritable acte de résistance civique, sans aucun risque, puisqu’il leur suffira d’énoncer la vérité historique établie. A cet égard, ils pourraient choisir un autre écrit, attribué à Guy Mocquet, et qu’il portait sur lui au moment de son arrestation.
UN AUTRE ECRIT PLUS CONFORME
Cette lettre bis pourrait être livrée à un commentaire de texte, ou se justifier comme sujet de dissertation : " l’engagement au service des autres vaut-il la sacrifice de sa vie ? ". Voici donc une version différente du sacrifice accompli par ce jeune de 17 ans, en une époque où l’once de courage valait son pesant de peur, de sang et de larmes : Qui osera le lire ?"
"Parmi ceux qui sont en prison
Se trouvent nos 3 camarades
Berselli, Planquette et Simon
Qui vont passer des jours maussades
Vous êtes tous trois enfermés
Mais patience, prenez courage
Vous serez bientôt libérés
Par tous vos frères d’esclavage
Les traîtres de notre pays
Ces agents du capitalisme
Nous les chasserons hors d’ici
Pour instaurer le socialisme
Main dans la main Révolution
Pour que vainque le communisme
Pour vous sortir de la prison
Pour tuer le capitalisme
Ils se sont sacrifiés pour nous"
Par leur action libératrice."
La réalité qui se cache derrière le dernier, l’ultime message, émouvant par sa sincérité et sa simplicité est d’abord dans ce poème que peu de jeunes à notre époque oseraient écrire, tellement on leur rebat médiatiquement les oreilles sur le caractère désolant de l’engagement politique, vous savez le fameux tous pourris, tous fainéants, tous trop payés, tous inutiles… Alors, si c’est pour expliquer qu’avant sa dernière lettre, Guy Mocquet avait effectué une démarche militante, il faudra se blinder par rapport aux critiques de partialité… Et qui n’aura pas peur d’être taxé d’archaïsme total, parlant de " capitalisme ", de " communisme ", de " socialisme " et de " révolution " ?
D’AUTRES FUSILLES A CONNAITRE
Il est indispensable que les professeurs qui cèderont à la tentation de l’obéissance aient demain en mémoire ce que furent les compagnons de malheur de Guy Mocquet. Impossible de faire correctement son boulot d’enseignant laïque et soucieux de vérité, sans rappeler que le 22 octobre 1941, sont aussi tombés sous les balles après avoir écrit leur ultime message, leurs ex-collègues enseignants Raymond Laforge, 43 ans, instituteur à Montargis, militant communiste ; Titus Bartoli, 58 ans, instituteur à la retraite à Digoin, militant communiste, An Huyng- Khuong, 29 ans, professeur, secrétaire des étudiants communistes ; les élus suivants : Charles Michels, 38 ans, député communiste de la Seine, secrétaire de la fédération CGT Cuirs et peaux ; Désiré Granet, 37 ans, adjoint au maire communiste de Vitry-sur Seine et secrétaire de la fédération CGT du papier carton, Maurice Gardette, 49 ans, conseiller général communiste de la Seine; les syndicalistes : Jean Poulmar’ch, 31 ans, secrétaire général de la fédération CGT des industries chimiques de la région parisienne, Jules Vercruysse, 48 ans, secrétaire général de la fédération CGT-Textile du Nord…
Ils sont morts uniquement à cause de leur engagement ouvert en faveur des autres. Ils avaient appelé à des grèves dans l’intérêt général, ils avaient sacrifié leur vie familiale pour participer à la vie publique, ils avaient choisi les idées qui correspondaient à leur vision sociale plutôt que de se glisser dans le confort du renoncement. Eux aussi mériteraient que l’on lise et relise leurs dernières lettres, chaque année, en place publique et au journal de 20 heures.
Et d’ailleurs, on peut se poser la question : pourquoi a-t-on choisi parmi le livre (l’amicale des anciens internés de Châteaubriant vend, pour un prix modique, la totalité de ces lettres recensées) celle de Guy Môquet (sauf à penser qu’il ne s’agit que d’un choix de communication et surtout pas de sincérité) alors que, par exemple, on aurait bien pu demander toutes les autres, toutes aussi émouvantes les unes que les autres, mais beaucoup plus politiques et donc beaucoup plus proches de la réalité historique. Toutes les lettres ne sont pas connues, certaines ont été perdues, d’autres, jamais communiquées par les familles. Mais toutes les lettres méritent d’être lues, car elles placent la notion de résistance à un autre niveau que celui de la lettre de Guy Mocquet.
Tenez, pour ma part, je préfèrerais que l’on prenne cet extrait de celle de Jean Poulmar’ch : (…) Du courage, j’en ai à revendre, mes amis aussi sont admirables devant la mort. C’est surtout à toi que je veux m’adresser pour les tourments, la douleur infinie que cette nouvelle va te causer. Sois forte, chérie, tu es jeune encore, ne te laisse pas sombrer dans la tristesse et le découragement. Refais ta vie, en gardant au cœur le souvenir impérissable de celui qui t’a aimée jusqu’à son dernier souffle. Elève notre fils chéri dans l’esprit qui fut celui de toute ma vie, qu’il devienne un homme épris de justice, attaché à la défense des faibles, ce sera la meilleure vengeance. Console mes parents chéris, mon papa, que j'ai aimés de mon mieux, qu’ils soient forts devant l’adversité. Embrasse-les et mets-y tout ton cœur.
Pauvre Marguerite, pauvre Jean, je regrette le chagrin que je vais leur causer. Je les aimais bien et ils me le rendaient au mieux. A tous, adresse mon salut, apporte leur ma confiance inébranlable en la victoire prochaine. L’heure n’est plus aux pleurnicheries et à la passivité. L’heure est à la lutte impitoyable pour la libération de la France et de son peuple glorieux. Jusqu’à ma mort, j’ai lutté ; je suis fier de ma vie et je ne doute pas que mon sacrifice, comme celui de mes camarades ne soit pas vain. Excuse moi, j’écris sur mes genoux, mais ne crois pas que je tremble (…) ".
C’est plus conforme à la situation de l’époque.
Mais j’ai une confiance inébranlable dans les enseignants français. Aucun d’entre eux n’obéira sans se poser une question ou deux sur la symbolique du geste qu’on lui demande d’accomplir. Demain matin, en se regardant dans la glace avant de partir au lycée, j'en suis certain, ils deviendront des citoyens.
Mais je déblogue…