3 août 2007
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Il paraît, si l’en en croit la tradition, qu’il existerait un langage diplomatique dans lequel les mots devraient être aussi soigneusement pesés que les pépites aurifères. Dans un " Dictionnaire du Diable " publié en 1911, un certain Ambrose Bierce résumait parfaitement la situation : La diplomatie c’est l'art patriotique de mentir pour son pays. Nicolas Sarkozy a probablement dû modifier légèrement la motivation puisque, depuis ce qu’il faudra bien appeler l’affaire des " otages bulgares " en Libye, il a manié l’art de mentir, pour sa seule notoriété personnelle. Il a habilement transformé les objectifs des accords d’Etat à Etat, pour en faire d’abord et essentiellement une opération de promotion médiatique. Ce que l’on appelle la " Realpolitik " a repris ses droits : tout est bon pour valoriser, non pas un pays, mais un homme, même si c’est au détriment des idées fondamentales qu’il doit servir. En effet lentement, beaucoup trop lentement, les consciences anesthésiées par l’influenza médiatique, se réveillent et pratiquent enfin ce que l’on est en droit d’attendre dans une démocratie qui ne bronze pas totalement sous le soleil de l’affectif.
D’abord, on ose tout juste ne plus seulement évoquer la libération des " prisonnières bulgares " mais quelques personnalités de l’opposition parlent des " otages bulgares ". La nuance est extrêmement importante sur le plan de l’éthique, car les négociations menées avec le dictateur Kadhafi ne sont en définitive guère différentes et donc pas plus glorieuses que celles que conduisent désespérément les Coréens pour arracher leurs ressortissantes des griffes des talibans. Et là, le tableau manque singulièrement de brillant pour les responsables mêlés à cet échange sous pression.
Qui a comparé une condamnation inique à mort prononcée par des tribunaux à la solde d’un tyran à celle signifiée par des intégristes fanatiques ? Qui a osé dénoncer publiquement et ouvertement le terrible jeu pervers consistant à repousser sans cesse l’exécution d’une décision aussi dramatique et inique que celle conduisant à la mort ? En fait, la théorie voulant que l’on ne négocie jamais avec des preneurs d’otages, pour éviter qu’ils en prennent d’autres a été oublié au nom de rodomontades françaises. Le colonel Kadhafi a simplement largement rentabilisé une atteinte flagrante aux règles du droit international et en a tiré profit. Une fois encore, grâce à l’empressement fébrile de Nicolas Sarkozy, il a fait ses emplettes, jusque là interdites, dans une société occidentale qu’il n’use que quand il s’en sert.
Ensuite, on a compté sur le fait que l’opinion publique française ressemblait parfaitement à la ménagère de plus de 50 ans faisant le triomphe des séries télévisées de TF1, ou croyant encore dans les contes de fées ou les films de cape et d’épée. Comme il ne fallait surtout pas engager officiellement l’Etat dans un éventuel échec et qu’il paraissait opportun, en revanche, de retirer un bénéfice individuel d’une libération, on a soigneusement évité de mettre en œuvre les processus habituels. La recette des intermédiaires officieux, qui a déjà été utilisée par Pasqua en d’autres temps au profit de Chirac lors de prises d’otages au Liban, a été outrancièrement mise en oeuvre. La seule véritable différence réside, en effet, dans l’idée géniale d’avoir laissé le " French Doctor " hors du coup, car il aurait trouvé moyen d’améliorer sa cote de popularité, et surtout il aurait occulté médiatiquement un éventuel succès. Non, l’idée géniale, c’était de transformer Cécilia en un mélange de Mata Hari, de chevalier d’Eon, de dame de compagnie, afin qu’en cas d’échec, ce ne soit que celui d’une action humanitaire charitable, mais pas d’une démarche officielle. La tactique l’emportait sur toutes autres considérations. Il suffisait enfin de mettre le prix, pour décrocher le droit de déposer, avec un avion taxi gouvernemental, les malheureux otages dans leur pays d’origine. Et pour cela, rien ne vaut les armes… au nom de la " Realpolitik ".
UN BESOIN DE RECONNAISSANCE
Le dénouement heureux du dossier des infirmières bulgares ne doit pas faire oublier, non seulement l'injustice d'une fausse accusation, mais aussi les tortures dont elles furent victimes, pour extorquer des aveux . Et pourtant, ce fut vite porté en pertes et profits, car il n’était pas question de froisser le Colonel mégalo, qui avait couvert ces agissements. Les Bulgares, en annulant la condamnation et en refusant de mettre en prison comme prévu les malheureuses otages, l’auraient même sérieusement mécontenté, car figurez vous (ne riez pas !) qu’il avait exigé que des femmes innocentes, emprisonnées et soumises aux pires sévices, soient encore placées derrière les barreaux en Bulgarie.
Pourvu que Kadhafi n’en prenne pas ombrage, et ne se rétracte pas sur les engagements commerciaux qu’il a pris, et que nous ne perdions pas nos ventes d’armes ! Maintenant que la visite de Sarkozy l’a ramené dans le giron international et qu’une réception est programmée à l’Elysée avant la fin de cette année, le Colonel tyran a pourtant obtenu l’essentiel : le droit de faire ce que bon lui semble ! En fait, il avait besoin d’une reconnaissance nationale et planétaire pour sa magnanimité, cautionnée par le président de la nation des Droits de l’homme et du Citoyen. Un label donné moyennant des contrats.
Pour son pays, il fallait qu’il trouve un mécène susceptible de dépenser pour le peuple ce qu’il pourra garder pour entretenir sa famille, ses courtisans et ses entreprises, avec les royalties du pétrole. A peine 400 millions de dollars, que l’Europe répugnait à aligner. Heureusement Nicolas Sarkozy possède la technique du billard à trois bandes. Il a imaginé pouvoir affirmer, sans risque d’être démenti, que la France n’avait pas directement donné un billet vert, puisqu’il a utilisé comme prête-nom son pote l’Emir du Qatar, qui n’est pas à cette aumône près. La clémence de Kadafhi a un prix et surtout des principes : il faut le chèque certifié. On a donc envoyé, avec un avion spécial, vers Tripoli, dans la nuit de la libération, toutes affaires cessantes, le directeur de la banque nationale du Qatar avec un chèque en bonne et due forme. La négociation a été menée sur le tarmac de l’aéroport de Tripoli, dans l’avion du gouvernement où s’était réfugiée Cécilia. Et dès que le pactole a été livré, les otages ont été délivrées, car le père Noël était passé. C’est en fait de l’humanitaire par banquier interposé.
IL N’Y A AUCUN RISQUE
Les banquiers continuent d’ailleurs à se manifester, puisque le gouvernement bulgare a précisé, dans un communiqué, que la dette, contractée pour des achats… d'armes et de matériel technique par la Libye serait purement et simplement annulée et versée dans le fonds international créé en faveur des familles des enfants contaminés. Il a ajouté que 27 donateurs (sic) - 17 gouvernements, neuf entreprises privées (sic) et une ONG - ont promis de contribuer à ce fonds. La République Tchèque, le Qatar et la Bulgarie ont contribué à un fonds international de soutien aux centaines d'enfants contaminés par le virus du sida dans les années 1990 à l'hôpital de Benghazi, a indiqué le Premier ministre libyen al Baghdadi Ali Al Mahmoudi. Un début humanitaire sonnant et trébuchant, pour lequel on trouvera des volontaires dans notre beau pays. Ils pourront aller visiter, si on les autorise à sortir de leur futur lieu de résidence, le chantier de construction de l’usine de désalinisation nucléaire qui entre dans le paquet cadeau ! Les marchés envisagés avec la Libye hier, dévoilent les véritables intentions du Président de la République. Les raisons humanitaires ou les droits de l’Homme ont bon dos. Les réseaux de ceux qui veulent vendre à tout prix du nucléaire français partout dans le monde, à n’importe quel régime, et dans n’importe quelles conditions, ont agi avec un cynisme sans limite. La précipitation avec laquelle les choses se sont conclues démontrent bien que cette "affaire" politico-commerciale a été envisagée, voire négociée, bien avant la libération des infirmières. Et comme d’habitude, on va nous expliquer qu’il n’y a aucun risque de passage du nucléaire civil vers le nucléaire militaire.
En ce sens, la France joue avec le feu en se faisant, dans le monde, l’agent commercial sans scrupule du nucléaire. La Libye a beau être réintégrée dans le "concert des nations" via le brevet de bonne conduite que la France vient de lui donner, elle n’en reste pas moins un régime non démocratique. Lors de la visite de Nicolas Sarkozy à Tripoli, le 25 juillet, au lendemain de la libération des infirmières, Paris et Tripoli ont signé un mémorandum qui prévoit la fourniture d'un réacteur nucléaire civil, officiellement dans le but de désaliniser l'eau de mer, ainsi qu'un accord dans le domaine militaire, dont le contenu exact n'a pas été rendu public, mais que l’on découvre progressivement chaque jour.
UNE COUVERTURE RECIPROQUE
Cette libération spectacle ne cesse de créer des remous. Nicolas Sarkozy, confronté aux questions de quelques curieux de la presse, avait affirmé que " ni l’Europe ni la France " n’avaient " versé la moindre contribution financière à la Libye " en échange de la libération des Bulgares. Il est honnête et irréprochable : il n’a pas donné un sou, mais il a vendu au contraire quelques babioles à son ami de deux heures ! D’ailleurs, on le soutient sans rire et avec une touchante coordination : " Le Premier ministre de la Libye répond que les compensations ont été payées par des pays européens, dont la Bulgarie, la Slovaquie et la République tchèque, ainsi que par le Qatar, dont la "médiation" avait été saluée par la Libye, la France et la Commission européenne. Paris a promis d’équiper l’hôpital de Benghazi et de fournir du personnel qualifié pendant cinq ans. La France formera une cinquantaine de médecins libyens. " Bref, pour la Libye, c’est bien l’Union européenne et la France qui ont couvert les sommes versées aux familles par le fonds Benghazi. On nous aurait donc menti ?
Le Monde précise même que " le fonds international Benghazi a accordé un million de dollars aux familles de chacun des enfants contaminés dans le cadre d’un accord, aux termes duquel elles ont accepté que la peine de mort à laquelle cinq infirmières et un médecin bulgares avaient été condamnés soit commuée en détention à perpétuité. L’argent a été dégagé grâce à un prêt libyen de 460 millions de dollars, remboursable lorsque les fonds des donateurs seront disponibles. Le fonds financera aussi le traitement médical des enfants et des améliorations du système de santé libyen ". Bouygues, Vinci, Aréva, Total, Dassault et consorts récupèreront une part de cet investissement humanitaire plus tard… quand tout sera oublié !
"Quand dans un régime démocratique comme le nôtre, le ministre des Affaires étrangères ne sait même pas qu'il y a eu, qu'il y aurait eu un accord militaire, nous sommes dans une omniprésidence qui pose un problème de transparence et de contrôle de l'exécutif", a affirmé François Hollande. "Il est gênant, troublant, d'apprendre par la bouche du fils du colonel Kadhafi" l'existence d'un contrat d'armement. "Rien dans les propos de Bernard Kouchner ne formalisait un contrat d'armement. Il a parlé d'un contrat commercial et quand je l'ai interrogé sur les contreparties (à la libération des infirmières et du médecin bulgare), outre le flou de sa réponse, il n'a pas fait allusion à un contrat d'armement", a précisé François Hollande. Il ne sait pas encore, le pauvre, que " la diplomatie c’est l'art patriotique de mentir pour son pays ". Il devrait demander à Roland Dumas de lui expliquer.
Mais je déblogue…