Actuellement, nous entrons lentement dans une autre période : préfets, commissaires, élus, fonctionnaires, journalistes qui refusent de jouer aux thuriféraires se retrouvent vite exclus d'uns société qui est sans pitié pour les non-courtisans. Chaque semaine, une mutation, une sanction, une pression, une menace, mettent à mal les personnes qui refusent de se plier aux bonnes pratiques souhaitées par l'Elysée. Le pire, c'est que des gens qui devraient résister s'appliquent à devancer les volontés présidentielles. Inutile de leur demander les raisons d'une telle attitude : ils agissent avant tout pour ne pas risquer de se faire mal voir.
Par exemple, dans des communiqués publiés hier, la Société des journalistes (SDJ) de la rédaction nationale de France 3 et deux syndicats de la chaîne, le SNJ et le SNJ-CGT, protestent contre la convocation de deux journalistes de France 3 par la police judiciaire. Cette convocation, fixée au 1er avril, fait suite à une plainte déposée le 8 juillet 2008 par France 3 pour « vol, recel et contrefaçon » après la diffusion sur internet, en particulier sur Rue89, d'une vidéo montrant Nicolas Sarkozy, hors antenne, avant un passage au journal « 19/20 » le 30 juin dernier. Deux journalistes de Rue 89 sont également convoqués par la police pour avoir diffusé cette vidéo sur leur site.
A France 3, la CGT (journalistes et techniciens) appelle les salariés à manifester leur soutien aux deux journalistes de France 3, lors d'un rassemblement sur les lieux de leur audition, mercredi prochain à partir de 9h. Il y a fort à parier que ce sera un bide, car personne n'accorde la moindre importance à de tels faits qui mettent pourtant en péril les fondements de notre démocratie. Comment peut-on reprocher à des journalistes d'exploiter un document réel, non truqué, bel et bien identifié, montrant un Président en train de vitupérer contre des employés d'une télévision de service public qui ne lui accordaient pas la place et la déférence qu'il estimait devoir recevoir ?
DES FAITS REELS
Installé dans le studio du 19/20, à quelques minutes du début de son intervention, Nicolas Sarkozy, qui venait d'être accueilli par des manifestants de France Télévisions en colère, était entre les mains des techniciens et maquilleuses de France 3. Face à lui, le directeur de l'information de la chaîne, Paul Nahon, et les trois journalistes Audrey Pulvar, Véronique Auger et Gérard Leclerc. L'ambiance était glaciale.
Sur cette vidéo, que s'était procurée en exclusivité Rue89, Nicolas Sarkozy se plaignait du manque de politesse d'un technicien, en coulisses, qui ne l'avait pas salué : « On n'est pas dans le service public, on est chez les manifestants ». Après que la journaliste Véronique Auger lui ait répondu « C'est la France », il finit par dire que « ça va changer, là » !
Ensuite, il plaisanta sur la « placardisation » de Gérard Leclerc, qui était, avec Véronique Auger, Audrey Pulvar et d'autres présentateurs et rédacteurs en chef de France 3, l'un des signataires d'une tribune très critique sur la réforme en cours, publiée la semaine précédente dans Le Monde : « T'es resté combien de temps au placard ? »
Juste avant que le son ne soit coupé depuis le studio, Nicolas Sarkozy s'assurait que France 3 évoquerait bien son déplacement du jour à Carcassonne. Paul Nahon lui répondit que c'était prévu. Avant, pour plus de certitude, de donner un ordre dans son micro : « Donc on parlera de Carcassonne avec le Président après, hein ? Yes ! Parfait ! » La diffusion de cet extrait par d'autres supports que France 3 a donc valu une plainte zélée de la direction de France 3, soucieuse de protéger son... avenir.
De source proche de l'enquête, on précise que la Brigade de la répression de la délinquance contre la personne (BRDP) de la PJ a convoqué les deux journalistes de France 3, ainsi que le directeur du site Rue89, Pierre Haski, et le journaliste Augustin Scalbert.
DONNER DES GAGES
La SDJ se déclare « choquée par ces convocations qui témoignent de l'empressement irresponsable de nos dirigeants à donner des gages de bonne conduite à l'Elysée ». La SDJ estime « inadmissible qu'un groupe de presse comme le nôtre exige, par la voix de ses avocats, que nos confrères de Rue 89 dénoncent ceux qui leur auraient fourni ces images ».
Le Syndicat national des journalistes (SNJ), premier syndicat de la profession se déclare « totalement solidaire » des quatre journalistes convoqués, « se porte à leurs côtés » et « appelle toute la profession à faire de même », notamment en les accompagnant le jour de la convocation. Cause toujours, tu nous intéresses, car le moment n'est pas venu de prendre des risques. Il faut donc supposer que France 3 portera devant la justice l'utilisation pas ses journalistes de films en caméra cachée, puisqu'ils ont opéré à l'insu des personnes qui sont filmées.
Enfin, le SNJ-CGT souligne que les deux journalistes de France 3 convoqués sont des délégués du personnel, membres de ce syndicat. Il dénonce une « criminalisation de l'action syndicale » et une dérive « inquiétante » pour la liberté de la presse. Mais leurs protestations ne franchiront pas le cercle fermé des journalistes « engagés » dans la défense de leur profession.
Dans un communiqué intitulé « encore une grave atteinte à la liberté de la presse ! », la LDH souligne : « Officiellement, l'Elysée n'a fait aucune démarche, mais dès le lendemain, l'avocat de France 3 écrivait à Rue89 en prétendant que la chaîne du service public avait des droits sur cette vidéo » et « demandait la cessation immédiate de la diffusion de la vidéo, et la révélation des sources ». Une véritable démarche déontologique... à géométrie variable. La preuve !
UNE AUTRE BAVURE
En effet, le secrétaire d'Etat chargé du commerce Hervé Novelli a annoncé son intention de porter plainte contre... France 3 pour avoir mentionné son passé d'extrême droite, dans un reportage diffusé par la station régionale Centre. Selon l'Express.fr : « On ne peut pas dire n'importe quoi sur le passé de Monsieur Novelli, expliquent les défenseurs du Ministre. Son passage par l'extrême droite est une étape dans sa jeunesse politique. On ne peut pas la lui reprocher indéfiniment. » Mais diantre, pourquoi n'a-t-on pas eu la même attitude quand des gens de droite bien pensants ont attaqué Jospin sur son passé trotskyste ? A-t-il porté plainte contre tous les journalistes qui ont cité cette référence, alors qu'il exerçait des fonctions autrement plus importantes que la future tête de liste aux Régionales dans la région centre ?
Le reportage, diffusé mercredi dernier, mentionnait aussi les liens du secrétaire d'État avec l'Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM), au centre d'un scandale portant sur l'utilisation d'une "caisse noire" d'une vingtaine de milliards d'euros entre 2000 et 2007. Comme l'a révélé Libération.fr, Hervé Novelli a obtenu le retrait de la vidéo du site internet du groupe France 3. Il n'a jamais caché son passé politique, même s'il n'est pas mentionné dans les biographies officielles. Dans une interview donnée au Monde en février 2005, il évoquait son passage dans le mouvement d'extrême droite Occident en disant : « Je n'ai pas un regret. Occident, c'était un anticommunisme dans lequel je me reconnais toujours (...) Ne tombons pas dans le piège de la béatification de l'extrême gauche et de la diabolisation de l'extrême droite ». Peu importe ces propos, il faut des victimes pour l'exemple, de telle manière que des faits de ce type ne se renouvellent pas. On a donc vite enlevé le reportage sur le site de France 3, désavouant ainsi, de fait, le journaliste qui avait seulement fait son boulot.
Ces faits illustrent à merveille la réalité actuelle : il n'est plus interdit d'interdire. Ce n'est même plus la peine de le demander, on le fait pour vous avec l'espoir minimum de ne pas déplaire. Selon que vous soyez puissant ou misérable... Cherchez la suite !
Mais je déblogue...