S'il était encore de ce monde, Marcel Pagnol siègerait au Conseil Supérieur de l'Audiovisuel, mieux connu sous le sigle de CSA, ce « machin » qui ne sert qu'à avaliser les décision du pouvoir en place. Il aurait été à l'origine des mesures prises par les « sages » sur la répartition des temps de parole sur les ondes. C'est d'un comique absolu. Tenez, imaginez la conversation que vous avez, j'en suis certain, maintes fois entendue lors d'une rediffusion.
César (Raimu) : - Tu mets d'abord un tiers de curaçao. Fais attention : un tout petit tiers. Bon. Maintenant, un tiers de citron. Un peu plus gros. Bon. Ensuite, un bon tiers de Picon. Regarde la couleur. Regarde comme c'est joli. Et à la fin, un grand tiers d'eau. Voilà !
Marius (Pierre Fresnay) : - ...Et ça fait quatre tiers !
César : - Exactement. J'espère que cette fois, tu as compris ?
Marius : - Dans un verre, il n'y a que trois tiers.
César : - Mais, imbécile, ça dépend de la grosseur des tiers !
Marius : - Eh non, ça ne dépend pas. Même dans un arrosoir, on ne peut mettre que trois tiers.
César : - Alors, explique moi comment j'en ai mis quatre dans ce verre.
Marius : - Ça, c'est de l'arithmétique.
César : - Oui, quand on ne sait plus quoi dire, on cherche à détourner la conversation.
Vous ne voyez pas le rapport ? Alors suivez-moi. Les interventions politiques doivent désormais être comptabilisées et équilibrées sur les ondes. Comme ça ne suffisait pas de maîtriser à sa guise les chaines de télévision pour s'exprimer, comme jeudi soir, durant probablement deux heures, de nommer le Président de France Télévision, celui des radios publiques, de compter sur des rédactions zélées, Nicolas Sarkozy n'a même pas eu à demander au CSA de bien l'installer dans les radios, médias extrêmement performant dans lesquels les auditrices et les auditeurs ont de plus en plus confiance. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel a donc brutalement demandé que les règles en vigueur pendant les campagnes électorales le soient désormais tout... au long de l'année, démontrant ainsi que le pouvoir actuel est bel et bien toujours en campagne électorale. Les journalistes sont donc priés de respecter le « principe de référence ».
Issu de la règle pagnolesque des... tiers (un tiers pour le gouvernement, un tiers pour la majorité, un tiers pour l'opposition et le... quatrième tiers pour le Président de la République), ce principe demande à ce que le temps de parole de l'opposition soit équivalent à la moyenne des temps du gouvernement et de la majorité. Par ailleurs, les formations politiques non représentées au parlement doivent bénéficier d'un temps « équitable » ce qui fait en somme mieux que César, avec le...cinquième tiers !
VERROU EN PLACE
« Depuis toujours, on tendait vers le respect de la règle des trois-tiers, assure au JDD.fr Michel Polacco, secrétaire général de l'information à Radio France. Mais la coutume était plutôt du 50-50 entre l'opposition et la majorité. Nous étions plus dans une logique de courants politiques. » Le temps de parole était décompté, il était transmis au CSA, « mais nous n'avions aucun retour », souligne-t-il. Désormais, le comptage, confié à une entreprise privée, fera l'objet d'un examen de la haute autorité. L'équilibre devra être respecté sur une durée de trois mois pour l'information et de six mois pour les magazines... On entre en période de crise et il faut verrouiller à tous les étages. On change de régime, par renoncements successifs des médias.
Un outil est mis à la disposition des chaînes de radio pour qu'elles accomplissent utilement leur boulot d'autocensure. Une liste, révélée par La Croix, regroupe en effet près de... 1800 personnalités susceptibles d'interventions politiques sur les ondes. Ainsi, le CSA classe François Fillon comme Premier ministre, donc entrant dans la part gouvernementale, mais aussi membre de l'UMP (majorité). Le cas pose assez peu de problème. Ségolène Royal doit être comptabilisée dans l'opposition. Ouf ! On est rassuré chez les socialistes. Mais où classer Jack Lang ou Claude Allègre ? Que faire de de Villepin ? Va-t-on comptabiliser toute personne critiquant le Président dans le tiers de l'opposition. C'est un boulot exigeant, car il faut savoir suivre les zigzags des participants à la course au pouvoir. La liste retrace par exemple le parcours d'Eric Besson. Il est d'abord « socialiste » (compté dans le temps « opposition »), jusqu'en février 2007 avant de devenir « sans étiquette » (« autre »), puis ministre (« gouvernement ») et à partir de septembre 2007 président des Progressistes (« majorité »)... Avouez que le journalisme va sortir grandi, professionnellement, de cette absurdité en matière de comptabilisation des entretiens ou des prises de position.
DES OUBLIS REVELATEURS
Nicolas Sarkozy n'est plus intégré dans le temps de la majorité depuis qu'il est devenu président, alors qu'il s'affiche dans les réunions du parti politique UMP et pas dans celles des autres franges de sa majorité. Quand il est au Conseil national de l'UMP, s'exprime-t-il en tant que Président de la République ou de chef de parti ? En fait, c'est le quatrième tiers, celui qui n'entre dans aucune statistique, mais qui pourtant s'offre ce qu'il veut, quand il veut, où il veut. A quoi ça servirait que Nicolas se décarcasse si on ne lui donnait plus la place qu'il mérite sur les ondes ? La gauche avait demandé, en vain, la limitation de la parole présidentielle à l'occasion de la réforme des institutions, au printemps dernier. Claude Guéant, secrétaire général de l'Elysée, entre aussi dans le temps présidentiel non compté...alors qu'il y a bien d'autres surprises !
Le CSA a étendu la liste aux « sympathisants ». Il a ainsi envoyé une liste très précise aux radios, leur demandant de comptabiliser les temps de parole des personnalités y figurant. Ainsi, le chanteur Cali et Philippe Torreton, ou le sociologue Jean Louis Missika,sont rangés dans les rangs de l'opposition. Le couple Hallyday, Johnny et Laetitia, ou encore Doc Gynéco, Denise Fabre ou Yves Duteil portent, souvent « brillamment », en tant que membres de l'UMP, la voix de la majorité. D'autres, comme le cinéaste Luc Besson sont inscrits dans la catégorie "autre", et seront donc apparentés à l'opposition. Limite de cette loi scélérate : ce n'est pas ce que raconte la personne qui compte, mais son appartenance politique. Si notre Johnny national vient promouvoir un disque, son temps de parole sera déduit sur le compte de l'UMP... Logique !
Plus étonnant encore, certains people, pourtant clairement politisés, sont absents de cette liste qui fait penser à l'époque du Maccartysme . C'est le cas d'Elodie Gossuin, Miss France 2001 et conseillère régionale UMP, du flamboyant Bernard Tapie, soutien avoué de Nicolas Sarkozy, de Francis Lalanne, militant vert, mais surtout d'une certaine chanteuse, mannequin et omniprésente sur les antennes : Carla Bruni !
HORS NORMES
En effet, l'épouse du président, qui s'est vue offrir une tribune de choix lors de la promotion de son dernier disque, et qui n'a pas manqué de vanter les mérites et le courage de son époux, n'est pas comptabilisée. Elle peut ainsi faire l'apologie de son mari des heures durant, sans que son temps de parole ne soit compté... Oups ! Boulette ou favoritisme ? En même temps, si ses interventions étaient comptabilisées, l'UMP n'aurait plus voix au chapitre pour les 12 prochains mois... puisque Carla lui volerait tout son temps. Frédéric Lefebvre, porte parole omniprésent et Xavier Bertrand ne pourraient même plus déjeuner à France Inter à leur guise! Une absurdité absolue et une ficelle tellement grosse que l'on se demande encore comment des journalistes ou des femmes ou des hommes des médias ont pu se prêter à pareille mascarade !
L'intersyndicale des journalistes de Radio France s'est indignée de la contrainte. "La règle des trois tiers que le CSA a décidé d'imposer à nos rédactions bafoue la plus élémentaire déontologie, en institutionnalisant une gestion comptable des temps de parole politique", a-t-elle protesté, demandant aux journalistes de ne pas tenir compte de la directive. C'est donc, une fois encore, le fait du Prince : je décide, vous exécutez et gare aux récalcitrants : les charrettes du chômage les attendent. Mais quand vont-ils se réveiller ? Pas encore. Les responsables des radios ne semblent pas encore au courant du danger qu'ils font courir à leur métier. « Le CSA nous demande de faire respecter des textes que personne ne respectait... Nous lui obéissons ! », assure Michel Polacco, secrétaire général de l'information de Radio France, dans « La Croix ». Le journal cite également un courrier interne de la directrice adjointe de France Culture, Laurence Bloch, dans lequel elle demande aux responsables de programmes - hors information, magazines d'informations et d'actualités - de tenir compte désormais de "tous les propos tenus, quelle que soit leur nature (politique, privée, de nature culturelle, culinaire ou tout autre)" . De sorte que Dominique de Villepin, invité pour parler de son dernier livre sur Napoléon, ou Philippe Séguin, intervenant sur le football, seront comptabilisés comme des... soutiens du président. Mais au fait, qui a inventé la règle des quatre tiers... Bizarre : il répondait au nom de César ! Faut-il y voir un signe du destin ?
Mais je déblogue...