LES PROCUREURS, LES SILENCIEUX, LES AMIS
LE CONSTAT EST LE MEME
DES CHAMPS EXPERIMENTAUX EXTRAORDINAIRES
Il y a quelques années j’avais suivi une expérience extrêmement intéressante qui était menée par une association installée au cœur de l’Entre Deux Mers, et qui s’appelait Agrisud. Cette structure passionnante m’avait permis d’appréhender une réalité sur le développement économique dont je n’avais pas antérieurement perçu la pertinence. Fondée par Jacques Baratier en 1985, à partir notamment d'expériences réussies en Afrique, Agrisud avait en effet développé une expertise dans le domaine du développement économique durable. Elle avait donné la priorité aux activités créatrices d'emplois et de valeur ajoutée, à travers la consolidation de micro-entreprises organisées dans des filières d'activités.
Elle savait mettre au point une méthodologie fondée sur un diagnostic précis des besoins et des contextes locaux, une expérimentation à travers des projets pilotes, une modélisation et une généralisation des acquis de cette phase expérimentale, grâce à une politique de formation et d'insertion dans des schémas stratégiques nationaux de développement, et créer des "structures relais". Ce travail extraordinaire, accompli dans de multiples pays africains ou asiatiques, m’avait convaincu qu’il fallait penser autrement la fameuse coopération Nord-Sud et que nous avions intérêt, dans l’Entre Deux Mers, à s’en inspirer fortement. Ses animateurs allaient à contre courant des principes occidentaux visant à exporter nos " concepts " massifs d’utilisation d’une main d’œuvre bon marché.
Les responsables de cette association, financée par la Caisse d’Epargne et de grandes entreprises nationales, avaient déjà avant 2000 une vision extrêmement pessimiste de l’évolution des relations entre deux mondes qui s’éloignaient. Selon eux, beaucoup d'erreurs avaient été commises dans les transferts de culture ou de systèmes culturaux du Nord vers le Sud, au mépris de l'impératif de diversité.
UNE ADAPTATION FONDEE SUR L’EXPERIMENTATION
Certes, ils convenaient qu’il existait des réponses techniques et économiques communes et reproductibles aux besoins essentiels exprimés par les populations, mais il fallait aussi une adaptation, fondée sur l'expérimentation, car elle constituait la condition sine qua non de la réussite. Les besoins essentiels étaient d'une part ceux que réclamaient les situations d'urgence (les situations d'extrême pauvreté, les urgences créées par les cataclysmes naturels et les conflits armés) et d'autre part, ceux que le développement cherchait à satisfaire par l'accession à un minimum d'autonomie économique et sociale, la sécurité alimentaire, la formation et l'accompagnement, des structures de financement adaptés. Agrisud proposait de partir de la culture locale pour asseoir le développement et non pas de l’imposer au nom des profits à réaliser.
La politique d'aide au développement devait, selon eux, porter une attention particulière aux grands centres urbains (où 50% des jeunes étaient au chômage) et susciter une culture "entreprenariale", seule capable de permettre la consolidation de modèles reproductibles, grâce à des actions de formation et d'accompagnement et à des structures de financement adéquates. "Enfin, des réseaux d'infrastructures vitales aussi bien que l'organisation de filières d'activités leur paraissaient nécessaires".
Il leur paraissait indispensable aussi de tenir compte de l'hétérogénéité du tissu économique de tels pays, où un petit nombre d'entreprises performantes issues du système capitaliste exploitant les richesses naturelles (pétrolières ou minières), cohabitaient avec un vaste tissu microscopique et informel, essentiel à la bonne marche de l'ensemble. C'est cette économie populaire, particulièrement dynamique et créatrice d'emplois, qui formait la cible d'Agrisud, car de sa survie et de son développement dépendait la réelle indépendance des populations concernées. Leur proposition avait obtenu des succès considérables au Cambodge, au Congo, en Angola, au Sri Lanka, à Madagascar… avec la création de 4.000 entreprises et 20.000 emplois et avait permis à au poins 200.000 personnes de vivre décemment et durablement, au terme d'un investissement de seulement 1 500 000 €.
L’ACCESSION A L’AUTONOMIE ECONOMIQUE ET SOCIALE
Au travers de cette expérience, Agrisud affirmait que l'amorce du développement des pays émergeants passait par l'accession à l'autonomie économique et sociale des populations. La création d'activités économiques, notamment celles qui concernent la sécurité alimentaire, devait être la priorité. Elle nécessitait des structures pérennes et des cadres locaux formés et capables. Ces structures servaient de relais à l'action des Etats et des bailleurs. Leur action devait impérativement déboucher sur l'émergence d'une véritable dynamique économique, associant le public et le privé.
Par exemple, il était possible de subventionner et de soutenir la création de jardins irrigués pour des cultures locales, mais aussi de mettre en place un système coopératif de commercialisation via des marchés ou des lieux spécialisés. Pas question de nier la nécessité de rentabilité, dans des pays où on pense surtout à l’autosuffisance alimentaire. Agrisud travaillait sur des filières de développement, pas sur des aides saupoudrées et sans durabilité.
Cette démarche m’était apparue comme adaptable à notre territoire et c'est sur elle que je me suis basé pour développer le projet de " station de vélo " de Créon. Autour d’une filière, celle des pratiques diversifiées du vélo, il était possible de mettre en place des micro-activités liées à la vente, la location, les séjours, l’hébergement et la restauration. Une dynamique économique associant le public (aménagement de la voie verte Roger Lapébie, restauration des ex-gares, montage de projets d’animation…) et le privé (hôtel Akéna, restaurants, crêperie, chambres d’hôtes, gîtes….) a permis la création globale d’une trentaine d’emplois divers. Au fil des ans, elle se consolide, pour devenir une spécificité créonnaise forte.
La difficulté essentielle pour avancer sur une filière de ce type, réside dans la prise en compte de sa crédibilité par le système bancaire. Les banquiers ne s’intéressent guère aux micro-activités, car elles paraissent peu rentables et surtout en dehors des normes habituelles de prêts. Impossible de les convaincre de la rentabilité d’une activité de guide randonnées, de réparateur de bicyclettes, d’agence de voyages pour accueillir des groupes de cyclistes ou de randonneurs, de gestionnaire de chambres d’hôtes, car… il faut en convenir, ce n’est pas très spectaculaire. Et faute de soutiens bancaires, le concept du développement d’une filière en réseau s’effondre.
LE BANQUIER DES PAUVRES
En fin de semaine, le travail d’Agrisud a pourtant reçu un hommage indirect, avec l’attribution du Prix Nobel de la paix au pionnier du micro-crédit, le Bangladais Muhammad Yunus et à la Grameen Bank, qu'il avait fondée en 1976, pour leur travail en faveur du développement économique et social qui a permis à des millions de personnes de sortir de l'extrême pauvreté. En récompensant Yunus, économiste de 65 ans, surnommé le "banquier des pauvres", le comité Nobel a souligné qu’une paix durable ne peut être obtenue à moins qu'une partie importante de la population trouve des moyens de sortir de la pauvreté". "Le micro-crédit est l'un de ces moyens", explique le comité, ajoutant que "le développement par le bas permet de faire avancer la démocratie et les droits de l'homme".
La Grameen Bank a ainsi aidé des millions de pauvres au Bangladesh, surtout des femmes, à améliorer leur niveau de vie, en leur permettant d'emprunter de petites sommes pour monter leur entreprise. Un argent par exemple utilisé pour acheter des vaches pour une laiterie, une machine à coudre pour un atelier de couture, des poulets pour une exploitation avicole, des téléphones portables pour ouvrir des boutiques où les villageois n'ayant pas le téléphone peuvent passer des appels moyennant une somme modique.
Même si nous n’en sommes pas là, il faudrait que ce système soit réellement mis en place par des banques coopératives ou mutualistes, qui ne songent qu’à prêter à des gens ayant déjà pignon sur rue et surtout susceptibles de développer une économie sociale durable. On préfère soutenir des implantations spectaculaires, dont on sait qu’à la moindre perspective de profit supplémentaire, elles seront délocalisées dans ces pays qu’Agrisud essaie de persuader que le salut passe par un autre système économique… Drôle de paradoxe !
Mais je déblogue…