31 janvier 2007
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Si on ne va pas respirer l’air de la capitale de temps en temps, on ne connaît pas réellement l’état de la société. Jamais peut-être, alors que l’on nous vend la décentralisation façon libérale comme un acte fondateur d’une nouvelle gouvernance, la France n’a été aussi parisienne. Comme je n’ai pas l’occasion de fréquenter souvent l’ambiance des ministères actuels, je mesure avec davantage de stupeur encore le contexte dans lequel nous nous trouvons.
Hier, j’étais donc invité à " causer " dans le cadre d’une structure du Ministère du Tourisme sur la politique créonnaise de développement économique autour du vélo. Devant plus d’une centaine d’éminents experts en tous genres, venus de tous les territoires et de toutes les sous-directions des lieux qui comptent, une demi-douzaine de témoins se sont succédés sur le même thème. Bizarrement, j’étais le seul élu local invité et présent. Tous les autres présents, qui se connaissaient pour la majorité car ils avaient eu des parcours croisés, selon les alternances politiques ou les mutations, appartenaient peu ou prou à la technocratie nationale ou régionale. Ils étaient là pour découvrir et plus encore pour tenter de se reconnaître dans l’extraordinaire mille feuilles des échelons décisionnels, dans le puzzle inimaginable des compétences et des territoires, dans le maquis de textes prônant des orientations, mais tirant derrière eux des coffres forts vides.
Au bout d’une petite heure d’introduction au débat, je ne savais plus exactement ce que l’on attendait de moi, pauvre maire parti à 4 heures du matin sur mes deniers personnels, pour aller leur parler de cette idée saugrenue et hors normes de station de vélo, lancée en 1999. Et, surtout, j’ai brusquement eu l’impression d’appartenir à la première page des ouvrages d’Astérix, quand on présente un petit village de huttes fumantes sous une grosse loupe, quelque part là bas au milieu de terres inconnues. Je suis certain que les insectes placés sous un microscope, s’ils avaient un esprit, éprouveraient cette même sensation. Ils auraient peur de ce milieu qui les observe, le sourire aux lèvres, en se demandant ce qu’un vermisseau peut avoir dans la tête en venant se trémousser devant des éminents entomologistes de l’aménagement du territoire.
Comme j’étais le premier intervenant, doté de 20 minutes pour plancher, un doute m’envahit illico : qu’étais-je venu faire dans ce monde où l’on brassait des millions d’Euros avec un enthousiasme comparable à celui que mettent les chasseurs à aligner leurs trophées ? Il me fallait les persuader qu’une tête d’épingle, dans le vaste programme européen des " véloroutes et des voies vertes ", pouvait avoir une valeur exemplaire.
LES CREDITS PERDUS EN CHEMIN
Dans les délais impartis, j’avais juste l’occasion de rappeler à la sous-directrice du Ministère, en congé de la Mairie de Paris pour pantoufler dans un lieu moins exposé, qu’elle s’était beaucoup avancée en affirmant que l’Etat s’engageait financièrement aux cotés des porteurs de projets, puisque le Point relais vélo de Créon attend toujours le versement de la subvention accordée… en 2003, et que, peut-être, il aura les moyens d’honorer quatre ans après la date effective à laquelle il aurait du la verser ! Un pavé qui causa quelques rires étouffés, d’autant que je dus aussi lui apprendre qu’en Entre Deux Mers il y avait un Pôle d’Excellence Rurale, dédié au tourisme, dont ses fiches ne parlaient point…En quelques secondes, la France vue de Paris n’avait plus la même allure, car elle ne correspondait plus aux réalités du terrain. Les crédits étaient perdus en chemin, et les grandes orientations égarés sur les sentiers vers la Province.
En fait, tout ce colloque n’était que le reflet d’une gestion privilégiant les concepts plutôt que les réalités et les masses plutôt que les détails. Créon et son initiative de développement d’une filière autour des pratiques du vélo lui étaient aussi étrangères que peuvent désormais l’être une vache par rapport à un consommateur de yogourt en bouteille. Cet éloignement du monde réel, de celui qui innove, avance, sort des clous, construit concrètement, génère inévitablement des rancœurs ou des incompréhensions. Très rapidement, il faut se rendre à l’évidence : celles et ceux qui ont en charge l’application des instructions ministérielles de tous ordres ne savent pas, finalement, si elles aboutissent et ce qu’elles deviennent. Ils ont donc besoin de faire " monter vers Paris ", de temps en temps, des " cas " repérés dans les campagnes par des chasseurs privés de projets pour s’assurer qu’il y a bien quelques réalisations effectives, souvent d’ailleurs antérieures à leurs décisions.
Mon intervention ne suscita donc pas un engouement particulier, après le café d’accueil. Le calme plat ou presque, comme si tout le monde se demandait ce qu’un élu local venait faire dans cet aréopage de gens rompus à la vente à domicile sans en assurer le suivi.
Seulement, il ne faut jamais se fier aux apparences du silence, qui n’est pas forcément toujours réprobateur.
UN POIDS SUPERIEUR A PARIS QU’EN PROVINCE
Comme en toute chose il suffit de donner du temps au temps pour juger d’une intervention. Au moment de partir au déjeuner, la déléguée régionale au Tourisme d’Aquitaine, présente dans l’assistance, vint d’abord me rassurer et m’annoncer que la subvention allait m’être versée dans les prochaines semaines. Avant les élections. Tiens donc… Un peu comme si une vérité publique portée à Paris a, de suite, un poids supérieur à celle que l’on s’égosille à rappeler en province. Ensuite, et c’est toujours étonnant, deux vénérables cadres du Ministère s’approchèrent pour discrètement me demander qui avait élaboré le projet de station vélo… Ils trouvaient le concept pas mal, et pensaient sûrement qu’il était le fruit d’un expert quelconque, alors qu'il n’est que la résultante d’un travail de concertation mené avec les gens du terrain.
Et enfin, plusieurs jeunes participants vinrent récupérer mes coordonnées afin que j’aille les aider à convaincre… leurs élus, dans le Cher, la Haute Loire, Les Pyrénées Atlantiques, l’Indre et Loire. Des témoignages sympas, dénués de toute emphase, mais qui traduisaient un vrai désarroi pour ces fameux chargés de mission qui rament pour convaincre les divers étages de décision de la nécessité d’agir. Ils désespéraient tous de voir pleuvoir des théories pharaoniques alors que leur quotidien n’est fait que de mesquineries, d’embûches, de tracasseries entre décideurs locaux. Ils ne cessent de se concerter, de se réunir, de s’évaluer alors qu’ils voient avancer des territoires européens dans lesquels les projets pragmatiques s’inscrivent dans un développement économique durable. Eux ont pris conscience que le temps perdu ne se rattrape jamais et, à cet égard, dénués de tout sens du paraître, ils se raccrochent à ce qui leur permettrait d’avancer. Pourquoi ne pas l’écrire, ces échanges discrets, hors du contexte corseté des réunions parisiennes, me récompensent de cet aller retour concentré dans une journée. Ils traduisent une évolution sociale que porte en elle une certaine jeunesse, qui a conscience que son avenir dépend de sa capacité à se débarrasser de la gangue du parisianisme ministériel triomphant.
LES FAMEUSES REUNIONS INTERMINISTERIELLES
Mon voisin de table lors du déjeuner, technocrate de haut rang dans l’ex-Direction de l’Aménagement du territoire et des actions Régionales (DATAR) me confiait, sûr de lui, qu’il n’y a pas plus bel exemple de ce mal français, que les fameuses réunions interministérielles sur un sujet. Personne n’y vient pour construire, mais uniquement pour, dans le contexte financier actuel, y mettre le moins de crédits possibles, sans perdre son pouvoir sur le sujet. Il faut un véritable négociateur plénipotentiaire de Matignon pour que l’on sorte, après quatre ou cinq rencontres, un accord que tout le monde s’efforcera de rendre inapplicable. Les sous-directeurs, les chefs de bureaux, les conseillers en tous genres ne veulent pas mélanger leurs prérogatives et voir ainsi disparaître les raisons fondatrices de leur existence. Ils sont là pour résister, et surtout veiller à ne pas disparaître en se rendant… inutiles. Les alternances politiques modifient parfois l’intitulé de leur cartes de visite qu’ils distribuent avec condescendance, mais ne touchent pas à leur statut fondamental.
Il faut aussi reconnaître que la décentralisation a eu les mêmes effets entre conseils généraux, conseil régional, agglomérations, communautés de communes et… communes. Et que l’on sent bien, en discutant lors des pauses et hors de la réunion institutionnelle, que ce n’est pas triste dans certaines régions entre les pouvoirs départementaux et régionaux qui passent leur temps à se flinguer sur le dos des projets. Quand ces collectivités sont conviées à ces moments forts où l’on doit, par exemple, aménager un réseau européen de voies cyclables, on constate que la France est devenue un puzzle dont les " pièces " n’évoluent pas selon les mêmes principes, mais en plus, pas à la même vitesse. Plus personne ne subventionne de la même manière. La signalétique est libre. Les revêtements aléatoires. Les équipements non coordonnés n’aboutissent pas les uns en face des autres, et chacun essaie de vendre son bout de " propriété ", à une échelle où l’on ignore totalement l’existence même de la région concernée.
Comme s’il avait fallu un signe fort de cette situation explosée, en conclusion, l’intervention d’un formidable technicien suisse aura achevé de me convaincre. En présentant la " Suisse à vélo " Lukas Stadtherr a en effet sérieusement mis à mal la vanité française. Alors que tous les intervenants s’étaient empêtré les uns et les autres dans les sables mouvants des découpages territoriaux hexagonaux, il expliqua avec un esprit de synthèse remarquable que son " petit " pays avait déjà au minimum une décennie d’avance sur le nôtre, avec un réseau structuré, fléché, valorisé, équipé. Une " fondation " nationale, financée seulement pour les projets qu’elle réalise, avec un staff réduit de 16 personnes, avait réussi à coordonner l’ensemble du programme de la Suisse à vélo. L’opération a coûté évidemment dix à vingt fois moins cher que chez nous, a été bouclée en six ans, et désormais, avec la construction d’un immense site internet prévu pour 2008, ce pays aura un atout international de développement économique considérable sur les nouvelles formes du tourisme vert. J’ai tout à coup compris pourquoi notre Johnny sarkoziste était parti en Suisse : il doit faire du vélo !
Mais je déblogue…