Le métier de charcutier électoral appartient à l'histoire de la République. Même s'il s'est modernisé avec l'arrivée d'ordinateurs surpuissants qui peuvent triturer, extrapoler, découper au laser des circonscriptions électorales, le savoir faire doit rester le même. Il faut à la fois préserver ce que l'on a de meilleur et de breveté sans risques, tout en effectuant des frappes chirurgicales susceptibles de faire basculer ce dont on a besoin pour conforter son assise territoriale. Prétendre le contraire relève simplement du déploiement d'un réseau de fumée ou de la prestidigitation pure et simple, permettant de transformer un œuf en poule dans un chapeau réputé neutre.
Surtout lorsque la personne qui est à la manœuvre cumule la responsabilité de charcutier avec celle de revendeur auprès de ses copains.
Le projet de redécoupage des circonscriptions législatives sera présenté ce matin au conseil des ministres, et une vingtaine de départements devraient à terme perdre ou gagner des députés, selon Alain Marleix, secrétaire d'Etat à l'Intérieur et... secrétaire aux élections à l'Ump. On considèrerait, dans la vie publique de base, qu'il y a délit d'initié ou même gestion de fait. Comment concilier les deux fonctions, et clamer partout que rien ne justifiera un charcutage propice. « On ne peut pas nous accuser de charcutage électoral », assure l'artisan de la réforme potentielle. « Je reçois tous les députés concernés, qu'ils soient de la majorité ou de l'opposition, et j'ai vu tous les responsables de l'opposition », comme si une visite de courtoisie constituait une garantie d'objectivité dans les décisions ultérieures.
Le conseil des ministres examinera, ce matin, « un paquet législatif global », comprenant des ordonnances sur le découpage électoral, le projet de loi d'accompagnement pour créer une commission de contrôle de ce découpage, pour le Sénat comme pour l'Assemblée nationale, une loi organique sur la création de postes de députés des Français de l'étranger, et une loi organique sur le retour au Parlement des députés qui ont été ministres, ce qui permettra de remanier, sans état d'âme, puisqu'il n'y aura pas de partielles. « La loi nous fait obligation de pratiquer le découpage électoral, en particulier l'article 3 de la Constitution qui dit qu'il faut qu'il y ait équité devant le suffrage universel», a relevé le spécialiste, au sein de l'Ump, des désignations les plus appropriées.
« Il y a eu le redécoupage Pasqua qui a suivi le recensement de 1982, quand la France avait 55 millions d'habitants, et sur lequel on vit toujours. Or, elle en 64 millions aujourd'hui, et on vit dans un système qui a 23 ans. C'est pour cela que nous procédons à ce redécoupage ». On ne peut pas véritablement dire que le « redécoupage Pasqua fut véritablement un exemple de concertation et de transparence, et donc le « charcutier » actuel ne peut pas faire pire.
PLUS ET MOINS
Le Conseil constitutionnel avait en effet souligné, après les dernières législatives de 2007, l'urgence de procéder à ces ajustements, et donc, pour une fois, on essaiera de lui faire plaisir. Relevant que la réforme constitutionnelle ne permet pas d'ajouter une seule circonscriptions aux 577 existantes, il a souligné que le boulot se ferait avec une clé de répartition des sièges par tranche et fraction de tranche de population. Cette clé était de 108.000 habitants pour un député, elle va approcher les 125.000 habitants, avec toujours un minimum de deux sièges par département quelle que soit sa population. Ces paramètres incontournables seront donc déclinés département pas département. Ils paraissent objectifs, mais comme les territoires sur lesquels ils s'appliquent ne sont pas socialement identiques, il y aura quelques ajustements subjectifs.
On va donc forcément couper des têtes à Paris qui en perdra deux, mais aussi dans le Nord, le Pas de Calais, la Marne, la Somme, la Seine-maritime, et le Jura. Tous ces départements ont actuellement une majorité de députés de... gauche sur leur territoire mais c'est certainement un hasard des statistiques. En revanche, il y aura plus de députés dans la Seine-et-Marne, le Val d'Oise, l'Hérault, la Haute-Garonne, la Gironde, le Gard, le Vaucluse, le Var, les deux Savoies, l'Isère, et l'Ain qui détiennent, pour la majorité d'entre eux, plus d'élus de droite que de gauche (sauf en Gironde et en Haute-Garonne, dans lesquels un siège en plus pourrait bouleverser les équilibres territoriaux actuels) mais là encore on ne doute pas de la nécessité de rééquilibrer la représentation nationale.
Il faut aussi savoir que dans les Bouches-du-Rhône, par exemple, où il n'y aura pas de création de siège mais où il y a des disparités démographiques, il faudra effectuer des
« remodelages », et le nombre de circonscriptions qui seront créées pour les Français de l'étranger n'est pas encore fixé. Si l'on considère que ces gens là sont parfois partis pour ne plus payer les impôts qu'ils doivent à la solidarité nationale en France, il faut s'attendre à ce qu'ils soient... récompensés à la hauteur de leur citoyenneté !
VOUS AVEZ DIT CONTROLE ?
Une commission de contrôle supervisera le processus, mais pas encore le résultat. Elle sera composée de trois personnalités qualifiées : une nommée par le président de la République (Ump), une nommée par le président de l'Assemblée (Ump), une nommée par le président du Sénat (Ump) et trois magistrats sous l'œil du Conseil supérieur de la Magistrature. Il faudra que les personnalités choisies reçoivent l'agrément des deux commissions des Lois de l'Assemblée nationale et du Sénat majoritairement... Ump. Si ce n'est pas donner des gages de neutralité absolue, c'est à désespérer de tout. Pourquoi ne pas avoir, par exemple, constitué une commission avec des personnes non élues, désignées par tous les partis représentés à l'assemblée sur la base de la proportionnelle ? Pourquoi ne pas avoir demandé au Conseil d'Etat de désigner trois des siens dans ce groupe de contrôle, plutôt que des magistrats ?
Il est vrai que, dans le cadre de « l'ouverture », le Président de la République peut encore désigner Claude Allègre ou Hubert Védrine; que celui de l'Assemblée Nationale a le loisir d'aller chercher Patrick Poivre d'Arvor ou Bigard ; que celui du Sénat pourrait créer la sensation en désignant Edouard Balladur ou Dominique Baudis... tout est désormais possible dans cette société du vedettariat permanent. D'ailleurs, on ne voit pas très bien ce que va venir faire la dite commission, quand on sait que ce sont les ordinateurs du ministère de l'intérieur qui ont déjà fait tout le travail. Le reste, ce ne sera que pour le décorum démocratique. En fait, Marleix va utiliser la technique Sarkozy : aller, d'entrée, le plus loin possible, pour ensuite faire éventuellement machine arrière, sauf si personne ne se manifeste.
LA CHASSE AUX SORCIERES
Le seul véritable espoir que peuvent donc caresser les gens de gauche, c'est que le charcutage proposé soit extrêmement sarkozyste, et que la chasse aux « dissidents » de l'Ump provoque des remous. Par exemple, sur le site Bakchich-info on trouve une première victime potentielle : Jean-Pierre Grand, député UMP de l'Hérault, et notoirement villepiniste, a du mouron à se faire. Nicolas Sarkozy et Alain Marleix, secrétaire d'Etat à l'Intérieur et aux Collectivités territoriales, auraient décidé de casser sa circonscription, pour lui apprendre à respecter le président. Au profit de Stéphan Rossignol, ex-collaborateur de Jacques Blanc et maire sarkozyste de La Grande-Motte, qui s'apprête à accueillir le groupe Partouche pour créer un futur Las Vegas. Et ça, ça plait.
En haut lieu, on reproche à Jean-Pierre Grand d'être très critique à l'égard de Sarkozy. Pour ses différentes prises de position, il avait été, fin 2007, suspendu du bureau politique de l'UMP, et il a, plus récemment, défendu Chirac, lorsque Sarko l'a critiqué lors de son récent souper élyséen avec les députés : « Jacques Chirac et la presse en ont pris plein la gueule », avait dit le député de l'Hérault. « Je regrette que le président de la République ait été aussi dur avec son prédécesseur Jacques Chirac, c'est très injuste ». Cerise sur le gâteau, Grand avait proposé à... Dominique de Villepin de reprendre sa circonscription après l'élection de Sarko. On verra ce que la commission dira quand sera évoquée la situation dans l'Hérault, et si elle tiendra compte de ce type de vengeance masquée. L'Elysée veille en effet sur la marmite à soupe parlementaire.
Tenez hier Marseille a été désignée comme ville européenne de la culture pour 2013. On le savait depuis plusieurs jours dans les milieux parisiens généralement bien informés : Nicolas Sarkozy ne souhaite pas un retour d'Alain Juppé aux affaires, et surtout en 2013, alors que ce brave "César" Gaudin n'est guère inquiétant pour l'avenir. Il sera content avec son hochet culturel, et il ne se précipitera pas sur le fauteuil de Président du Sénat dans quelques jours. Quant à Juppé (on va tenter de privilégier l'ami personnel du président, Yves Foulon, maire d'Arcachon, en lui taillant un fief sur mesures pour des années), on va lui compliquer un peu la vie, en tripatouillant les circonscriptions bordelaises trop exiguës. Les paris sont pris. Rendez-vous dans quelques mois pour vérifier que Charles Pasqua a transmis la recette du pâté d'alouette électoral : une alouette socialiste, et un cheval UMP, pour faire un mélange équilibré.
Mais je déblogue...